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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Action. Les passages narrativo-descriptifs du scénario » Jacqueline Viswanathan Cinémas : revue d'études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies, vol. 2, n° 1, 1991, p. 7-26. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1001049ar DOI: 10.7202/1001049ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 8 September 2016 07:26 Action. Les passages narrativo -descriptifs du scénario Jacqueline Viswanathan RESUME Il s'agit de mettre en question certaines des assertions les plus courantes des manuels d'écriture du scénario à pro- pos des parties narrativo-descriptives. Que veut-on dire quand on conseille à l'aspirant scénariste de pratiquer une «écriture visuelle» ou une «écriture cinématogra- phique»? L'analyse montre que, plutôt que des descrip- tions riches en détails visuels, les passages narratifs pro- posent une lecture des éléments signifiants essentiels du plan ou de la séquence, tels qu'interprétés et organisés par un spectateur hypothétique. ABSTRACT This article questions some common assertions found in handbooks about the writing of the action parts of a screenplay. What does "visual scriptwriting" really mean? An analysis of actual screenplays shows that, rather than descriptions with precise visual information, the narrative parts of a script focus on a reading of the most important signifying components of the shot or the sequence, as interpreted and organized by a hypothetical spectator. Qui, parmi les critiques universitaires, ose juger un roman, une pièce ou un film suivant certaines normes préétablies? Qui, parmi les professeurs, prétend savoir enseigner comment s'écrit un bon poème? Les études littéraires et cinématographiques se veulent descriptives et analytiques plutôt que normatives ou pra- 8 tiques. En revanche, la presque totalité des ouvrages publiés sur le scénario sont des manuels qui adoptent sans complexe une ap- proche prescriptive1. On ne compte plus les livres s'intitulant: Comment écrire un scénario ou A Practical Manual of Screenplay Writing 2. En raison de cette optique didactique, leur démarche suit presque toujours les différents stades d'écriture du scénario: invention de l'histoire (intrigue, personnages, situa- tions); puis élaboration du récit (composition et découpage); en- fin, rédaction du dialogue et parfois des directives scéniques et techniques. Leur parution remonte au tout début du cinéma et se poursuit de nos jours. Bien que s'inspirant des multiples manuels américains du genre How to write a screenplay, il faut reconnaître que les au- teurs français d'ouvrages récents, Michel Chion, Jean-Paul Torok, Anthony Cucca, Pierre Maillot et Jean-Claude Carrière, se gardent de présenter des recettes à succès garanti. À la diffé- rence des Américains, ils adoptent une approche plus analytique et exploitent des concepts de la critique actuelle, notamment de narratologie. On aurait mauvaise grâce de condamner cette orientation pé- dagogique: le scénario est un texte qui répond à des besoins pré- cis en fonction d'impératifs filmiques et commerciaux. Mais l'inconvénient d'une telle approche, c'est qu'elle peut parfois se limiter à des préceptes simplistes qui ne reflètent pas la pratique réelle et qu'elle encourage l'apprenti scénariste à se percevoir comme le docile exécutant d'un ensemble de règles. En mettant l'accent sur l'importance des recettes, les manuels contribuent peut-être aussi à faire sous-estimer la part artistique du scéna- riste, une injustice dont celui-ci a pâti depuis qu'existe le cinéma. Je me propose ici de réexaminer certains lieux communs, se retrouvant de manuel en manuel (surtout dans le corpus améri- cain) et qui me paraissent sujets à caution. Je ne chercherai pas à proposer de nouvelles règles d'écriture. 1 1 me semble au contraire qu'il existe en fait une diversité de style parmi les scé- naristes reconnus et que tout auteur devrait se sentir libre d'innover dans son écriture comme dans l'invention de l'histoire ou la composition du récit. Je me limiterai à l'analyse des par- ties narrativo-descriptives du scénario, autrement dites colonne «action» dans l'ancien format, ou encore directives scéniques dans le vocabulaire de théâtre (dorénavant désignées par l'abréviation ND dans mon texte). Que penser des conseils don- nés à propos de la sélection de l'information ou du choix des procédés de narration et de style, en ce qui concerne ces pas- sages? Est-ce que ces recommandations concordent avec certains Cinémas, vol. 2, n° 1 exemples tirés de scénarios connus? Ces exemples, je les ai pris dans des découpages avant montage, publiés ou en manuscrits 3. Quand je disposais de plusieurs «moutures», j'ai choisi de préfé- rence la continuité dialoguée ou le découpage non technique, car je m'intéresse à la construction du monde imaginaire évoqué par les ND pour le film virtuel, plutôt qu'aux directives de tournage (cadrages, angles de prises de vues, etc.) qui visent sa fabrica- tion. Si, suivant l'optique des manuels, le scénario est seulement perçu comme l'épure (blue print) d'un film à venir, il est normal de l'oublier ou même de s'en débarrasser après le tournage. Adoptant un autre point de vue, je voudrais au contraire consa- crer la dernière partie de cet article à la question de l'édition du scénario. Il me semble en effet que la version des ND, choisie pour la publication peut influencer l'étude et l'interprétation des films, d'où l'importance d'une critique textuelle du scénario. Une écriture visuelle? «11 faut raconter en images», «... pratiquer une écriture vi- suelle», «À chaque idée, son plan ou presque. Le style écrit n'apporte rien au scénario et ne fait qu'alourdir le propos en ca- chant le plus important, la représentation visuelle. Il s'agit donc de figurer par des mots à la fois simples et précis, un découpage adapté4»: ce sont là les conseils qu'on adresse le plus fréquem- ment aux futurs scénaristes. À première vue, cela constitue de simples observations de bon sens, mais qui pourtant recèlent plusieurs présupposés contestables au sujet du langage et de ses rapports avec le visuel. L'auteur laisse entendre, par exemple, que le découpage par plans peut se superposer au «découpage» de la langue. On peut aussi se demander ce qu'il entend par «style écrit» et comment les mots peuvent «figurer» au lieu de signifier. Un autre manuel propose un exemple qui nous permettra peut-être de mieux comprendre ce qu'est une «écriture visuelle». Tudor Eliad explique que la phrase «Le lendemain matin, X. se réveilla en pensant à elle» est inacceptable dans les ND d'un scé- nario parce que «non visuelle 5». L'auteur propose de lui substi- tuer: «Intérieur-jour. Soleil à travers les volets. X, mi- éveillé, ouvre les yeux, puis jette de brefs regards autour de lui» (p. 58). On voit en effet que la deuxième phrase remplace une informa- tion temporelle et une information psychologique par des élé- ments «filmables»: soleil, regards. Mais le scénariste n'a pas, comme le dit Eliad, figuré le temporel et le psychologique par des éléments visuels. La deuxième phrase ne dit pas autrement, elle dit autre chose et laisse de côté les pensées de X. qui doivent Action. Les passages narrativo-descriptifs du scénario pourtant constituer le message essentiel de ce plan. Un exemple tiré d'un scénario authentique, Les Enfants du Paradis de Jacques Prévert, révèle un processus inverse. Prévert écrit d'abord: «Frédéric ferme sa porte à clef»; puis il corrige: «Heureux d'être enfin seul, Frédéric ferme sa porte à clef en poussant un soupir de soulagement» (p. 28). Le scénariste a donc ajouté un trait psychologique non visuel en même temps qu'un second si- gnifiant «visible» de ce sentiment: le «soupir de soulagement». Les scénarios d'Ingmar Bergman sont eux aussi remarquables par la richesse de leurs notations psychologiques: Enfin, Karen va vers le lit, se penche vers le visage de sa mère, l'embrasse sur la joue. Puis, elle reste là, debout, immobile, très longtemps et la regarde; elle a l'impression que la paupière de la morte se contracte, que la poitrine se soulève pour respirer, mais c'est une illusion — le jeu mystérieux de la mort avec l'esprit des vivants (p. 112). La dernière partie de cette citation décrit une illusion du per- sonnage qui ne sera sûrement pas «visible» dans les images du film mais qu'un spectateur compatissant («spectateur idéal») pourrait imaginer. Il faut noter à quel point les scénarios de Bergman et ceux d'Antonioni, par exemple, diffèrent du modèle des manuels. On sent ici que les réalisateurs s'efforcent avant tout de communiquer un monde imaginaire, de donner vie et profondeur à leurs personnages pour leurs collaborateurs. Les ND de ces scénarios s'élaborent autour d'actions, de situations concrètes, mais elles les dépassent toujours par leur contenu émotif. Il n'est donc pas nécessaire d'enjoindre aux futurs scénaristes d'exclure de leurs textes tout énoncé psychologique. Le scénario peut formuler les composantes essentielles du monde fictif construit par uploads/Litterature/ les-passages-narrativo-descriptifs-du-scenario.pdf
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- Publié le Mai 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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