Le Mariage de Figaro repose-t-elle vraiment comme BEAUMARCHAIS la présente dans
Le Mariage de Figaro repose-t-elle vraiment comme BEAUMARCHAIS la présente dans sa célèbre préface, sur « la plus badine des intrigues » ? Le dramaturge déjà n’y croit pas tout à fait, et oppose un peu plus loin, à cette légèreté annoncée, le problème dérangeant des « disconvenances. » Plus tard, Christopher RAUCK, dernier metteur en scène de la pièce au Français, insiste sur l’ « ambiguïté » des personnages et note bien « l’apparence d’une folle journée ». Tout semble ainsi corroborer, du 18e siècle à nos jours, le commentaire qu’Yves MORAUD fait de la pièce, un « passage du jeu au je », autrement dit, de la frivolité ludique au sérieux de l’affirmation de soi. Dans quelle mesure Le Mariage de Figaro, deuxième volet de la trilogie de BEAUMARCHAIS, cette comédie en cinq actes tout de même, répond-il à la définition d’un « jeu » ? Ensuite, où situer ensuite le moment où l’on bascule dans les enjeux plus adultes ? La pièce se résume-t-elle à cet oxymore appliqué aux dernières œuvres de Molière, une « comédie sérieuse » ? Nous verrons d’abord ce qui fait de la pièce un apprentissage, permettant de passer du rire aux larmes, de la légèreté à la gravité. Puis nous verrons que la pièce est moins duale que ce que Yves MORAUD en présente, en ce que tout au long de la pièce, c’est l’ambivalence, au moment, qui prévaut, avec sérieux et légèreté concomitants. Enfin, nous nous demanderons de quel « jeu » on parle dans le Mariage de Figaro, et si ce « jeu » a jamais été ludique. Une première lecture permet de penser Le Mariage de Figaro comme une évolution lente, justifiant le déploiement en cinq actes, de l’âge enfantin à l’âge adulte, du « jeu » au « je ». L’auteur présente d’emblée sa pièce comme une « comédie ». Et de fait, bien des éléments, farcesques et spectaculaires, justifient ce rattachement au genre que La Poétique d’ARISTOTE admettait comme « vulgaire » autrement dit, populaire et facile. Le texte est, contrairement aux tragédies cornéliennes ou raciniennes, en prose, c’est-à-dire accessible et ne nécessitant aucune médiation intellectuelle ni aucun effort de compréhension au-delà du littéral, la plupart du temps. Quand le héros éponyme lance à Suzanne : « tu n’as pas idée de mon amour », ou quand il défie le comte, « vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus », le propos est sans ambages. Outre la transparence du propos, si celui-ci se met à être plus imagé, ce n’est pas pour gagner en poésie mais au contraire, par la suggestion, attiser les pensées grivoises : quand Suzanne (I, 1) conseille à Figaro ne pas trop se frotter la tête (« S’il y venait un petit bouton, des gens superstitieux… »), elle ne suggère rien de moins que la pousse des cornes du cocu, insinuation triviale qui doit faire rire le plus grand nombre. Les procédés mis en œuvre sont au service du rire et du divertissement : comique de situation avec Chérubin dissimulé (en I, 8) sous le fauteuil comme le confirme la didascalie (Elle s'approche du fauteuil pour masquer Chérubin.) ou Chérubin déguisé (II, 6) faisant s’exclamer Suzanne qui s’improvise costumière : « Madame, il est charmant ! ». La mécanique comique, le comique de répétition, fonctionne aussi en III, 5 avec la reprise incessante de « God-dam » par Figaro. Plus on avance dans la pièce, plus le registre comique se double de tonalités plus graves. Ainsi, le registre polémique, avec les prises de parole de Marceline, ouvertement féministes : le point de bascule serait l’acte médian avec la première tirade féministe, en III, 6 (« Hommes plus qu’ingrats… »), suivie par le monologue de l’acte IV scène 16 où Marceline défend « notre pauvre sexe opprimé ». Les monologues se multiplient jusqu’au fameux V, 3 dévolu au valet, Figaro, particulièrement soigné par l’auteur : expressivité marquée, mouvements fréquents de Figaro (qui se lève, se rassied), emploi de termes renforçant le pathos («malheur », « tourments ») ou engageant des notions philosophiques (« bizarre », « destinée »). Tout l’enjeu sérieux, philosophique de la pièce, donne l’impression de s’être concentré en fin de pièce ; le terme « liberté » apparaît quatre fois dans la pièce, et les quatre occurrences ont patienté jusqu’au monologue (V, 3) pour surgir. L’identité de Figaro semble renforcée avec, pour le seul monologue, 18 occurrences du pronom complément (« moi », « me », « m’ ») mais 27 pour le pronom sujet (« je »). Le personnage y justifie plus que jamais son titre de « protagoniste ». Pouvons-nous nous satisfaire de la lecture graduelle du Mariage de Figaro où l’on pourrait déceler un passage de la légèreté ludique à la gravité sérieuse ? Et si, au contraire, toute la complexité de la pièce et son audace, aussi, ne consistait pas à maintenir durablement la coexistence de deux tonalités et deux projets concomitants autant que contrastés ? La prose de la « folle journée » concurrence dès le début le signalement d’une pièce en « cinq actes », découpage ample emprunté aux tragédies : le lecteur est prévenu, tout cohabite avec tout, le pire et le meilleur, la comédie et la tragédie. De la même façon, la comédie grivoise en I, 1 avec la mention du lit, qui occupe la réplique liminaire (« dix-neuf pieds sur vingt-six ») mais aussi le drame avec la mention du « tort », de la « chose dangereuse », du « péril », du « piège ». Le propos est d’emblée ambigu, facile et grivois avec les onomatopées (« crac », répété), et les « sauts » du comte dans le lit de Suzanne, et plus philosophique avec l’évocation du « secret », de la « surprise » et des gens « superstitieux. » Quand Figaro se fait philosophe en V, 3 et parle de la « destinée » et de la « bizarre suite d’événements », il n’improvise rien : cette portée philosophique de la pièce, qui réfléchit aux coups du sort et à la providence, a toujours été là. Si l’on peut de prime abord se réjouir que le personnage qui n’était nommé qu’en troisième position (derrière le Comte Almaviva, d’abord envisagé par l’auteur comme héros de la pièce, puis la Comtesse) devienne auquel échoit la conclusion de la pièce (FIGARO, saluant les spectateurs. « Ma femme et mon bien mis à part, tous me feront honneur et plaisir. »), il ne faut pas négliger que c’était déjà lui auquel revenait le privilège de la commencer (réplique initiale : « Dix-neuf pieds sur vingt-six. »). Enfin, peut-on sûrement déterminer une première partie qui relèverait du « badinage » et une fin plus sérieuse ? La dernière scène (V, 19) rappelle l’impératif comique à plusieurs reprises dans les didascalies stipulées par l’auteur : « En riant » (didascalie appliquée au Comte puis à Bartholo), « avec une colère comique » (désignant le ton employé par Figaro). La place du grand monologue (V, 3) tendrait à faire oublier que ce n’est pas le seul de la pièce, et que tous les monologues ne sont pas, contre toute attente, schématiquement repoussés en fin de pièce ; en fait, ils se répartissent assez équitablement entre les actes : I, 2 pour Figaro (court monologue du protagoniste), court monologue de I, 6 pour Suzanne ; en II, 11 une phrase de réplique pour la comtesse prise au dépourvu, puis en II, 15 pour Suzanne, de nouveau II, 25 pour la comtesse décidément agitée. L’acte III compte trois monologues, les trois pour le comte qui porte donc à lui seul tout le sentiment de crise en milieu de pièce : III, 4 puis III, 8 et enfin III, 11. L’acte IV réserve deux monologues, le fameux IV, 16 pour Marceline et le IV, 20 par Brid’oison. L’acte V comprend deux monologues très inégaux (dans leur format comme dans leur vocation) : le V, 1 pour Fanchette et le célébrissime V, 3 de Figaro. Ce qu’on peut retenir de ce balayage rapide des parties monologuées de la pièce, c’est que la plupart des personnages y ont droit, quelles qu’en soient la longueur ou la force dramatique, et qu’aucune phase de la pièce n’est épargnée, battant en brèche l’idée séduisante d’un début de pièce inoffensif et d’une fin de pièce où les individualités, dans la solitude de l’acte déclamatoire, se révéleraient. Moins que d’un passage, il s’agit plutôt d’une agitation permanente, qui correspond à l’idée de « disconvenance » chère à l’auteur et qui ne s’applique pas qu’à la sphère sociale, mais bien aussi à la gestion esthétique d’une pièce où tout cohabite avec tout : on n’attend pas la fin de la pièce pour enfin voir émerger le « je », et en contrepartie, on ne renonce jamais non plus au « je ». Mais de quel « jeu » parle-t-on ? Le « jeu » dont parle BEAUMARCHAIS n’est pas le « uploads/Litterature/ le-mariage-de-figaro-dissertation-correction-version-4p.pdf
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- Publié le Mai 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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