CHANSONS DE GAGE BRULE PUBLIEES PAR GËDÉON HUET PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT

CHANSONS DE GAGE BRULE PUBLIEES PAR GËDÉON HUET PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT ET C" RUE JACOB, 56 M DCCCCII Publication proposée à la Société le 20 juin jSo~ Approuvée par le Conseil dans sa séance du 21 novembre 1894, sur le rapport d'une Commission composée de MM. P. Meyer, G. Paris et G. Raynaud. Commissaire !'Mp<M.MMe M. P. MEYER. INTRODUCTION I. – CE QU'ONPEUTSAVOIR DE LA VIEDEGACE. On a longtemps cru posséder un texte précis et probant sur l'époque où notre chansonnier flo- rissait dans les C~OH~Me~ de Saint-Denis. Parlant de Tibaut II, de Champagne, et de son amour pour Blanche de Castille, les C~roK~MM ajoutent « Et pour ce que parfondes pensées engendrent melancolie, ly fu il loé d'aucuns sages hommes qu'il s'estudiast en biaux sons de vielle et en dous chanz delitables. Si fist entre luy et Gace Brulé les plus belles chançons et les plus delitables et melo- dieuses qui oncques fussent oïes en chançon ne en vielle. Et les fist escripre en sa sale à Provins et en celle de Troyes, et sont appellées les CT~HCOK~ ~ZM ~q~- de Navarre, car le royaume de Navarre luy eschëy. » 2. i. Voir sur le nom de Gace l'appendice,à la fin de l'Intro- duction. 2. Les grandes Chroniques de France, édit. P. Paris (Paris, i838, in-12), IV, 264, 255. Sur le nom de Gace Brulé, l'éditeur remarque: H INTRODUCTION Fauchet, qui fut le premier à se servir de ce pas- sage pour la biographie de Gace, dit que le roi de Navarre « le prist pour compagnon afin de l'aider en ses chansons et complaintes amoureuses ». Fauchet avait donc compris que si fist entre luy et Gace Brulé voulait dire « il fit en collaboration avec G. B. » Près de deux siècles plus tard, Lévesque de la Ravallière, dans son édition des chansons du Roi de Navarre~, comprit le passage comme l'avait fait Fauchet, mais il mit en doute l'exactitude du renseignement il établit que Gace n'a pas travaillé avec le Roi, qu'il ne lui a adressé aucune pièce, qu'il ne l'a pas connu. P. Paris, dans le remar- quable article qu'il consacra à Gace dans l'Histoire littéraire de la France, cita des faits, sur lesquels nous reviendrons, qui semblent montrer que l'activité poétique de Gace se place à une époque antérieure à celle de Tibaut de Champagne; en outre, il proposa une nouvelle explication du pas- nce motest corrompudanspresquetouslesmanuscrits.Je ne l'ai vu correctementreproduitque dansceluide Charles V. Lema- nuscritqueP. Paris désigneainsiest lems.83o5del'ancienfonds de la Bibl. Nat., actuellementle 28i3 du fondsfrançais.P. Paris remarque,dans la listedes mss. placéeà la fin de son édition (VI,5o3),quelems.de labibliothèque SainteGeneviève (n°actuel 782) qui, d'après lui, serait l'original immédiatdu ms.2813, a égalementla bonne leçon. Danssa liste, P. Paris indique, pour chaque manuscrit,la façondontle nomde GaceBrulé est écrit ou plutôt estropié dans ce passage nous pouvonsajouterque des trois manuscrits que P. Paris n'avait pas à sa disposition au momentoù il préparaitson édition(B. N. fr. 2619,4979 et 17270)les deux premiers portent Gaste Brulé, le troisième, Gate&rMe/e. i. Recueil de l'originede la langueet de la poésiefrançoise, Paris, :58i, in-4.°,p. 122. 2. Les Poésies du Roi de 7V~Mt-)-e (Paris, 1747, in-i2), I, 233- 236. INTRODUCTION III sage d'après lui, le chroniqueur a voulu dire, en style plus moderne, qu'avec celles de Gace, les chansons du Roi de Navarre étaient les plus belles connues L'observation de P. Paris nous semble avoir un grand poids. Il serait facile de citer des passages où la locution A. fist entre lui et B. telle chose, ou Entre A. e~?r6K~ telle chose a un sens qui exclut toute idée de collaboration et indique simplement qu'A. fit la chose aussi bien que B. Ainsi, Renart, br. XIII, 2070 (édit. Martin), Renart dit à Bri- chemer Vos me soliés tant amer Entre vos et sire Grimbert. « Vous m'aimiez tant autrefois, vous et Grim- bert. » Un passage encore plus probant, est celui de Girbert de Montreuil, Roman dei la ~z'o- /e~e,p.28 Plus savoit la vielle d'engin Qu'entre Tessale ne Brengien Ne sourent onques. Ici, toute idée de collaboration commune est exclue, Tessale et Brengien figurant dans des ro- mans différents, Cligès et TrM~M, et n'ayant jamais pu s'entendre pour ourdir une ruse ou fabri- quer un philtre Maintenant, l'explication de P. Paris est-elle la seule possible? II y a des passages où la locution semble avoir un sens plus précis, indiquer un acte i..H'o:)-e littéraire,XXIII,564. 2. Voyez d'autres exemples analogues, Joinville, édit. de Wailly, § i5i, t~S, 611. IV INTRODUCTION fait en commun/de concert On peut remarquer, en outre, que le sens proposé suppose une assez forte ellipse « On lui conseilla de composer des chansons. C'est ce ~M~ (sous-entendu); les chan- sons qu'il composa sont, avec celles de G. B., les plus belles qui existent. I! est vrai, d'autre part, que nous ne devons pas interpréter un écrivain du moyen âge avec nos habitudes modernes de logique. Écartant donc, jusqu'à nouvel ordre, ce témoi- gnage, ou douteux, ou suspect d'inexactitude, nous allons en citer d'autres, qui nous obligent à placer l'activité poétique de Gace, ou au moins la plus grande partie de cette activité, dans une période antérieure à celle du roi de Navarre. Le premier a déjà été signalé par P. Paris (notice citée, p. 568). Le Roman de la Violette de Girbert de Montreuil, où des couplets de chansons sont cités et mis dans la bouche des personnages du récit, en donne ~'OMde Gace, qui était, par conséquent, au moment où le roman fut écrit, un poète bien connu et po- pulaire. Or, le roman a dû être composé en l'an 1225 ou peu de temps après, puisque, dans l'épi- logue, l'auteur, faisant l'éloge de la comtesse Marie de Ponthieu, fait allusion à l'accord conclu cette i..HMOK de Bordeaux, v. Boo~, édit. Guessard J'a~: a cort entre moi et ma gent. Ga!(/t-e!, édit. Guessard, v. 7959 Entre lui et sa gent si ont assis Morhant. Renaus de Montauban, p. i3, 29-30 Entre lui et Gzt-~t-t, qui mout s'avaient chier, Assés le ~HM-roterent au fer et l'acier. Ménestrel de Reims, éd. de WaiUy, § ~.i~. et Isengrirzs prent ses sacs entre h<! et son c/Mt't'etO! Voir d'autres exemples chez Diez, GraMt., 3eed.H, 408 note (traduction française de Morel-Fatio et G. Paris, III, 3~6 note); Godefroy, Dict., au mot EXTRE n" 4. INTRODUCTION V année, à Chinon, entre la comtesse et Louis VIII, par lequel le roi lui rendit une partie de ses terres, confisquées à la suite de la révolte de son mari, Simon d'Aumale En outre, le nom de Barthé- lemy de Roye, qui est cité parmi les témoins de l'accord, se retrouve dans le roman (p. 286). Tout ceci ne s'explique bien que si l'on admet que Gir- bert de Montreuil fait allusion à un fait heureux et récent, résultat de l'habile diplomatie de la dame à qui il dédie son œuvre. Nous pouvons donc ad- mettre que vers 1225, c'est-à-dire au moment où la carrière poétique de Tibaut ne fait que com- mencer, Gace est déjà un poète bien connu. Des travaux récents nous permettent de remonter encore plus haut. Le Roman de la Violette est une imitation du Roman de la Rose (ou Guillaume de Dole) l'auteur de ce dernier poème déclare expres- sément qu'il est le premier qui ait inséré des chan- sons dans la trame de son récit, ce qui est une « nouvelle chose » (vv. 10 et ss.). Or, deux de ces chansons sont de Gace, qui était donc déjà célèbre avant la composition du poème de Girbert de Mon- treuil, au moment où fut composé le roman qui servit de prototype à Girbert. Mais les déductions ingénieuses de l'éditeur de Guillaume de Dole nous permettent d'être plus précis. D'abord, ce roman a été composé avant la bataille de Bouvines(i2i4), puisque chevaliers français et allemands y figurent comme vivant en bonne harmonie, et que le comte i. Roman de la Violette, éd. FrancisqueMichel(Paris, 1837), p. 286et note: comp. p. m note.Voir pour les actes, Daire, Histoire d'Amiens,I, 524; cf. Art de j'er~r les dates, Paris, 1783,11, 755,col. i. VI INTRODUCTION Renaud de Boulogne, vaincu et prisonnier à Bouvi- nes, y est mentionné comme un personnage acclamé et populaire. De plus, le poète a introduit dans son œuvre plusieurs personnages contemporains, entre autres un comte de Champagne, qui ne peut être que Tibaut III, mort le 24 mai 1201. La mention d'une aventure d'amour de Gaucher de Joigny, qui doit se placer dans la jeunesse et avant le mariage de ce personnage, qui prit femme entre i 203 et 1207, nous ramène également au commencement du xin~ siècle. Enfin, la dédicace de ce poème tout chevaleresque à Milon de Nanteuil, fait supposer que le roman aura été composé avant l'entrée de Milon dans la vie religieuse, qui eut probablement lieu avant 1202, puisque nous le trouvons en cette année faisant partie du chapitre de Reims et can- didat à la succession de l'archevêque Guillaume I. Guillaume de Dole ne peut donc être postérieur uploads/Litterature/ gace-brule-chansons.pdf

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