GÉRARD MORDILLAT , A JEROME PRIEUR JÉSUS " ayres JESUS L'origine du christianis

GÉRARD MORDILLAT , A JEROME PRIEUR JÉSUS " ayres JESUS L'origine du christianisme , EDITIONS DU SEUIL Toutes les citations de la Bible et du Nouveau Testament sont extraites de la dernière édition de la Bible de Jérusalem aux Éditions du Cerf (1998). ISBN 2-02-051249-1 il:> ÉDITIONS DU SEUIL. MARS 2004 Le Ccxk de III proprit'tt' mle"lIe"cl1lelle" Inle"rdit le"' ("(lpje-, ou reproduCtif'"' dc,tin&, fi une" ulihStltion coltttll\t: l'nuit rcpré<.entllllon ou rcprooucliQll intt'grnle ou p:lnielle fmll:! psr quelque p~t' que tc" $[)U. ~a n, le con'iCntemenl de I"auteur ou de !>eS ayants cau"C. e'l Illicite et Cooiolilue une contrduçon ..unclionntt pur le" Imicle~ L : \"\5·2 I:!t suivanl.§ du Code de la propnétt Intellectuelle. www.seuil.com « La IOrtue poussa un long soupir et dit : - C'est très curieux. - C'est aussi curieux que possible. dit le Griffon. » Lewis Carroll. Alice 011 pays des merveilles La source miraculeuse Le christianisme domine le monde occidental depuis près de vingt siècles. Est-il possible aujourd 'hui d'en retrouver l'ori- gine, d'en dé igner le point de départ, ou s'agit-il d'une entre- prise aussi vaine que de rechercher le fleuve qui prendrait sa source dans la mer? Le mot « source » n'est pas indifférent. C'est celui qu'utilisent les historiens elles exégètes du Nouveau Testament pour dési- gner les documents sur lesquels ils travaiUent. Car, contrairement à ce que certains croient ou voudraient croire, le christianisme n'a laisséd'autres traces dans l'Antiquité que des livres. Pas de ves- tiges, pas de reliques, pas d'images: que du lexte. Et c'est souvent vertigineux. La première difficulté, et peut-être la plus grande, est que le poids de la tradition chrétienne, le poids des siècles d' interpré- tation et d'illustral'ion lestent terriblement notre lecture. La deuxième difficulté est d'accepter ces écrits sans préjugés, sans œillères, pour ce qu'ils sont: de la littérature. Trop souvent les chercheurs lisent les textes du Nouveau Testament comme s'ils avaient été écrits par des rédacteurs qui leur ressemblent, des savants, des universitaires disposant de documents et de témoi- gnages recueillis et compilés au fil des ans. Leur réflexion intègre rarement la création littéraire et lorsqu'ils sont ame- nés à la reconnaître, il y a toujours dans cette découverte comme l'expression d'une défaite. Le sentiment d'être dans 9 JÉSUS APRÈS JÉSUS une impa e, de devoir avouer un fait honteux el douloureux, comme si la littérarure ne pouvait croître que sur le mensonge. Nous voulons approcher les textes du Nouveau Testament en dehors du présupposé qu'ils seraient néce sairement sortis de la fameuse source miraculeuse d'où jailijt l'hi toire. À tout instant nous voulon nous demander si ces textes n'ont pas été écrits dans un autre but que de la dire, de la dire vraie, de la dire, à la postérité. Notre volonté n 'cst pas pour autant de couper le lien ombi- lical entre l'histoire et la littérature. Notre témérité, pour le coup, serait bien grande. Nous savons, bien sûr, que l'histoire n'est pas composée que de « faits bruts ». Mais nous savons aussi que, si dans le récit évangélique par exemple il se trouvait d'autres faits bruts aussi incontestables que la crucifixion de Jésus, la tâche des historiens serait grandement facilitée ... Face aux silences de la tradition, face à leur ignorance (qui le nierait sérieusement ?), mais aussi face à leur responsabilité (produire un récit cohérent, dramatiquement, symboliquement, théologiquement), les rédacteurs ont nécessairement obéi à un « projet d'écriture » . Qu'ils écrivent bien ou mal, qu'ils soient d'une naïveté parfaite ou d'une redoutable malice, ce sont - sans craindre la tautologie - des écrivains ! La prise en compte de cette dimension littéraire est essentielle à notre com- préhension de l'émergence du christianisme. La littérature ne doit pas céder le pas devant l'histoire. Au contraire. « La plus grande réussite du christianisme, écrit Pierre Geoltrain, c'est sa littérarure. Le christianisme s'est construit en construisant sa littérature. C'est le grand œuvre de ces générations-là. Elles ont inventé le genre "évangile", fabriqué leur hi toire en l'écri- vant, copié, imité, et élevé un véritable mémorial littéraire, légué aux générations suivantes qui, par la lecturc, remplissent leur devoir de mémoire, mais que l'historien doit visiter pour faire valoir le droit de l'histoire 1. » 1. Aux origines du christianisme (Gallimard, 2000). préface. 10 LA SOURCE MIRACULEUSE Nous voulons reconstiruer la formation du ch ri tianisme en à peine plus d'un siècle en lisant les épîtres de Paul qui sont, avant les évangiles, les écrits les plus anciens du Nouveau Tes- tament, en lisant les Actes des Apôtres, le seul récit à prétendre rapporter ce qui s'est passé dans les années qui ont suivi la mort de Jésus, en lisant comment tous les texte dialoguent entre eux, se disputent, se répondent ou s'ignorent, en lisant les conclusions qu'en ont tirées les premiers intellectuels chrétiens, les Pères de l'Église comme leurs adversaires, les « hérétiques » . Voici les sources qui doivent être interrogées, scrutées, questionnées jusque dans leurs incohérences et leurs contra- dictions, pour voir comment elles ont fabriqué de l'intolérance, comment chaque mot a pesé dans l'histoire, comment chaque phrase repense, réécrit, réinvente la généalogie du mouvement des différentes sortes de partisans du Christ Jésus, cette croyance qui aurait pu demeurer ce qu'elle a d'abord été : une façon particulière d'être juif. Tout commence vers l'an 30 - à l'intérieur du judaïsme et sans autre horizon qu'Israël -, et l'essentiel est en place vers ISO, quand les chrétiens, accaparant les Écrirures juives, confisquant l'histoire biblique, se revendiquent comme Verus Israël, le véritable Israël, et dénient aux juifs le droit de s'en prévaloir. La rencontre du cluistianisme et de l'Empire romain, dont il devient la religion officielle, lui permettra, deux siècles plus tard, de se propager à travers tout l'Occident. Désormais, Dieu et l'État ne feront plus qu'un, et les juifs incarneront la figure du Mal. Quels meilleurs témoins de la rupture entre le christianisme et le judaïsme avons-nous que les vingt- ept livres du Nouveau Testament ? 1 Jésus après Jésus Selon la célèbre formule d'Alfred Loisy dans L'Évangile et l'Église, « Jésus annonçait le royaume et c'est l'Église qui est venue» 1. Vers l'an 30 de notre ère, Jésus meurt crucifié par les Romains, sous l'accusation de « roi des juifs ». Trois siècles plus tard, précisément en l'an 312, l'empereur Constantin se convertit au christianisme, qui deviendra bientôt (en 380) reli- gion officielle de l'Empire romain. Aujourd'hui, au Vatican, siège l'Église catholique, apostolique et romaine ... Rome a supplanté Jérusalem. Extraordinaire retournement de l'histoire. L 'homme-Dieu Le prophète galiléen, le guérisseur, le juif obscur « né de la lie du peuple », comme disait Voltaire, est devenu en quelques dizaines d'années, sous la pression conjuguée de la foi primi- tive et des circonstances de l'histoire, un être extraordinaire, un homme échappant au sort commun de l'humanité. Jésus le nazôréen, engendré de manière miraculeuse puis, après une fm brutale, revenu d'entre les morts de façon tout aussi surnatu- relle, parviendra assez rapidement à être proclamé Fils de Dieu. l. Alfred Loisy. L'Évangile et l'Église (1904; Noési'. 2001). 13 JÉSUS APRÈS JÉSUS Dans la tradilion d' 1 raël la plupart des juifs sont fils de Dieu, à tout le moins les plus sages et les plus vénérables d'entre eux. Mais Jésus va l'être à titre posthume dans un sens de plus en plus littéral et par conséquent de plus en plus exté- rieur au judaïsme. De fils de Dieu, Jésus va se muer en Fils unique du Père - « l' Unique engendré », dira l'évangile selon Jean. Ainsi l'expression « fils de Dieu» recevra-t-elle une acception simultanément métaphysique et biologique. Sidérante révolution à l'intérieur du monothéisme juif puisque, dès lors, d'un point de vue théologique, Jésus pourra devenir l'image de Dieu, l'incarnation de Dieu, Dieu incarné, Dieu fait homme. Même s'il faudra attendre quelque siècles avant que ne soit tranchée la nature de sa divinité, Jésus sera homme et dieu à la fois, l'homme-Dieu. Deux points capitaux sont en jeu. Primo, certes il s'agit toujours pour le christianisme de reconnaître le Dieu unique, mais le Dieu unique se dédouble voire se démultiplie (le Père, le Fils, le Saint Esprit) ; ce qui est une façon de rendre compatibles le monothéisme juif et le poly- théisme païen. Secundo, le Dieujuif, qui ne peut être ni représenté ni même nommé sous peine de n'être plus qu'une idole, devient identi- fiable. Jésus lui apporte une identité, lui prête un visage. Un visage que personne ne peut connaître mais que l'extraordi- naire projection de la peinture chrétienne donnera l'illusion d'avoir vu. C'est en 325 au concile de Nicée, convoqué sur l'ordre de l'empereur Constantin, qu 'est enfm fixée la doctrine de la divi- nité du Christ. Il s'agit de l'afftrmer avec force, d'en souligner la primauté pour combattre l'influence grandissante d'Arius, un prêtre d'Alexandrie, qui enseignait qu'eUe était seconde par rapport à ceU e du Père. Mais ce concile se révélera insuffisant pour établir une orthodoxie en bonne et due forme. Un demi- sièclc plus tard, uploads/Litterature/ gerard-mordillat-prieur-jesus-apres-jesus-origines-du-christianisme-bible-evangiles-juifs-chretiens.pdf

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