Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1971 Ce documen
Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1971 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 17 juin 2022 11:22 Études françaises De l’autre à l’un Aliénation et révolte dans les littératures d’expression française Alain Baudot Volume 7, numéro 4, novembre 1971 URI : https://id.erudit.org/iderudit/036497ar DOI : https://doi.org/10.7202/036497ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Baudot, A. (1971). De l’autre à l’un : aliénation et révolte dans les littératures d’expression française. Études françaises, 7(4), 331–358. https://doi.org/10.7202/036497ar De l'autre à Tun Aliénation et révolte dans les littératures d'expression française « II faut à l'Un, à l'unique-du-monde-et-de-l 'être, ce qui manque aussi à l'unité concrète de la terre : le vent venu des rives, où tant de Nous barattent un limon méconnu. Chaque tribu que l'on déprend, que l'on décrie, nous sépare de l'harmonie. » L'Intention poétique L'étude des littératures dites d'expression française compte de plus en plus d'adeptes1. Non pas mode ou curiosité d'assez mauvais aloi, ni même lendemains de l'esprit missionnaire (The White Man's Burden) ; mais besoin, parfois passion. En face du durcissement et de Vombïliculisme de certains littérateurs de l'hexagone (sans majuscule2), à cause surtout de l'enthousiasme têtu d'une jeunesse qui, pour se trouver elle-même, est partie à la recherche de l'Autre, voici que Eabemananjara, Bhêly- Quénum, Yacine, Glissant, Miron, et tous leurs frères sépa- 1. Je ne prétends à rien d'autre, dans les réflexions qui suivent, qu'à indiquer une direction (un sens), établir des rapprochements, souligner des convergences, à propos d'une diaspora littéraire qui me semble moins dispersée (disparate) qu'on ne le dit. Pour la métho- de, qui est de constantes références et interférences, je m'autorise d'Edouard Glissant : « Notre nécessité aujourd'hui : d'affirmer, non pas une communauté face à l'autre, mais en relation à l'autre » (l'Intention poétique, Paris, Seuil, 1969, p. 205). — (Les chiffres entre parenthèses dans le corps du texte renvoient à la pagination des éditions citées en note.) 2. Pour le distinguer de la maison d'édition fondée sous ce nom au Québec en 1953. 332 Études françaises VII, 4 rés, accomplissent sans presque coup férir cette conquête des cœurs dont avait rêvé Auguste Pavie au Laos il y a près de cent ans. Dans cette irréversible revanche de l'histoire, les ethno- logues, grands prêtres du Eelatif, ont joué leur rôle de guides et d'intercesseurs : Michel Leiris et son Afrique fantôme, Georges Balandier et son Afrique ambiguë, pour ne citer que les plus poètes et deux proches aînés. Mais depuis longtemps déjà la tutelle n'est même plus néces- saire. C'est grâce au Martiniquais Césaire renouant avec la négritude un pacte par les Blancs brisé que toute une génération d'Africains, au témoignage d'Alioune Diop, a pu sauver son âme 3. Et qui ne se rappelle aussi le cri de reconnaissance — la voix retrouvée — poussé par la criti- que québécoise lorsqu'enfin Anne Hébert vint4 ? Signes des temps qu'il faut essayer d'interpréter. II est clair que ces littératures relèvent plus complè- tement que d'autres de la sociologie, de la psychologie individuelle et collective, de la morale et de la politique 5. Le mouvement Parti pris, ce Cénacle québécois plus hardi que les « dangereux révolutionnaires » (les Romantiques français) dont s'effrayait en 1824 l'académicien Auger, ne s'est jamais cantonné dans les revendications linguis- tiques. Ce n'est pas non plus par raison de dilettantisme ou d'éclectisme que le poète Senghor a fait une belle carrière politique, ou qu'Aimé Césaire, député-maire de Fort-de- France, se retrouve à la tête des autonomistes martiniquais. 3. Cf. le texte de présentation au dos de la seconde édition du Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 1956 ; et aussi E. Glissant, op. cit., p. 143-150. 4. Cf. René Lacote, « Le sentiment de frustration dans la poésie d'Anne Hébert», Europe, nos 478-479, février-mars 1969, p. 139-148. 5. Significative à cet égard est l'éclosion de savants travaux comme la thèse d'A. Nicollct, le Roman sénégalais, miroir d'une société (Ecole pratique des hautes études, Paris, 1966), ou celle de G. Ngal, I'Evolution psychologique et intellectuelle d'Aimé Césaire : sentiment de réenracinement et conflit esthétique (doctorat, Fribourg, 1968) ; ainsi que l'interdiction périodique des œuvres de Fanon et de Vallières. De l'autre à l'un 333 Memmi romancier ne se distingue pas de Memmi essayiste, et les descentes aux enfers du médecin Fanon, dans la très grande tradition de Dante et de Daumier, sont aussi d'au- thentiques études cliniques qui peuvent à l'occasion avoir le poids d'un manifeste révolutionnaire. De fait, les écrivains de la francophonie cernent l'hom- me du xxe siècle dans sa complexité vécue et dans la plu- ralité de ses dimensions. Leurs œuvres sont le reflet, parfois grossi, c'est-à-dire plus aisément observable, d'une situa- tion où cet homme tend de plus en plus à se reconnaître. Au même titre que l'art moderne, qui fait désormais partie de notre sensibilité et de notre conscience (douloureuse), même lorsque nous préférons Gluck à Berg ou Vermeer à Klee6, elles offrent l'un des témoignages les plus éloquents qui soient sur la condition humaine contemporaine. De Madagascar, d'Afrique noire, d'Algérie, de Tunisie, de Belgique, des Antilles et du Québec (ne sont nommés que les territoires abordés ici), nous sont nées des littératures véritablement existentielles. Sartre ne s'y est pas trompé, lui qui a su entendre la négritude quand elle vagissait encore, qui révèle Memmi, préface Fanon et lutte pour Henri Alleg7. Beaux gestes d'humanité et de générosité, certes : l'équipe admirable des Temps modernes a toujours mené le bon combat, celui des faibles et des opprimés8. Mais, d'égale importance, 6. Comme le dit fort bien William Barrett, Irrational Man : A Study in Existential Philosophy, New York, Doubleday Anchor Books, 1962, chap, in : « The Testimony of Modern Art ». 7. Cf. « Orphée noir », publié en guise de préface à VAnthologie de Senghor (Paris, P.U.F., 1948, nouv. éd., 1969) et reproduit aussi dans Situations III (Paris, Gallimard, 1949) ; la note sur le Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur, d'Albert Memmi, parue dans les Temps modernes (n°s 137-138, juillet-août 1957, p. 289-292) et qui figure comme préface au Portrait du colonisé (Paris, Pauvert, « Libertés », 1966) ; la préface aux Damnés de la terre de Fanon (Paris, Maspero, « Cahiers libres », 1961) ; « Une victoire», dans Situations V (Paris, Gallimard, 1965), et aussi dans Henri Alleg, la Question (Paris, Pauvert, « Libertés », 1965, p. 99- 122). Dans le même ordre d'idées, il faut également lire Réflexions sur la question juive (Paris, Gallimard, 1954). 8. Voir à ce sujet l'indispensable étude de Michel-Antoine Bur- nier, les Existentialistes et la politique (Paris, Gallimard, « Idées », 1966) qui analyse avec une clarté et une précision exemplaires les 334 Études françaises VII, 4 actes de doctrine et qui engagent toute une conception de rhomme : l'Orphée noir, la victoire d'AUeg, la démystifi- cation des racismes et des ignominies de tout poil permet- tent à Sartre d'éprouver l'efficace de certains articles de la révélation existentialiste, de faire éclater en particulier l'une des valeurs les plus fondamentales de cette philoso- phie — de cette morale — soucieuse au plus haut point de la réalité concrète, quasi quotidienne, de l'homme. À savoir, qu'un être humain — le Nègre, le Juif, l'Algérien de 1958, le Québécois, et non pas l'homme de la nature humaine ou des universalismes faussement rationalistes, dénoncés aussi par Fanon 9 — se pose en fonction d'une situation donnée et se définit par un choix activement consenti. Si l'on se rappelle que le théâtre de Sartre est juste- ment un théâtre de situations, on verra comme il serait facile de multiplier ici les analogies. Césaire, l'Orphée noir descendu parmi les bêtes, c'est l'Oreste des Mouches retournant dans un pays qu'il va bientôt s'approprier, c'est-à-dire se rendre véritablement natal, et se trouvant face à un acte qui doit lui permettre, s'il l'assume, de rebâtir son identité jusqu'alors niée, ou ignorée. A l'inter- rogation qui marque chez le héros sartrien l'éveil de la conscience et de l'inquiétude libératrice : « Qu'est-ce qui est à moi 1 » (les Mouches, I, 2), répond la revendication célèbre : Ce qui est à moi, ces quelques milliers de mortifères qui tournent en rond dans la calebasse d'une Ue [...] Et à moi mes danses mes danses de mauvais nègre à moi mes danses avatars de la revue et de ses principaux collaborateurs face aux événements de la période 1945-1965. 9. Cf. Eenate Zahar, VŒuvre de Frantz Fanon, Paris, Maspero, 1970, p. 51-53 uploads/Litterature/ frantz.pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 03, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 1.3533MB