GROUPEMENTS DE TEXTES ET CORPUS : POINT DE VUE DE LINGUISTE Carine DUTEIL-MOUGE
GROUPEMENTS DE TEXTES ET CORPUS : POINT DE VUE DE LINGUISTE Carine DUTEIL-MOUGEL ATILF, Nancy-Université, CNRS SOMMAIRE 1. Un groupement de textes nommé corpus… 1.1. Textualité, intertextualité et architextualité 1.2. Parcours plurisémiotiques 1.3. L’inspiration linguistique 2. Corpus et textualité 2.1. Corpus 2.2. Typologies textuelles Conclusion Résumé : Trois situations de lecture des textes littéraires sont proposées aux élèves dans l’enseignement secondaire : au sein d’anthologies littéraires, dans le cadre de groupements de textes et dans le cadre d’une œuvre intégrale. Les groupements de textes rassemblent des extraits (scènes de pièces de théâtre, passages de romans ou de nouvelles, extraits d’essais, extraits de poèmes ; textes tirés d’un recueil : fables, lettres, nouvelles, poèmes) choisis et étudiés selon une cohérence thématique ou problématique. Leur étude prend place dans le cadre d’une séquence didactique, et doit permettre d’aborder un objet d’étude au programme. L’une des épreuves écrites du Capes interne (depuis 2001) consiste justement à analyser un groupement de textes, accompagné très souvent d’un document iconographique, et à proposer une exploitation didactique de ce groupement sous la forme d’un projet de séquence. Notre réflexion portera sur ces « groupements », appelés de plus en plus souvent « corpus ». Nous nous interrogerons sur leur statut : s’agit-il de véritables CORPUS ? Quels critères président au choix de leur constitution ? Comment leur pertinence est-elle établie ? L’étude d’exemples attestés (groupements au sein de séquences didactiques, groupements proposés lors de l’épreuve anticipée du baccalauréat de français, groupements proposés lors de l’« épreuve de didactique » au Capes interne de Lettres Modernes) nous conduira à analyser les relations qui s’établissent entre les éléments ainsi rassemblés au sein des groupements (liens thématiques, rapports d’interprétance, …). On s’interrogera sur les effets de la décontextualisation des extraits (incidence sur la textualité, sur les conditions d’interprétation), et on réfléchira aux moyens nécessaires à la constitution de corpus pleinement utilisables pour la caractérisation des textes. Cette réflexion sur les « corpus » dans l’enseignement du français nous conduira à examiner plus en détail cette notion dans le cadre de la linguistique, et à présenter nos perspectives de recherche dans ce domaine (profilage et typologie des textes). 1. Un groupement de textes nommé corpus… Trois situations de lecture des textes littéraires sont proposées aux élèves dans l’enseignement secondaire : au sein d’anthologies littéraires1, dans le cadre de groupements de textes et dans le cadre d’une œuvre intégrale2. La notion de « groupement de textes » est récente dans l'enseignement du français ; elle apparaît pour la première fois dans le Bulletin Officiel du 7 juillet 1983. Son adoption est alors un moyen de renouveler les modalités de l’épreuve anticipée de français au baccalauréat. Comme le précise Michel Descotes (formateur IUFM) : « il s'agissait d'éviter l'évaluation des capacités de l'élève à 1 Une anthologie présente des extraits d’œuvres “significatives” (textes canoniques, extraits exemplaires…). Elle s’apparente à l’encyclopédie, définie comme archive de passages de textes décontextualisés (cf. Rastier F., 2001, « Sémiotique et sciences de la culture », Linx, n°44-45, pp. 149-168). 2 On entend par œuvre intégrale un roman, un essai, des mémoires, un recueil de poèmes, un recueil de nouvelles, une pièce de théâtre, etc. Il s’agit donc d’un texte intégral - et non d’une œuvre complète (i.e. l’ensemble des écrits d’un même auteur). On soulignera que les élèves étudient beaucoup plus de groupements de textes que d’œuvres intégrales. 205 Groupements de textes et corpus : point de vue de linguiste partir de la lecture d'un texte “à l'état de fragment isolé”. Pour cela, il est préconisé de constituer la liste d'oral avec : - des oeuvres qui ont été lues dans leur intégralité ; - des groupements de textes choisis et étudiés selon une cohérence thématique ou problématique clairement formulée : par exemple, un groupe de poèmes permettant d'étudier la fuite du temps chez les poètes romantiques ou l'automne dans la poésie d'Apollinaire ; un choix de pages groupées pour une étude de la condition humaine selon Pascal et Voltaire ou de la critique de la société chez les philosophes du XVIIIème siècle, etc. ». À l’heure actuelle la pratique du groupement s’est développée, et le groupement apparaît de plus en plus clairement comme un instrument didactique permettant de construire des savoirs et des savoir-faire. « Réunissant un nombre limité mais suffisant de textes (quatre à cinq paraît une bonne moyenne), le groupement de textes constitue une unité d’apprentissage autour d’une notion littéraire, culturelle ou fonctionnelle. » Programmes et accompagnement (enseigner au collège, Français), 2004 (rééd.), Paris, Centre National de Documentation Pédagogique. Le groupement de textes rassemble des extraits (scènes de pièces de théâtre, passages de romans ou de nouvelles, extraits d’essais, extraits de poèmes ; textes tirés d’un recueil : fables, lettres, nouvelles, poèmes) choisis et étudiés selon une cohérence thématique ou problématique. Son étude prend place dans le cadre d’une séquence didactique1, et doit permettre d’aborder un objet d’étude au programme. Par exemple, au collège, les groupements de textes permettent d’étudier les différentes formes de discours au programme2 – l’objectif majeur des nouveaux programmes pour l’enseignement du français au collège étant la maîtrise des discours3. Fig. 1 : Extraits d’un manuel de Français pour la classe de troisième, Hatier, 1999, pp. 6-7 à Gauche : « Les formes de discours, 1. Raconter, décrire » à Droite : « Les formes de discours, 2. Argumenter convaincre » Notons que lesdites formes de discours renvoient aux séquences textuelles définies par la linguistique textuelle4. 1 Les nouveaux programmes favorisent le travail par séquences didactiques. On désigne par là « un mode d’organisation des activités qui rassemble des contenus d’ordre différent autour d’un même objectif, sur un ensemble de plusieurs séances ». 2 « Choix théorique : le discours Le premier objectif de l’enseignement du français est de “donner aux élèves la maîtrise des principales formes de discours“ (BO n° 10, 15 octobre 1998, p. 4). », Programmes et accompagnement (enseigner au collège, Français), 2004. 3 « Le français se fixe comme objectif central au collège la maîtrise des discours. », ibid. 4 Cf. notamment Adam J.-M., 1992 et 1999. 206 Groupements de textes et corpus : point de vue de linguiste « Formes de discours. Suivant les finalités de l’énonciation, les discours adoptent des dominantes différentes : c’est en ce sens qu’on parle ici de discours narratif, descriptif, explicatif, argumentatif, pour les formes les plus évidentes. – Le discours narratif rapporte un ou des événements et les situe dans le temps. – Le discours descriptif vise à nommer, caractériser, qualifier. – Le discours explicatif cherche à faire comprendre. – Le discours argumentatif valorise un ou plusieurs points de vue, une ou plusieurs thèses. On peut trouver diverses formes de discours dans un même texte. » Glossaire, Programmes et accompagnement (enseigner au collège, Français), 2004 (rééd.), Paris, Centre National de Documentation Pédagogique La progression d’ensemble1, de la 6ème à la 3ème, s’organise ainsi autour de deux pôles : le pôle narratif et le pôle argumentatif, que nous représentons comme suit : Fig. 2 : Etude des formes de discours au collège L’appellation « corpus » pour de tels groupements apparaît à plusieurs reprises dans les nouveaux programmes pour le secondaire. Cette appellation figure également dans les modalités et les libellés des sujets de l’épreuve anticipée (écrite) de français au baccalauréat : « Épreuve écrite Les sujets prennent appui sur un ensemble de textes (corpus) distribués au candidat, éventuellement accompagnés par un document iconographique si celui-ci contribue à la compréhension ou enrichit la signification de l’ensemble. » Note de service n° 2001-117 du 20 juin 2001. BO n° 26 du 28 juin 2001 Modifiée par la note de service n° 2003-002 du 8 janvier 2003. BO n° 3 du 16 janvier 2003 Les sujets invitent les candidats à s’interroger sur l’unité du corpus et à réfléchir au rapprochement des extraits choisis (cf. l’exemple ci-dessous). Il peut s’agir d’un thème commun, d’un genre commun, d’un registre commun, d’un dispositif énonciatif commun, de l’appartenance à un même mouvement littéraire, etc. *SUJET : Série ES, S – Juin 2003 Objet d’étude : La poésie CORPUS Texte A. Paul Verlaine, « Mon rêve familier », Poèmes saturniens, 1866. Texte B. Robert Desnos, « J’ai tant rêvé de toi », in « À la mystérieuse », Corps et Biens, 1930. Texte C. Paul Eluard, « La dame de carreau », Les Dessous d’une vie, 1926. Texte D. Claude Roy, « Tant », Le Voyage d’automne, 1987. I. Question Justifiez le rapprochement des quatre poèmes. II. Ecriture : au choix 1. Commentaire : Vous ferez le commentaire du poème de Robert Desnos (texte B.) 1 Les formes de discours sont progressivement plus complexes (dominantes, insertions, textes mêlant narratif et argumentatif, etc.). L’étude du récit est privilégiée en 6ème. En 5ème l’accent est mis sur la description ; en 4ème, sur l’explication. Les principales formes d’argumentation sont étudiées en 3ème. 207 FORMES de DISCOURS Pôle narratif description Pôle argumentatif explication 6ème 5ème 4ème 3ème Groupements de textes et corpus : point de vue de linguiste 2. Dissertation : uploads/Litterature/ groupements-de-textes-et-corpus-point-de-vue-de-linguiste-carine-duteil-mougel.pdf
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- Publié le Aoû 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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