LA MIGRATION DANS LA CONCEPTION MUSULMANE passé, présent et avenir Sami A. Alde

LA MIGRATION DANS LA CONCEPTION MUSULMANE passé, présent et avenir Sami A. Aldeeb Abu­Sahlieh* 1995 saldeeb@bluewin.ch http://www.sami-aldeeb.com/ * Dr en droit, diplômé en sciences politiques; collaborateur scientifique pour le droit arabe et musulman à l'Institut suisse de droit comparé, Lausanne. Auteur notamment de l'ouvrage en français: "Les Musulmans face aux droits de l'homme: religion & droit & politique, étude et documents, Verlag Dr. Dieter Winkler, P.O.Box 102665, D­ 44726 Bochum, 610 pages (109 Sfr). 1 INTRODUCTION La première partie de cette étude traite de la migration, à la lumière du droit musulman classique. Le Droit musulman classique est un ensemble disparate d'institutions et de concepts juridiques accumulés depuis le 7ème siècle et basés sur deux sources principales: ­ Le Coran: Première source du droit musulman, il rassemble la révélation transmise par Dieu à Mahomet, entre l'an 610 et 632, date de la mort de ce dernier. Selon les musulmans, il s'agirait d'un écrit dont l'auteur n'est pas Mahomet, mais Dieu en personne. Le texte actuel du Coran a été établi 15, voire 20 ans après la mort de Mahomet. ­ La Sunnah de Mahomet: Deuxième source du droit musulman, elle désigne les récits, les gestes et les faits attribués à Mahomet, modèle infaillible selon le Coran et interprète de la volonté divine1. Ces récits se trouvent dans plusieurs recueils de hadith et dans les biographies et dont l'authenticité est souvent mise en doute. La deuxième partie essaie de voir comment les musulmans d'aujourd'hui, notamment ceux du monde arabe, perçoivent et vivent la migration et dans quelle mesure leur vision et leur attitude sont influencées par le droit musulman classique. I. LA MIGRATION EN DROIT MUSULMAN CLASSIQUE Nous commençons par dégager la conception de la migration selon le Coran et la Sunnah de Mahomet avant de voir ce qu'en ont fait les juristes classiques. 1. La migration dans le Coran et la Sunnah Le Coran utilise dans 27 versets le terme higrah (migration) et ses dérivés dans le sens de "abandonner"2. C'est ainsi que le mari doit abandonner sa femme désobéissante, seule dans le lit conjugal pour lui faire entendre raison (4:34) et le croyant doit fuir l'abomination (74:5). Mais le plus souvent ce terme est utilisé pour désigner 1 Le Coran dit: "Vous avez, dans le Prophète de Dieu, un bel exemple" (33:21; voir aussi 53:2­5 et 16:44). Souvent, il exige l'obéissance à Mahomet: "Ceux qui obéissent au Prophète obéissent à Dieu" (4:80; voir aussi 4:59 et 59:7). Dans son discours d'adieu, Mahomet aurait dit: "Je vous ai laissé deux choses d'après lesquelles vous ne serez jamais dans l'erreur: le Livre de Dieu et la Sunnah de son prophète". 2 2:218; 3:195; 4:34; 4:89; 4:97; 4:100; 8:72; 8:74; 8:75; 9:20; 9:100; 9:117; 16:41; 16:110; 19:46; 22:58; 23:67; 24:22; 25:30; 29:26; 33:6; 33:50; 59:8; 59:9; 60:10; 73:10; 74:5. 2 l'abandon d'un pays sous le pouvoir des mécréants pour rejoindre la communauté musulmane. La migration a marqué la communauté musulmane dès ses débuts. Les biographes de Mahomet nous rapportent comment ce dernier envoya certains de ses adeptes en Abyssinie pour les mettre à l'abri des persécutions des mecquois. Il leur donna un message à l'intention du roi d'Abyssinie lui demandant de bien les accueillir, de reconnaître qu'il est le messager de Dieu et d'abandonner l'orgueil3. Plus tard, Mahomet demanda au roi de devenir musulman pour avoir la vie sauve (Islim taslam), et de lui renvoyer les immigrés4. Ce qu'il aurait fait selon les sources musulmanes5. Toujours pour échapper aux persécutions, Mahomet, accompagné de certains de ses adeptes, quitta en septembre 622 la Mecque, sa ville natale et se dirigea vers Yathrib, la ville de sa mère, devenue Médine. C'est le début de l'ère musulmane, l'ère hégire, de la migration. Ceux qui quittèrent pour aller à Médine portèrent le nom de muhagirin (les immigrés). Ceux qui les ont accueillis furent appelés ansar (les supporteurs). Des musulmans, cependant, sont restés à la Mecque et continuèrent à vivre secrètement leur foi. Contraints de participer au combat contre les troupes de Mahomet, certains y perdirent la vie. C'est alors que fut révélé le passage suivant: Introduction I. La migration en droit musulman classique 1. La migration dans le Coran et la Sunnah 2. La division Dar al-islam / Dar al-harb 3. La migration à l'intérieur de dar al-islam 4. La migration du harbi vers dar al-islam 5. La migration du musulman vers dar al-harb 6. Musulmans dont le pays est devenu dar harb II. Situation actuelle 1. Dar al-islam, dar al-harb et l'État-nation 2. Migration à l'intérieur de dar al-islam A. Nationalité, naturalisation et loi applicable B. Bidun/apatrides C. Réfugiés palestiniens D. Main-d'oeuvre étrangère ou arabe 3. Migration des musulmans vers dar al-kufr A. Position des musulmans vivant dans dar al-islam B. Position des immigrés: cas des Maghrébins en France a) Hostilité à l'égard des Maghrébins b) Du retour à l'intégration c) Que faire des autres? d) Position des pays d'origine des migrants 3 Hamidullah: Al­watha'iq al­siyassiyyah, p. 100. 4 Hamidullah: Al­watha'iq al­siyassiyyah, pp. 103­104. 5 Hamidullah: Al­watha'iq al­siyassiyyah, pp. 104­107. 3 4. Musulmans dont le pays est devenu dar kufr A. Colonisation B. Situation actuelle Conclusion Bibliographie Ce passage demande à tout musulman, vivant en pays de mécréance, de quitter son pays pour rejoindre la communauté musulmane, s'il le peut. D'autres versets vont dans ce même sens (4:100; 9:20). Le but de cette migration était de se mettre à l'abri des persécutions, d'affaiblir la communauté mécréante et de participer à l'effort de guerre de la nouvelle communauté. Aussi, le Coran parle conjointement de ceux qui ont émigré et ont fait le gihad (2:218; 8:72, 74 et 75; 8:20; 16:110). Le verset 8:72 établit une alliance entre les immigrés et ceux qui leur donnent l'hospitalité. Il interdit de nouer une telle alliance avec les musulmans qui restent dans le pays de mécréance "tant qu'ils n'auront pas émigré". Mais si ces musulmans, restés en dehors de la communauté, demandent de l'aide "au nom de la religion", la communauté musulmane doit les secourir, sauf s'il s'agissait de combattre un peuple avec lequel la communauté musulmane avaient conclu une alliance. Le verset 4:89 demande aux musulmans de ne se fier aux mécréants que s'ils émigrent vers la nouvelle communauté, en signe d'allégeance et de conversion (4:89). Le Coran accuse une méfiance à l'égard des nomades, ces éternels migrants sans domicile fixe qui déclaraient leur allégeance à Mahomet et par la suite retournaient dans le désert (ta'rib), échappant ainsi à son contrôle, dans un moment critique où la nouvelle communauté avait besoin de guerriers pour se défendre et s'étendre (9:97; 9:90, 99, 101, 120 et 49:14). Les immigrés avaient tout abandonné derrière eux et ils étaient appelés à rompre tout lien avec les mécréants, y compris les liens familiaux (9:23). Ils se trouvaient dans le dénuement total. Ils devaient alors être pris en charge par les autres membres de la communauté. Le Coran incite les riches à les aider (24:22). L'accord établi par Mahomet, entre les immigrés, les ansar et les juifs vivant à Médine, affirme que ces trois groupes constituent une seule communauté6. Le Coran consacre une part du butin de guerre aux immigrés et il les place même avant les résidants (59:8­10). Il établit une fraternité entre les croyants (49:10; 3:103; 9:11) impliquant des droits successoraux7, droits réservés par la suite aux seuls parentés (33:6). Mahomet conquit la Mecque en 630; il déclara la fin de la migration et la remplaça par la promesse de participer au combat8. Mahomet aurait cependant dit: "la migration [vers la communauté musulmane] ne prend pas fin tant que les mécréants 6 Hamidullah: Al­watha'iq al­siyassiyyah, p. 59. 7 Ce qui nous rappelle la communauté qui existait entre les premiers chrétiens (Actes des apôtres 4:32­34). 8 Ibn­al­Athir Al­Gazari: Gami' al­ussul fi ahadith al­rassul, vol. 11, pp. 606­607. 4 sont combattus"9. Ceci concernerait la migration d'un pays non conquis vers le pays musulman. 2. La division Dar al­islam / Dar al­harb A partir du Coran et de la Sunnah, les légistes musulmans ont partagé le monde en deux: Dar al­islam (pays d'Islam), et Dar al­harb (pays de la guerre) ou Dar al­kufr (pays de mécréance). Dar al­islam comprend tous les pays placés sous domination islamique, que les habitants soient musulmans ou non. De l'autre côté de la frontière se trouve Dar al­harb qui, un jour ou l'autre, passera sous le pouvoir musulman. Quels doivent être les rapports entre Dar al­islam et Dar al­harb? Avant le départ de Mahomet de la Mecque, le Coran intimait aux musulmans de ne pas recourir à la guerre, même s'ils étaient agressés: "Sois patient! Ta patience vient de Dieu. Ne t'afflige pas sur eux. Ne sois pas angoissé à cause de leurs ruses" (16:127; voir aussi 13:22­23). Après le départ de la Mecque et la création de l'État musulman à Médine, les musulmans furent autorisés à combattre ceux qui les combattaient (22:39­40). Ensuite, devenus forts, ils reçurent l'ordre de combattre ceux qui les agressaient et de faire la paix avec ceux qui voulaient la paix (2:190­193; voir aussi 2:216 et uploads/Litterature/ french-la-migration-dans-la-conception-musulmane-1995.pdf

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