Gregorianum 71, 4 (1990) 679-695 La théologie et l'exégèse de Marcel d'Ancyre s
Gregorianum 71, 4 (1990) 679-695 La théologie et l'exégèse de Marcel d'Ancyre sur I Cor 15:24-28 Un schème hellénistique e η théologie trinitaire I Cor 15:24-28 avait déjà une importance considérable chez Origène1. Elle s'est de nouveau imposée à l'attention après Nicée en raison de l'interprétation que lui donnait Marcel d'Ancyre, dans un livre dont il ne nous reste que des fragments transmis par Eusèbe, mais assez nombreux et assez longs pour permettre de reconstituer les grandes lignes de sa pensée. Ce travail a été fait depuis longtemps par Zahn2, Loofs3 et Gericke4. Chez Marcel, toute distinction réelle en Dieu est exclue. Il faudrait donc entendre l'homoousios de Nicée au sens de ταύτούσιος. La monas divine s'est cependant déployée suivant les étapes de l'économie, dans le Pére, le Fils et l'Esprit Saint. Dans une première phase, correspon dant à la création, le Logos émerge en quelque sorte de la puissance paternelle sans en ètre séparé. La deuxième phase va de l'Incarnation du Verbe jusqu'au soir de Pàques: c'est le temps de l'économie suivant la chair. Vient enfin la troisième qui commence par la mission de l'Esprit (Jn 20:22). Ainsi Dieu s'est fait trine en trois moments. Comme l'économie a eu un commencement, elle aura aussi une fin. Elle ne dure que le temps du cycle qui doit ètre parcouru pour notre salut. Le déploiement trinitaire ad extra apparali de la sorte comme un «épisode» 1 «Cette citation est de beaucoup la plus importante des citations que fait Origène pour formuler sa conception du salut. Le but inlassablement poursuivi par Dieu est le retour de l'homme à sa place auprès de Dieu» (M. Harl, Origène et la fonction révélatrice du Verbe Incarni, Paris, 1958, p. 110, n. 33). «Innombrables sont les textes qui commentent ou citent, ne fùt-ce que par simple allusion, I Cor 15:24-28. Le volume III de la Biblia Patristica (Paris, 1980) consacré à Origène seul signale 177 références» (H. Crouzel, «"Quand le Fils transmet le Royaume à Dieu son Pére": l'interprétation d'Origène», Studia Missionalia 33 (1984) 368. 2 T. Zahn, Marcellus von Ancyra. Ein Beitrag zur Geschichte der Theologie, Gotha, 1867. 3 F. Loofs, Die Trinitàtslehre Marcells von Ancyra und ihr Verhàltnis zur alteren Tradition, Wien, 1902. 4 W. Gericke, Marceli von Ancyra, Halle, 1940. 680 GILLES PELLAND, S.I. de la vie divine5, puisque celle-ci doit revenir à sa simplicité première. Le Fils et l'Esprit seront alors réabsorbés dans les abìmes paternels, où il n'y aura plus que Dieu tout en tous, parfaitement ταύτούσιος. On s'est demandò si Marcel n'a pas évolué vers des positions plus orthodoxes. Il parait en effet se rétracter sur la question du Règne du Christ, dans la lettre adressée au Pape Jules I en 3406. S'il faut en outre retenir l'hypothèse de Scheidweiler7, qui en fait l'auteur du Sermo maior de fide et, plus encore, celle de Martin Tetz8, qui lui attribue le De Incarnatione et contra Arianos, la preuve est faite: l'évèque d'Ancy re aurait fini par se rallier à une exégèse de 1 Cor 15:24-28 qui coincide avec celle d'Origène. Manlio Simonetti a montré les nombreux points faibles de ces hypothèses9. Il faudrait aussi pouvoir les concilier avec la solide analyse de M. Richard10, reconnaissant à Marcel la paternité du De sancta Ecclesia, un opuscule qui ne peut ètre daté d'avant 360, où l'auteur reste substantiellement fidèle aux thèses que combattait Eusèbe trente ans auparavant. Il n'en va pas autrement de VExpositio fidei du diacre Eugène d'Ancyre, rédigé probablement après la mort de Marcel11. Dès lors il est légitime de rouvrir la question de la lettre au Pape Jules I. Marcel y renonce-t-il vraiment aux idées qui avaient fait scandale en Orient? Il attaque sans doute l'arianisme, mais se garde bien de faire état du point le plus litigieux, celui qui l'opposait à Astérius sur la génération éternelle du Verbe. La teneur du symbole de foi qui accompagne la lettre est symptomatique. Marcel omet la mention du Pére au premier article: «Je crois en un seul Dieu tout puissant...» Il pourrait aussi bien s'agir de la monade antérieure à l'économie. Il avait nié la génération éternelle du Verbe; le texte ambigu qu'on trouve un peu plus loin n'arrange pas les choses: «il était toujours avec le Pére... il est vraiment de Dieu...» En quel sens enfin parle-t-il du «Fils, qui est le Verbe, toujours régnant avec Dieu le Pére, dont le règne n'aura pas de 5 Cf. F. Loofs, Die Trinitàtslehre Marcells von Ancyra, p. 770; W. Gericke, Marceli von Ancyra, p. 129. 6 Fragm. 129. 7 F. Scheidweiler, «Wer ist der Verfasser des sog. Sermo major de fide?» Byz. Zeitschrift 47 (1954) 333-357. 8 M. Tetz, «Zur Theologie des Markell von Ankyra I: Eine Markellische Schrift "De Incarnatione et contra Arianos"», ZKG 75 (1964) 215-270. 9 M. Simonetti, «Su alcune opere attribuite di recente a Marcello di Ancira», Riv. di Storia e Lett. Rei., 9 (1973) 313-329; «Ancora sulla parternità dello ps.-athanasiano "Sermo major de fide"», Vetera Christianorum 11 (1974) 333-343. 10 M. Richard, «Un opuscule méconnu de Marcel, évèque d'Ancyre», MSR 6 (1949) 5-28. 11 M. Simonetti, «Su alcune opere...», RSLR 9 (1973) 315, n. 9. LA THÉOLOGIE ET L'EXÉGÈSE DE MARCEL D ANCYRE 681 fin, selon le témoignage de l'Apótre»? La question est de savoir s'il s'agit du Verbe Incarné ou du Verbe éternel au niveau de la «Monas». Il faudrait aussi ètre sur que la clausule «dont le règne n'aura pas de fin» se rapporte au Fils (au début de la phrase), et non pas au Pére (qui précède immédiatement le relatif). On a soupgonné avec raison que la concession de Marcel était purement verbale. A certains égards, les analyses de Marcel étaient plus archa'isantes que révolutionnaires12. Bien avant lui, Athénagore parlait d'une résorp tion en Dieu: L'Esprit Saint, qui agit par ceux qui parlent en prophéties, est, disons-nous, une dérivation13 de Dieu. Il en découle et y rentre comme un rayon de soleil14. Justin signale, en la condamnant, une fa§on analogue de se représenter le mystère: Le Pére, quand il veut, disent les hérétiques, fait sortir15 sa puissance et, quand il veut, à nouveau la rappelle à soi. C'est de la mème manière, enseignent-ils, qu'il a aussi fait les anges16. Michel Spanneut17 (suivant une suggestion de Marcel Richard), cite un passage curieux de l'homélie in S. Pascha du pseudo-Hippolyte: Comme l'Esprit divin, dans sa pureté, était inaccessible à l'univers... lui-mème se resserrant18 en soi de son plein gré, ramassant et 12 Cf. Τ. Zahn, Marcellus von Ancyra, p. 217; W. Gericke, Marceli von Ancyra, p. 187-188. T.E. Pollard écrit: «This reaction... has its basis not in an archaic monarchianism of either a modalistic or a dynamic kind, but in an economie approach to the doctrine of the Trinity» («Marcellus of Ancyra. A neglected Father», dans: Epektasis. Mélanges J. Daniélou, Paris, 1972, ρ. 191). Marcel n'aurait pas eu de peine à trouver dans des sources «archai'ques» une approche «économique» du mystère de la vie de Dieu! La pensée de M. Pollard ne parait pas claire ici. 13 άπόρριαν. Comp. Sag 7:27 ou méme Heb 1:3. 14 απορρέον και έπαναφερόμενον. Cf. Athénagore, Leg. 10. Voir J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité des origines au Concile de Nicée, Paris, 1928, II, p. 503-505. 15 προρηδάν ποιεί. 16 αναστέλλει. Justin, Dial. 128, 3. «Mas de uno descubre aqui resonancias del Logos filoniano, primero y mas noble de los àngeles de Dios. Justino alude a una teoria bastante comùn a los hebreos. Los àngeles no gozarian de vida estable; dotados de una existencia efimera, fluyen de la gloria de Dios, le glorifican y vuelven en el mismo dia a impersonalizarse en El» (A. Orbe, Cristologia gnostica, Madrid, 1976, II, pp. 244-245). Cf. F. Weber, Jiidische Theologie, Leipzig, 1897, p. 166 et 408. 17 M. Spanneut, Le stoicisme des Pères de l'Eglise de Clément de Rome à Clément d'Alexandrie, Paris, 1957, pp. 303-304. 18 συστειλας. 682 GILLES PELLAND, S I. comprimant19 en soi toute la grandeur de la divinité, est venu avec les dimensions qu'il a voulues... tei qu'il devait ètre contenu...20 On rencontre une formule semblable quelques pages plus loin: Ο divine extension21 en tout et partout! Ο crucifixion qui se déploie à travers toutes choses22! Ο unique des uniques vraiment tout en tout, que les cieux aient ton esprit...23 Raniero Cantalamessa a raison de douter que le premier texte évoque un processus divin de dilatation et de contraction. Il faudrait traduire χωρεϊσθαι par ètre contenu, alors que le contexte suggère plutót — et plus simplement — ètre compris: Dieu se fait «petit» pour se rendre accessible à notre connaissance par l'Incarnation24. Le deuxième texte esquisse l'image de la croix cosmique, en lui attribuant les fonctions du pneuma sto'icien. Le schème dilatation-contraction n'y apparaìt donc que de fagon très implicite. Tertullien et Novatien présentent becaucoup plus d'intérèt dans l'étude de notre thème. Tertullien explique, au début de YAdversus Praxeas25, de quelle manière il importe d'affirmer à la fois l'unité et la distinction du Pére et du Fils. Il n'y uploads/Litterature/ gilles-pelland-x27-la-theologie-et-l-x27-exegese-de-marcel-d-x27-ancyre-sur-i-cor-15-24-28-x27-un-scheme-hellenistique-entheologie-trinitaire-gregorianum-vol-71-no-4-1990-pdf.pdf
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- Publié le Mar 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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