ESSAIS - Revue interdisciplinaire d’Humanités Hors série - 2016 Usages critique

ESSAIS - Revue interdisciplinaire d’Humanités Hors série - 2016 Usages critiques de Montaigne Études réunies par Philippe Desan et Véronique Ferrer Hors série - 2016 ÉCOLE DOCTORALE MONTAIGNE-HUMANITÉS Revue interdisciplinaire d’Humanités ED H Usages critiques de Montaigne Études réunies par Philippe Desan et Véronique Ferrer Hors série - 2016 ÉCOLE DOCTORALE MONTAIGNE-HUMANITÉS Revue interdisciplinaire d’Humanités Comité de rédaction Jean-Luc Bergey, Laetitia Biscarrat, Charlotte Blanc, Fanny Blin, Brice Chamouleau, Antonin Congy, Marco Conti, Laurent Coste, Hélène Crombet, Jean-Paul Engélibert, Rime Fetnan, Magali Fourgnaud, Jean-Paul Gabilliet, Stanislas Gauthier, Aubin Gonzalez, Bertrand Guest, Sandro Landi, Sandra Lemeilleur, Mathilde Lerenard, Maria Caterina Manes Gallo, Nina Mansion, Mélanie Mauvoisin, Myriam Metayer, Isabelle Poulin, Anne-Laure Rebreyend, Jeff rey Swartwood, François Trahais Comité scientifi que Anne-Emmanuelle Berger (Université Paris 8), Jean Boutier (EHESS), Catherine Coquio (Université Paris 7), Philippe Desan (University of Chicago), Javier Fernandez Sebastian (UPV), Carlo Ginzburg (UCLA et Scuola Normale Superiore, Pise), German Labrador Mendez (Princeton University), Hélène Merlin- Kajman (Université Paris 3), Franco Pierno (Victoria University in Toronto), Dominique Rabaté (Université Paris 7), Charles Walton (University of Warwick) Directeur de publication Sandro Landi Secrétaire de rédaction Chantal Duthu Les articles publiés par Essais sont des textes originaux. Tous les articles font l’objet d’une double révision anonyme. Tout article ou proposition de numéro thématique doit être adressé au format word à l’adresse suivante : revue-essais@u-bordeaux-montaigne.fr La revue Essais est disponible en ligne sur le site : http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue-essais.html Éditeur/Diff useur École Doctorale Montaigne-Humanités Université Bordeaux Montaigne Domaine universitaire 33607 Pessac cedex (France) http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue-essais.html École Doctorale Montaigne-Humanités Revue de l’École Doctorale ISSN : 2417-4211 ISBN : 978-2-954426?????? • EAN : 9782954426???? © Conception/mise en page : DSI Pôle Production Imprimée En peignant le monde nous nous peignons nous-mêmes, et ce faisant ne peignons « pas l’être », mais « le passage »1. Dialogues, enquêtes, les textes amicalement et expérimentalement réunis ici pratiquent active- ment la citation et la bibliothèque. Ils revendiquent sinon leur caractère fragmentaire, leur existence de processus, et leur perpétuelle évolution. Créée sur l’impulsion de l’École Doctorale « Montaigne-Humanités » devenue depuis 2014 Université Bordeaux Montaigne, la revue Essais a pour objectif de promouvoir une nouvelle génération de jeunes chercheurs résolument tournés vers l’interdisciplinarité. Essais propose la mise à l’épreuve critique de paroles et d’objets issus du champ des arts, des lettres, des langues et des sciences humaines et sociales. Communauté pluridisciplinaire et plurilingue (des traductions inédites sont proposées), la revue Essais est animée par l’héritage de Montaigne, qui devra être compris comme une certaine qualité de regard et d’écriture. Parce que de Montaigne nous revendiquons cette capacité à s’exiler par rapport à sa culture et à sa formation, cette volonté d’estrange- ment qui produit un trouble dans la perception de la réalité et permet de décrire une autre scène où l’objet d’étude peut être sans cesse refor- mulé. Ce trouble méthodologique ne peut être disjoint d’une forme particulière d’écriture, celle, en eff et, que Montaigne qualifi e de façon étonnamment belle et juste d’« essai ». Avec la revue Essais nous voudrions ainsi renouer avec une manière d’interroger et de raconter le monde qui privilégie l’inachevé sur le méthodique et l’exhaustif. Comme le rappelle Th eodor Adorno (« L’essai comme forme », 1958), l’espace de l’essai est celui d’un anachronisme permanent, pris entre une « science organisée » qui prétend tout expli- quer et un besoin massif de connaissance et de sens qui favorise, plus encore aujourd’hui, les formes d’écriture et de communication rapides, lisses et consensuelles. Écriture à contrecourant, l’essai vise à restaurer dans notre communauté et dans nos sociétés le droit à l’incertitude et à l’erreur, le pouvoir qu’ont les Humanités de formuler des vérités complexes, dérangeantes et paradoxales. Cette écriture continue et spéculaire, en questionnement permanent, semble seule à même de constituer un regard humaniste sur un monde aussi bigarré que relatif, où « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». C’est ainsi qu’alternent dans cette « marqueterie mal jointe », numéros monographiques et varias, développements et notes de lecture, tous également essais et en dialogue, petit chaos tenant son ordre de lui-même. Le Comité de Rédaction 1 Toutes les citations sont empruntées aux Essais (1572-1592) de Michel de Montaigne. Usages critiques de Montaigne Études réunies par Philippe Desan & Véronique Ferrer Déjà en 1595, Marie de Gournay mettait le lecteur des Essais en garde contre les diffi cultés inhérentes à ce « livre d’un air nouveau1 ». Elle défendait une manière d’écrire résolument moderne qui nécessitait un eff ort particulier : « [t] tous autres [auteurs], et les anciens encore, ont l’exercice de l’esprit pour fi n ; du jugement, par accident : il a pour dessein au rebours l’escrime du jugement ; et par rencontre, de l’esprit, fl eau perpetuel des erreurs communes. Les autres enseignent la sapience, il desenseigne la sottise2 ». Malgré ses éloges dithyrambiques, Gournay reconnaissait pourtant le « froid recueil, que nos hommes ont fait aux Essais3 ». La première réception de Montaigne fut en eff et loin de correspondre aux attentes de sa fi lle d’alliance4. Étienne Pasquier condamne par exemple les gasconnismes de Montaigne et lui reproche ses coq- à-l’âne et sa « licence extraordinaire5 ». Philosophes et littérateurs du XVIIe siècle critiquèrent ce livre écrit « à peu d’hommes et à peu d’années6 », pour reprendre l’expression de Montaigne. Pascal parle ainsi du « sot projet qu’il [Montaigne] a de se peindre7 », Malebranche fait de l’auteur des Essais « un pédant à la cavalière8 » et Descartes ne mentionne pas une seule fois le nom de Montaigne. Quant à Guez de Balzac, il rapporte une anecdote qui fait du maire de Bordeaux un mauvais gestionnaire : « […] je ne sçaurois m’imaginer 1 Marie de Gournay, « Préface sur les Essais de Michel seigneur de Montaigne, par sa fi lle d’alliance », in Les Essais, Paris, Abel L’Angelier, 1595, f. a2r. 2 Ibid., f. e4r. 3 Ibid., f. a2r. 4 Sur la première réception de Montaigne, voir Olivier Millet, La Première réception des Essais de Montaigne (1580-1640), Paris, H. Champion, 1995. 5 Etienne Pasquier, « Lettre à Monsieur de Pelgé », in Lettres, XVIII, reproduite dans l’édition Villey-Saulnier des Essais, p. 1206-1210. 6 Montaigne, Essais, édition Villey-Saulnier, Paris, Presses Universitaires de France, 1965, III, 9, 982. 7 Pascal, Pensées, éd. P . Sellier, n° 644. 8 Malebranche, Œuvres, éd. J. Simon, Paris, Charpentier, 1842, t. II, p. 204. Avant-Propos Philippe Desan & Véronique Ferrer Philippe Desan & Véronique Ferrer 8 qu’un homme qui a sçeu gouverner toute la terre, ne valut pour le moins autant qu’un homme qui ne sceut pas gouverner Bordeaux9 ». Comme on le voit, le bilan est peu fl atteur et bientôt le langage des Essais repoussera encore plus les lecteurs désormais convertis à l’épuration linguistique amorcée par Malherbe. Le XVIIIe siècle considéra Montaigne comme un auteur singulier qui fut moins lu qu’évoqué par les philosophes qui voyaient en lui un esprit fort et un pourfendeur de systèmes. Il resta néanmoins un écrivain provincial et donc à la périphérie des salons parisiens, bien que son esprit rêveur et son sensua- lisme furent tour à tour valorisés par Rousseau, Diderot et Condillac. L’âge de raison eut du mal à reconnaître ce penseur qui accordait tant d’impor- tance à l’imagination et qui présentait ses idées à « sauts et à gambades ». On lui reprocha une fois de plus son manque d’organisation et les digressions qui encombraient ses jugements. Les contradictions si fréquentes à l’intérieur d’un même chapitre déroutèrent ceux qui aimaient assez le scepticisme et le relativisme de Montaigne. Il faut pourtant reconnaître que Pierre Coste, le grand éditeur des Œuvres de Montaigne au XVIIIe siècle, sera le premier à présenter les Essais dans leur contexte historique et politique, publiant par exemple, pour la première fois, le Discours de la servitude volontaire de La Boétie dans une édition des œuvres de Montaigne. Pour lui, Montaigne était certes un auteur plaisant, mais certainement pas un philosophe. On s’ingénia par exemple à chercher et à répertorier les « pensées » de Montaigne sans pour autant s’intéresser à la façon dont ces idées étaient articulées. La forme ouverte de l’essai déroutait le lecteur habitué aux arguments raisonnés. À la fi n du XVIIIe siècle, c’est-à-dire à la veille de la Révolution française, les Essais furent en quelque sorte écrasés par le poids de la raison. La découverte de l’Exem- plaire de Bordeaux en 1772, pratiquement en même temps que le manuscrit du Journal de voyage, donna cependant un nouvel élan aux études montai- gnistes. Les « manuscrits de Montaigne », comme on appelait alors l’Exem- plaire de Bordeaux et le Journal, transformèrent Montaigne en littérateur et permirent son intégration dans le canon de la littérature française. Dans l’ensemble, on peut dire que le XIXe siècle reçut favorablement la « singularité » des Essais et l’imagination montaignienne fut bientôt considé- rée comme le complément indispensable de la raison cartésienne. Montaigne devint alors un auteur digne d’être enseigné dans les écoles publiques. Les éditions des Essais se succédèrent uploads/Litterature/ hs3-usagescritiquesmontaigne-pdf.pdf

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