HANS JONAS LA RELIGION GNOSTIQUE Le message du Dieu Étranger et les débuts du c
HANS JONAS LA RELIGION GNOSTIQUE Le message du Dieu Étranger et les débuts du christianisme TRADUIT DE L ANGLAIS PAR LOUIS EVRARD Pour recevoir régulièrement, sans aucun engagement de voire part, l'Actualité Littéraire Flammarion, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse à Flammarion, Service ALF, 26, rue Racine, 75278 PARIS Cedex 06. "Vous y trouverez présentées toutes les nouveautés mises en vente chez votre libraire : romans, essais, sciences humaines, documents, mémoires, biographies, aventures vécues, livres d'art, livres pour la jeunesse, ouvrages d'utilité pratique... III II Mil II 051 019021 3 FLAMMARION ABRÉVIATIONS PRÉFACE C.H. : Corpus Hermeticum (Edition Nock & Festugière, Les Belles Lettres, 1945-1954). E.V. : Evangile de Vérité {Evangelium Veritatis, édité et traduit par M. Malinine, H.-Ch. Puech, G. Quispel, Zurich, 1956). G. : Ginza. Der Schatz oder das Grosse Buch der Man-dàer (traduit en allemand par M. Lidzbarski, Goet-tingue, 1925) [Ginza. Le Trésor ou le Grand Livre des mandéens"]. J. : Das Johannesbuch der Mandàer, édité et traduit en allemand par M. Lidzbarski, Giessen, 1915 (Le « Livre de Jean » des mandéens). B.G. : (Beroîinensis gnosticus) Papyrus de Berlin 8502, contenant YEvangile selon Marie [-Madeleine}, YApocryphon de Jean, la Sophia de Jésus-Christ, les Actes de Pierre. Traduction partielle de Cari Schmidt, 1907 ; édition et traduction de Walter C. Till, 1952. Voir ici pp. 379, n. 5 et 381, n. 1. Dans la nuit des premiers temps de notre ère apparaît confusément un cortège d'êtres mythiques dont les effigies colossales, surhumaines, pourraient peupler la voûte et les murs d'une deuxième chapelle Sixtine. Les attitudes, les gestes, les rôles assignés, le drame représenté vaudraient au spectateur des tableaux qui ne sont pas dans une imagination nourrie aux épisodes bibliques ; pourtant ces tableaux feraient sur lui l'effet singulier du déjà connu, et son émotion irait jusqu'au trouble. La scène serait la même, le thème tout aussi exalté : la création du monde, la destinée de l'homme, la chute et la rédemption, les choses premières et dernières. Mais combien plus nombreux seraient les personnages, combien plus bizarres les symboles, combien plus effrénés les sentiments ! Tout ou presque tout se jouerait dans les hauteurs, aux royaumes divin, angélique ou démoniaque ; de ce drame, où des personnages précosmiques agitent le monde surnaturel, le drame de l'homme en son monde naturel ne serait qu'un écho affaibli et lointain. Néanmoins, ce mystère déroulé en pleine transcendance et avant le Temps, une fois dépeint dans des actions et passions d'êtres à semblance humaine, parlerait à l'homme avec force : la divinité induite en tentation ; les bienheureux Eons secoués par l'inquiétude ; la Sagesse dévoyée de Dieu, la Sophia, errant en proie à sa folie dans le vide et le noir qu'elle a elle-même suscités, quêtant sans fin, se lamentant, souffrant, se repentant, versant à grand-peine sa passion dans la matière, et dans l'âme son ardent désir ; LA RELIGION GNOSTIQUE un Créateur aveugle et arrogant, qui se prend pour le Très Haut et fait la morgue à toute la création, alors qu'elle est comme lui le produit de la faute et de l'ignorance ; l'Ame prise au piège, égarée dans le labyrinthe du monde, cherchant à s'évader, reculant d'épouvante à la vue des horribles archontes, portiers de la prison cosmique ; un Sauveur venu de l'au-delà de Lumière, s'aven-turant dans l'univers infernal, illuminant les ténèbres, ouvrant un chemin, amenant la réconciliation dans le divin. Récit de nuit noire et de clarté, d'ignorance et de connaissance, de fureur et de sérénité, d'amour-propre et de compassion, non pas à la proportion de l'homme, mais à la grandeur d'êtres éternels qui ne sont point exempts de souffrance ni d'erreur. Cette histoire n'a pas trouvé son Michel-Ange, son Dante ni son Milton. Plus sévère en sa discipline, le credo biblique sut résister à la tempête, et il ne resta que l'Ancien et le Nouveau Testament pour façonner l'esprit et l'imagination de l'homme occidental. De ceux qui, dans la fièvre de ces temps de transition, protestèrent contre la foi nouvelle, la mirent à l'épreuve, essayèrent de lui donner un autre sens, les enseignements sont oubliés, les écritures enterrées dans les tomes des réfutateurs ou dans les sables des pays d'antiquité. Notre art, notre littérature, tant d'autres choses encore seraient tout différents si le message gnostique avait prévalu. Quand le peintre ne bouge, quand le poète se tait, il faut que l'homme d'étude, penché sur ces fragments, reconstruise le monde évanoui et, avec des moyens moins vigoureux, lui redonne forme et vie. Il peut le faire aujourd'hui mieux que jamais auparavant : voici que les sables ont restitué des fragments du dépôt enseveli. Il y va d'autre chose qu'un simple intérêt d'antiquaire, car dans toute son étrangeté, dans la violence qu'il"fait à la raison, dans l'immodération de son juge- ment, ce mode de sentiment, de vision et de pensée avait sa profondeur ; et sans sa voix, ses intuitions et même ses erreurs, il nous manquerait un témoignage sur l'humanité. Tout réprouvé qu'il fut, il représente l'une des voies qui s'offraient alors au carrefour des croyances. Ses rouges lueurs éclairent les commencements du christianisme, les affres dans lesquelles notre monde est né. Il PRÉFACE (1957) 9 y a bien longtemps, une décision a été prise, et elle s'est faite héritage : aujourd'hui, les héritiers comprendront mieux ce qui leur est échu, s'ils savent quelle pensée disputa jadis à leur foi l'âme de l'homme. L'étude du gnosticisme est presque aussi vieille que le gnosticisme lui-même. C'est surtout de son fait et à son choix — puisqu'il était l'agresseur — qu'il fut dès l'origine une conviction guerroyante et qu'il s'exposa au minutieux examen de ceux dont il menaçait de subvertir la cause. L'enquête fut menée dans la chaleur du conflit et comme s'il y avait reconvention des plaignants. Les Pères de l'Eglise primitive instruisirent contre les hérésies dans de longs ouvrages (quant aux faits articulés par l'adversaire, nous ne les avons pas, si tant est qu'il y en ait eu) ; poussant leurs investigations chez les ancêtres spirituels du gnosticisme, ils les enveloppèrent dans la dénonciation de cette entreprise d'erreur. Aussi avons-nous, dans leurs écrits, non seulement la principale source — la seule jusqu'à ces derniers temps — où nous puisons la connaissance de l'enseignement gnostique, mais aussi la toute première théorie de sa nature et de son origine. Pour eux, prononcer que le gnosticisme, ou ce qui en lui dénaturait la vérité chrétienne, provenait de la philosophie hellénique, c'était dresser l'acte de son accusation ; pour nous, c'est là une hypothèse parmi d'autres possibles, qui vaut comme telle, qui est pertinente au diagnostic historique du phénomène, et qu'il convient de juger selon ses mérites. Le dernier des grands hérésiologues, Epiphane de Salamis, écrivit au ive siècle de notre ère. De ce moment, le passé étant passé, la polémique n'ayant plus son aliment dans la vie, l'oubli tomba sur tout ce sujet jusqu'au xixe siècle, où les historiens y revinrent dans un esprit de recherche impartiale. Par nature, l'objet de l'enquête restait du domaine des théologiens, comme tout ce qui touche aux commencements du christianisme. Mais les théologiens protestants qui se livrèrent à cette nouvelle étude (des Allemands pour la plupart) abordèrent leur tâche en historiens désormais hors de cause, même si tels courants de pensée contemporains pouvaient orienter leurs sympathies et infléchir leurs jugements. C'est alors qu'on vit naître des écoles diverses, qui —— ________ 8 10 LA RELIGION GNOSTIQUE PRÉFACE (1957) 11 différèrent d'opinion sur la nature historique du gnos-ticisme. Chose assez naturelle, on ressuscita la thèse « hellénique » et plus particulièrement « platonicienne » des Pères de l'Eglise, sans toutefois s'en tenir à leur autorité. Il est vrai que dès l'abord on ne pouvait éviter d'y penser : à elle seule, la lettre des témoignages gnos-tiques était assez évocatrice, ne fût-ce que par l'emploi de termes philosophiques ; et puis ce que l'on savait des premiers siècles rendait la chose vraisemblable. Il semblait même qu'on eût à peine le choix, tant qu'on vit dans la pensée grecque et dans la pensée judéo-chrétienne les seules forces capables d'influence dans cette période. Or, à prendre le gnosticisme comme une quantité, et à la partager à ces deux diviseurs déjà connus, on est encore en présence d'un reste trop important. Aussi l'école « hellénique » trouva en face d'elle, dès le début du xixe siècle, une école « orientale » où l'on soutenait que le gnosticisme émanait d'une « philosophie orientale » plus ancienne. L'intuition était juste, mais elle avait une faiblesse : elle maniait là une grandeur mal définie et même inconnue, cette philosophie orientale dont elle déduisait la nature et la préexistence des réalités du gnosticisme, au lieu d'en établir l'existence indépendamment. Toutefois cette position trouva une plus ferme assise du jour où, admettant que l'élément supposé oriental du gnosticisme était de caractère mythologique plutôt que philosophique, on abandonna la recherche de ces spéculations mystérieuses. En général, disons que jusqu'à ce jour on a plus ou moins insisté sur la provenance grecque ou uploads/Litterature/ hans-jonas-la-religion-gnostique-le-message-du-dieu-etranger-et-les-debuts-du-christianisme-flammarion-1978.pdf
Documents similaires
-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 4.1543MB