P Krajewski – Interview au Spiegel 1966-1976 – M Heidegger – Décembre 2014 Entr
P Krajewski – Interview au Spiegel 1966-1976 – M Heidegger – Décembre 2014 Entretien avec le Spiegel de Martin Heidegger [réalisé le 23 septembre 1966] [publié le 31 mai 1976] traduit, annoté et présenté par P Krajewski Ce texte n'est pas libre de droit. Le texte original est de Martin Heidegger (1889-1976) et du Spiegel. La présente traduction française (d'une traduction anglaise) est de P Krajewski. On pourra trouver une autre traduction française en livre ici : Martin Heidegger, Réponses et questions sur l’histoire et la politique, Paris, Mercure de France, 1988. Date de 1ère mise en ligne : 5 Décembre 2014. Référence : Le texte considéré est : « Nur noch ein Gott kann uns retten », initialement paru dans Spiegel le 31/05/1976 (entretien réalisé le 23/09/1966). Source du texte anglais en ligne : ici. Des extraits de la traduction française de Jean Launay peuvent être retrouvés en ligne ici. Avant propos du traducteur : Cette traduction n'est pas un modèle du genre. Loin s'en faut. Il s'agit d'une « traduction d'une traduction ». Elle n'a donc aucune valeur scientifique. Elle a le mérite de donner accès à un texte peu trouvable dans une version qu'on espère ni trop éloignée ni trop traîtresse vis-à-vis du texte original. Le texte anglais que nous avons traduit se trouve en ligne ici. Présentation L'entretien, tenu en septembre 1966, a été publié 10 ans plus tard, soit cinq jours après le décès d'Heidegger. 1er temps : retour sur les rapports troubles de Heidegger avec le Nazisme La première moitié de l'entretien tourne autour des liens gênants de Heidegger avec le parti Nazi : - Durant son rectorat à l'Université de Fribourg, entre Mai 1933 et Mai 1934 - Dans ses rapports avec ses amis, tels Jaspers et Husserl - Dans sa conception de l'autodétermination de l'université allemande - A la fin de la Seconde guerre mondiale Heidegger s'explique là dans une défense pointilleuse et besogneuse qui n'éclaire peut-être pas tous les aspects sombres de sa personne. NB : Nous avons placé une transition « [***] » à la fin de cette première partie. 1 / 21 P Krajewski – Interview au Spiegel 1966-1976 – M Heidegger – Décembre 2014 2è temps : rôle de la pensée et de la philosophie à l'époque déterminée par la technique La seconde partie de l’entretien rappelle la conception de la technique planétaire selon Heidegger. Arraisonnante, elle est devenue déterminante du vécu de l'Homme. La philosophie elle-même ne peut plus jouer de rôle de guide ni de conseil pour trouver une forme politique apte à s'accorder (c'est-à-dire sans doute à faire face à) avec cette technique indominable. Pas plus la philosophie occidentale rationnelle, que les courants orientaux. C'est la cybernétique qui prend la place de la philosophie aujourd’hui. Une autre forme de pensée, poétique, peut nous aider à nous préparer à nous rendre disponibles à l'arrivée ou à l'absence d'un dieu, seul sauveur possible. On retrouve ensuite un rappel de l'importance de la pensée de Hölderlin, et du destin particulier du peuple allemand. L'entretien se conclut sur une moue dubitative vis-à-vis de l'art moderne. * * * Seul un dieu peut encore nous sauver Entretien de Martin Heidegger avec le Spiegel tenu le 23/09/1966, publié le 31/05/19761 SPIEGEL: Professeur Heidegger, nous pouvons noter que votre travail philosophique n'a eu de cesse d'être quelque peu assombri par des incidents de votre vie qui, même s'ils ont été assez brefs, n'ont jamais été clarifiés, soit que vous fûtes trop fier soit que vous n'ayez pas jugé opportun de les commenter. HEIDEGGER: Vous voulez parler de 1933? SPIEGEL: Oui, avant et après. Nous voudrions replacer ce moment dans un contexte plus large, puis nous appuyer là-dessus pour introduire quelques questions qui nous semblent importantes, telles que: Dans quelle mesure la philosophie peut-elle influencer la réalité, y compris la réalité politique? Cette possibilité continue t-elle d'exister ? Et si oui, de quoi cette possibilité se compose t-elle ? HEIDEGGER: Ce sont des questions importantes. Vais-je être en mesure de répondre à toutes ? Mais permettez-moi de commencer par dire que je n'étais en aucune façon politiquement actif avant de devenir recteur. À l'hiver 1932-1933, je pris un congé et je passais le plus clair de mon temps dans mon chalet. SPIEGEL: Alors, comment se fait-il que vous soyez devenu recteur de l'Université de Fribourg? HEIDEGGER: En Décembre 1932, mon voisin, Von Möllendorff, professeur d'anatomie, a été élu recteur. À l'Université de Fribourg, le nouveau recteur occupe son poste à partir du 15 Avril. Pendant le semestre d'hiver de 1932-33, nous parlions souvent de la situation, non seulement politique, mais aussi et surtout de la situation des universités, de celle des élèves – elle semblait, à maints égards, sans espoir. Mon opinion était alors la suivante : pour autant que je puisse juger des choses, la seule possibilité qu'il nous reste est d'essayer de contrebalancer l'avancée actuelle par l'emploi des puissances constructives qui sont encore vivaces et à même de s'y opposer. 1 NdPK : Martin Heidegger meurt le 25 mai 1976. 2 / 21 P Krajewski – Interview au Spiegel 1966-1976 – M Heidegger – Décembre 2014 SPIEGEL: Donc, vous avez vu un lien entre la situation de l'université allemande et la situation politique de l'Allemagne en général ? HEIDEGGER: J'ai évidemment suivi le cours des événements politiques entre Janvier et Mars 19332. A l'occasion, j'en parlai également avec de jeunes collègues. Mais à l'époque, je travaillais sur une interprétation complète de la pensée pré-socratique, et au début du semestre d'été je suis retourné à Fribourg. Sur ces entrefaites, le professeur von Möllendorff avait pris ses fonctions de recteur depuis le 15 Avril. Un peu moins de deux semaines plus tard, Wacker, le ministre de la Culture qui siégeait à Bade à l'époque, l'a révoqué de sa charge. Le recteur avait interdit l'affichage sur les murs de l'université de ce qu'on a appelé « L'avis juif ». C'était là, sans doute, une raison suffisante aux yeux du ministre. SPIEGEL: M. Von Möllendorff était un social-démocrate. Que fit-il après son licenciement? HEIDEGGER: Le jour de son licenciement, Von Möllendorff est venu à moi et m'a dit: "Heidegger, maintenant vous devez prendre en charge le rectorat." J'ai répondu que je n'avais aucune expérience dans l'administration. Cependant, le vice-recteur de l'époque, Sauer (théologie), me poussait aussi à participer à la nouvelle élection rectorale parce qu'il redoutait qu'un fonctionnaire ne soit nommé recteur. Des collègues plus jeunes, avec qui je m'entretenais sur les structures universitaires depuis de nombreuses années, me poussaient à devenir recteur. J'ai hésité longtemps. Finalement, je me suis déclaré comme étant prêt à assumer cette charge, mais seulement dans l'intérêt de l'université, et seulement si je pouvais être certain de l'approbation unanime de l'assemblée plénière. Je conservais malgré tout des doutes sur mon aptitude à pouvoir être recteur, et le matin du jour fixé pour l'élection je suis allé au bureau du recteur et j'ai dit à mes collègues, Von Möllendorff (qui, bien que démis de ses fonctions de recteur, était présent) et le vice-recteur Sauer, que je ne pouvais pas assumer cette charge. Mes deux collègues m'ont répondu que l'élection avait été préparée d'une manière telle que je ne pouvais plus à présent retirer ma candidature.3 SPIEGEL: A la suite de quoi, vous vous êtes déclaré enfin prêt. Comment votre relation avec les Nationaux-Socialistes s'est-elle ensuite développée ? HEIDEGGER: Le jour suivant mon accession au poste de recteur4, le délégué étudiant est venu dans mon bureau avec deux autres élèves. Ils ont de nouveau exigé que l'avis juif soit affiché. J'ai refusé. Les trois étudiants sont partis en m'informant que la Direction Etudiante du Reich (Reichsstudentenführung) serait prévenue de mon veto. Quelques jours plus tard, j'ai reçu un appel téléphonique du Dr Baumann, chef de groupe SA du bureau SA de l'enseignement supérieur, du Commandement Suprême SA. Il a exigé que cet avis, qui avait déjà été rendu public dans d'autres universités, soit affiché. Si je refusais, il faudrait m'attendre à me voir démis de mes fonctions et même à voir l'université fermée. J'ai refusé et j'ai essayé d’obtenir le soutien du ministre de la Culture du Land de Bade pour défendre ma position. Il m'a expliqué qu'il ne pouvait rien faire à l'encontre de la SA. Je n'ai pour autant pas retirer mon veto. SPIEGEL: Ce n'est pas ainsi que l'Histoire raconte les choses. HEIDEGGER: Dès 1929, dans ma leçon inaugurale donnée à Fribourg qui sera publiée sous le titre « Qu'est-ce que la métaphysique? », j'avais expliqué la raison essentielle qui allait me décider à prendre la charge du rectorat : « Les domaines des sciences se trouvent éloignés. Les façons dont ils traitent leur sujet sont fondamentalement différentes. Cette multitude éparpillée des disciplines ne 2 NdPK : Hitler est nommé chancelier en janvier 1933 ; il dissout le Reichstag en février ; le parti Nazi remporte les élections législatives en mars ; le 20 mars, le 3e Reich est décrété ; le 23 mars, Hitler se fait voter les uploads/Litterature/ heidegger-interview-au-spiegel-1976.pdf
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- Publié le Jui 30, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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