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actu-philosophia.com Emmanuel Faye (dir.) : Heidegger, le sol, la communauté, la race Edith Fuchs 44-56 minutes Accueil > Regards croisés > Emmanuel Faye (dir.) : Heidegger, le sol, la communauté, la race Ce texte paraîtra également dans la Revue d’histoire de la Shoah, dans le numéro 201 d’octobre 2014 Celui qui aurait consacré partie ou totalité de sa vie de professeur, chercheur , commentateur à lire, relire, traduire, interpréter, nécessairement sans fin, les ouvrages de Heidegger, ne peut qu’opposer une résistance farouche aux travaux qu’Emmanuel Faye consacre depuis plusieurs années à cet auteur. Si en effet l’épisode du Rectorat a pu passer aux yeux des admirateurs pour une « grosse bêtise », vite oubliée afin que son auteur revienne au vrai travail de la pensée [1], le « chef d’œuvre du siècle » ainsi que le nomme Emmanuel Martineau, ne saurait en rien subir quelque outrage. En France, tout spécialement, la reconnaissance du poids idéologique, antérieurement même à la catastrophe hitlérienne, du « trio » ultraconservateur et antisémite, formé par Ernst Jünger, Heidegger et Carl Schmitt, fut pour beaucoup fort laborieuse. [2] . Les pratiques criminelles déclenchées à haute température dès 1933 à l’encontre des opposants, des Juifs puis des « handicapés » ne suscitèrent aucune décision particulière de la part de ces grands défenseurs de l’Entscheidung . Quant au génocide anti-juif , comment nier que, même après-guerre, Heidegger n’en ait jamais rien dit ? Ce n’est pas le lieu de rappeler et commenter la façon dont Heidegger évoqua en 1949 les chambres à gaz pour y voir autant de « fabriques de cadavres », (selon le mot d’humour nazi du SS Friedrich Entress - comme le rappelle F. Rastier dans Emmanuel Faye (dir.) Heidegger, Le sol, la communauté, la race, Beauchesne, Collection « Le grenier à sel , 2014, pp. 280-81) . On sait sans doute que Heidegger déclara que l’ « essence » de telles « fabriques » serait de même nature (im Wesen der Selbe...) que l’essence de l’agriculture désormais motorisée, la même que celle du blocus, de la famine, ou encore de la bombe atomique. On comprend bien que, par la vertu de cette même « essence » nazisme, bolchévisme (la famine en Ukraine) américanisme tomberaient dans le même sac, si on ose dire, ou plutôt sur le même sol : celui de « la » technique, conformément au vocable heideggerien. L’adhésion de Heidegger au nazisme, quand elle finit par être reconnue par la France philosophique, parut à beaucoup, relever de la nécessaire séparation entre l’œuvre et la vie. Beaucoup ont argué, suivant en cela Arendt [3] d’une analogie : de même que Platon, à plusieurs reprises , fit le voyage à Syracuse auprès de Denys le tyran, de même en somme métaphoriquement, Heidegger auprès de Hitler. Parmi les nombreuses objections à opposer à cette analogie, l’une consisterait à souligner que Platon prit le risque d’être emprisonné ou pire pour convertir le tyran à la droite philosophie en commençant par la mathématique, tandis que Heidegger occupa une fonction officielle en servant de toute sa fougueuse radicalité les vues du dictateur. Les travaux d’Emmanuel Faye furent accueillis en France par une vraie bataille de philosophes, tous corps professoraux et officiels confondus. [4] : avec son Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie : autour des séminaires inédits de 1933-1935, la probité philosophique du grand admiré menaçait ruines. [5]. Par contre-coup, qu’allait-il advenir de celle des adulateurs ? Naturellement, la position de repli avait déjà souvent consisté à séparer, dans l’énorme production de Heidegger écrits de circonstance (tel le célèbre Discours du Rectorat sur la Selbstbehauptung de l’université) et œuvres fondamentales, tout spécialement Sein und Zeit .Quand on sut qu’Emmanuel Faye osait porter le fer même au « chef d’œuvre du siècle » , beaucoup des heideggeriens refusèrent tout uniment de lire l’ouvrage. Mais cette fois, avec cet ouvrage collectif [6], E. Faye n’est plus seul . La richesse des champs d’investigation abordés par les différents chercheurs, la diversité des contributions donnent à un lecteur « non enbéguinné » un sentiment de vivace liberté. Le ton est , bien sûr, dépourvu de toute grandiloquence ; la traduction de Heidegger ainsi que le précise E. Faye, évite néologismes et jargon. [7]. Enfin, les contributeurs n’entretiennent pas le moindre rapport avec la révérencieuse componction qu’adoptent en général les laudateurs français. Toutes les contributions convergent vers la confirmation que Heidegger a bel et bien introduit dans ses écrits les plus philosophiques, vocables et thèmes racistes et germano-maniaques , conformes à son engagement nazi, de sorte que la grande dramaturgie de l’Etre et de son oubli peut bien apparaître, non sans soulagement, démystifiée. Quel étudiant pourrait déduire d’une lecture immanente faite avec bonne foi que le terme d’ « Etre » sans cesse présent sous la plume de Heidegger joue le rôle d’un « Deckname », c’est-à-dire de mot-couverture ? Nous reviendrons sur ce point. Pour l’heure il suffit de souligner qu’en général l’ouvrage donne le sentiment que justice est enfin rendue parce que le cryptage auquel Heidegger ne cesse d’avoir recours fait l’objet d’une convaincante démystification. Mais comment ne pas être accablé de ce que tant d’intelligences n’aient jamais rien entendu, ou voulu entendre ? en dehors des dénégations déjà évoquées, beaucoup se sont égarés magistralement comme le fit Löwith [8] , qui de façon fort étrange voit en Heidegger un défenseur de l’individu- ou encore, sans doute plutôt dans un nébuleux clair-obscur, Arendt, peu abordée dans ce recueil. Les neuf contributions sont magistralement présentées par E. Faye dans son Introduction ; quelques remarques destinées à donner le sentiment de leur richesse, du triple point de vue historique, politique et philosophique suffiront donc. Il faut en premier lieu souligner quel plaisant abîme sépare le style de l’auteur étudié- sa lenteur, son ton péremptoire, son obscure profondeur- de l’alerte concision des différents essais. La bibliographie elle aussi réconforte par l’abondance jusqu’à ce jour des travaux démystifiants- beaucoup plus anglais, allemands, mais aussi italiens et espagnols que français, on le sait. « La critique de Heidegger commence à se frayer un chemin en France » constate modestement Emmanuel Faye. [9]. L’intérêt de ces contributions tient non seulement à leur teneur intrinsèque mais aussi au caractère ouvert des analyses qui, à de nombreuses reprises esquissent des pistes de recherche à effectuer. Cette nécessité tient au moins autant à l’abondance des écrits de Heidegger (E. Faye remarque avec raison que « peu d’esprits auront le loisir d’aller consulter les 102 volumes de la Gesamtausgabe , les 35 volumes en cours de parution chez Alber Verlag de la correspondance et autres textes publiés hors Gesamtausgabe . En ce sens la prolixité verbale de Heidegger continue de le protéger. ») [10], qu’à l’ahurissant statut de ces « œuvres complètes ».Ainsi par exemple, E. Martineau , dans l’introduction à sa traduction de Sein und Zeit justifie le choix de l’exemplaire N101963 , améliorée par Heidegger, vingt- six ans après la première édition. Autre exemple : « aussi bien la traduction française parue chez Gallimard, que l’espagnole parue chez Destino, (du cours consacré à Nietzsche que Heidegger avait prévu pour le semestre d’hiver 1941-1942) se sont fondées sur l’édition de 1961 (dans le volume II du Nietzsche) qui, à la lumière de la publication de l’original en 1990 , s’est avérée être une falsification, du fait des manipulations de Heidegger lui-même comme Emmanuel Faye l’a prouvé dans sa recherche ». [11]. S’il est certain , comme l’écrit aussi G. Pégny que « l’évolution du corpus ne peut qu’entraîner une évolution des interprétations » , les documents les plus récents jettent une lumière rétrospective dépourvue d’ « innocence » sur des publications anciennes, si on veut bien avoir présent à l’esprit que Heidegger lui-même décida « d’intégrer dans le programme de publication qu’il mit sur pied, des textes ouvertement nazis ». [12].C’est ainsi que, dans le paragraphe 44a de Etre et temps dans lequel il est question de la théorie de la vérité, quelques lignes qui purent passer relativement inaperçues, ou seulement érudites, prennent, après coup, un fort curieux parfum ; le fragment très connu d’Aristote concernant l’homologie aux choses des affections de l’âme (pathemata tes psuches) aurait, écrit Heidegger, « fourni son occasion à l’élaboration de la définition ultérieure de l’essence de la vérité comme adaequatio intellectus et rei- Thomas d’Aquin qui renvoie à propos de cette définition à Avicenne, qui l’avait à son tour reçue du Livre des définitions d’Isaac Israëli (X° siècle) utilise aussi au lieu de adaequatio.. les termes correspondentia et convenientia ».(Martineau p. 160 (214 édition en allemand)). On imagine la responsabilité qui pèse sur celui qui recouvrit pour toujours, jusqu’à Heidegger, le concept grec de vérité. [13]. Les notions heideggeriennes qui constituent le titre de cet ouvrage- le sol,la communauté, la race- sont réellement abordées parce que les auteurs s’accordent à juger qu’en « ontologisant » de tels vocables, tellement marqués politiquement, Heidegger prenait fortement le risque de convertir la philosophie en « mythologie politique » , selon la bienheureuse formulation de F. Rastier. uploads/Litterature/ heidegger-le-sol-la-race.pdf
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- Publié le Jui 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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