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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « L’Hérodiade de Mallarmé à travers la figure revisitée de saint Jean-Baptiste » Catherine Boschian Études littéraires, vol. 39, n° 1, 2007, p. 151-166. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/018109ar DOI: 10.7202/018109ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 13 juin 2015 03:02 bbbbbbbbbbbbbbb L a figure biblique de Jean-le-Baptiste, précurseur, prophète, « voix de celui qui crie dans le désert », a inspiré une multitude d’écrivains et de poètes, qui se sont toujours attachés au couple que le saint forme avec Salomé, parfois appe- lée Hérodiade. Le thème va connaître un succès croissant durant la seconde moitié du XIXe siècle, quand le personnage du saint semble se vider de sa substance au profit de celle que Barbey d’Aurevilly nomme cette « bourrelle d’Hérodiade ». Mallarmé, lui, contrairement à ce que pourrait laisser augurer le titre de son œuvre, Hérodiade, fait de saint Jean la clef de voûte de son poème. Si la parole n’y est donnée au Baptiste que dans le « Cantique de saint Jean », la figure sous-tend cependant la totalité de l’œuvre, qui opère un détournement des éléments bibliques convoqués. Aborder ce poème, c’est s’attaquer à un sujet extrêmement complexe qui a fait l’objet d’études magistrales comme celles de Gardner Davies1, Sylviane Huot2, Jean-Pierre Richard3 et, plus récem- ment, de Bertrand Marchal4, Laurent Mattiussi5, Mireille Rupli et Sylvie Thorel6. Ces lectures, éclairantes et souvent complémentaires, témoignent de la richesse d’un texte fragmentaire dont on n’a pas encore épuisé le sens. Nous nous proposons quant à nous d’en retracer la genèse avant de réfléchir à la fonction qu’occupe, dans l’œuvre mais aussi dans la psyché mallarméennes, la figure axiale du Précurseur, laquelle participe d’une symbolique biblique omniprésente dans une fiction poétique allégorique qui a pour objet de reconstituer le mariage de la Beauté, Hérodiade, et du Génie, Jean-le-Baptiste. L’Hérodiade de Mallarmé à travers la figure revisitée de saint Jean-Baptiste Catherine Boschian 1 ���������������� Gardner Davies, Mallarmé et le drame solaire, 1959, et Mallarmé et le rêve d’Hérodiade, 1978. 2 ��������������� Sylviane Huot, Le mythe d’Hérodiade chez Mallarmé, genèse et évolution, 1977. 3 ��������������������� Jean-Pierre Richard, L’univers imaginaire de Mallarmé, 1961. 4 ������������������ Bertrand Marchal, Salomé, entre vers et prose. Baudelaire, Mallarmé, Flaubert, Huysmans, 2005. 5 ������������������������������������������������������������� Si Laurent Mattiussi n’a pas consacré une étude spécifique à Hérodiade, sa thèse Figuration du divin, figuration de soi : mythe et liturgie chez Mallarmé, George et Yeats (1996), en permet une lecture éclairée. 6 ������������������������������������������������������� Mireille Ruppli-Coursange et Sylvie Thorel-Cailleteau, Mallarmé : la grammaire et le grimoire, 2005. 152 • Études littéraires – Volume 39 No 1 – Automne 2007 Hérodiade, ce nom fait rêver Mallarmé depuis son adolescence. Une fascination qui conduit le jeune écrivain à l’insérer dans « Les Fleurs », poème où il affiche sa filiation à Baudelaire. En 1865, il confie à Eugène Lefébure : « Le peu d’inspiration que j’ai eu, je le dois à ce nom, et je crois que si mon héroïne s’était appelée Salomé, j’eusse inventé ce mot sombre, et rouge comme une grenade ouverte, Hérodiade7. » Commentaire qui prouve que le personnage éponyme n’était pas initialement, pour Mallarmé lui-même, caractérisé par sa pureté et les sèmes y afférant. Lorsque le poète entreprend son œuvre, où il opère volontairement la fusion entre Hérodiade et sa fille, le thème biblique commence seulement à s’imposer dans l’art et la littérature ; il n’est pas encore devenu ce mythe symboliste que Michel Décaudin définira comme celui de la « femme-fleur du Mal8 » qui habite la littérature fin-de-siècle. L’entreprise de relecture du sujet biblique n’est cependant pas indépendante d’influences auxquelles, de par sa nature et ses expériences, Mallarmé a été sensible. Parmi ses sources d’inspiration s’impose Atta Troll (1841), de Heinrich Heine, où le personnage féminin est déjà assimilé à la beauté qui fascine le poète ; Hérodiade-Salomé y est figurée comme un spectre qui baise le chef du saint avec lequel elle joue comme avec une balle9. Helen Zagona10 a montré de quelle manière les deux écrivains avaient fait du personnage féminin, a contrario de leurs sœurs en peinture et en littérature, l’allégorie d’une poésie nouvelle. Mallarmé a 22 ans en 1864 quand il évoque la composition d’une œuvre portant ce titre, dont il veut qu’elle soit une tragédie. Il s’en ouvre à son ami Henri Cazalis : J’ai enfin commencé mon Hérodiade. Avec terreur, car j’invente une langue qui doit nécessairement jaillir d’une poétique très nouvelle, que je pourrais définir en ces deux mots : Peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit11. Mallarmé, qui a désiré apprendre l’anglais pour pouvoir lire Edgar Poe dans le texte, veut mettre en œuvre la poétique qu’il a découverte dans la Genèse d’un Poème, où on lit que « la première de toutes les considérations, c’est celle d’un effet à produire12 ». Pour Bertrand Marchal, le poète constate avec Poe que « les plus pures exaltations sont à la merci d’une mécanique verbale entièrement maîtrisée13 ». En composant Hérodiade, Mallarmé s’inscrit dans la continuité de la poétique de son maître, comme le confirme la nature du sentiment dont il se sent habité alors et dont Cazalis, une fois encore, reçoit la confidence : 7 ������������������������������������������������������������������������� Stéphane Mallarmé, « Lettre du 18 février 1865 à Eugène Lefébure », dans Correspondance complète 1862-1871. Lettres sur la poésie 1872-1898 avec des lettres inédites, 1995, p. 226. 8 ���������������������������� Michel Décaudin, « Un mythe fin de siècle, Salomé », 1967, p. 111. 9 ��������������������������������������������� Un élément que reprendra Oscar Wilde pour sa Salomé. 10 �������������������� Helen Grace Zagona, The Legend of Salome and the Principle of Art for Art’s Sake, 1960. Voir le chapitre 2. 11 ����������������������������������������������������������������������� Stéphane Mallarmé, « Lettre du 30 octobre 1864 à Henri Cazalis », dans Correspondance complète, op. cit., p. 206. 12 ����������������� Edgar Allan Poe, Histoires grotesques et sérieuses, 1979, p. 268. 13 ������������������ Bertrand Marchal, La religion de Mallarmé, 1988, p. 47. L’Hérodiade de Mallarmé... de Catherine Boschian • 153 Moi, stérile et crépusculaire, j’ai pris un sujet effrayant, dont les sensations quand elles sont vives, sont amenées jusqu’à l’atrocité, et si elles flottent, ont l’attitude étrange du mystère14. Le propos indique déjà la nature de la réécriture à laquelle le poète se livrera à partir d’un thème dont sa psyché perçoit la puissance ; Mallarmé veut renouer au plus profond du sujet en présentant d’emblée comme secondaire la fidélité au récit biblique. L’expérience poétique, dont Hérodiade devient l’incarnation, prime dès lors sur toute autre visée. Dans un processus d’identification où les caractéristiques individuelles du modèle n’ont cependant plus de valeur que symbolique, Mallarmé s’abîme dans la figure de Jean-le- Baptiste pour tenter une aventure poétique sans précédent. Une démarche identifiable a posteriori, sur laquelle nous éclairent la correspondance de l’auteur et la publication des différents états des Noces d’Hérodiade par Gardner Davies15 en 1959, ouvrage qui rassemble les manuscrits d’une œuvre inachevée dont l’écriture s’étend sur 35 ans. Dans une note des années 1890, Mallarmé précisera : J’ai laissé le nom d’Hérodiade pour bien la différencier de la Salomé je dirai moderne ou exhumée avec son fait-divers archaïque — la danse, etc., l’isoler comme l’ont fait des tableaux solitaires dans le fait même, terrible, mystérieux — et faire miroiter ce qui probablement hanta, en apparue avec son attribut — le chef du saint — dût la demoiselle constituer un monstre aux amants vulgaires de la vie16. Commentaire qui souligne que cette œuvre emblématique de l’évolution spirituelle et poétique de Mallarmé témoigne aussi, de la part du poète, d’un souci de se démarquer des réécritures de son temps. Au début de la composition de ce qu’il conçoit d’abord comme un drame, Mal- larmé déplore ne pas pouvoir s’y consacrer exclusivement. Il faut préciser qu’Hérodiade a désormais, en la petite personne de Geneviève, une rivale qui empêche l’écrivain de s’abstraire de la vie quotidienne. « Ce poème, écrit ce père de 22 ans en évoquant le bébé qui vient de naître, malheureusement, me prive des autres, et eussé-je la force de me met- tre à écrire, je crois qu’elle chasserait avec ses cris les neuf Muses17. » Mallarmé précisera ailleurs qu’il est « trop jeune pour sentir toute la paternité » et qu’il aime « l’enfant, ou le chérubin détaché des fonds bleus de Murillo, plus que [s]a fille, dans Geneviève18 ». Dès cette époque, il devient le poète de la beauté pure qui rejette la peinture de l’amour, lequel n’est qu’un des uploads/Litterature/ herodiade-de-mallarme.pdf

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