1 VIA HERMETICA 3 REVUE DIGITALE de BEYAEDITIONS.COM BRACESCO MYTHOLOGUE BRACES
1 VIA HERMETICA 3 REVUE DIGITALE de BEYAEDITIONS.COM BRACESCO MYTHOLOGUE BRACESCO MYTHOLOGUE H. van Kasteel Ils amusaient le peuple par des fables, et ces fables, avec les noms des dieux du pays, servaient de voile à leur philosophie. Origène1 INTRODUCTION Pour les lecteurs des Arcanes très secrets de Michaël Maïer, Bracesco n’est plus un total inconnu. Maïer l’y cite comme un prédécesseur dans l’approche alchymique de la mythologie des Anciens2. Médecin originaire de la région de Brescia, Giovanni Bracesco fit paraître en 1544 un ouvrage rédigé en italien, La Espositione di Geber philosopho, dont la version latine a fini par s’imposer sous le titre De Alchimia dialogi duo. Il s’agit, en effet, de deux dialo- gues dont le contenu respectif, voire les paroles mêmes se recou- pent souvent. Le premier, intitulé Dialogue expliquant le sens vrai et authentique des livres de Géber, se déroule entre le fameux phi- losophe arabe et un étudiant enthousiaste, nommé Démogorgon, qui est venu lui rendre visite en Perse pour s’instruire dans les 1. Cité par Dom A.-J. Pernety, Les Fables égyptiennes et grecques dévoilées, Paris, 1786 [rééd. par la Table d’émeraude, 1982], t. I, p. IX. 2. Cf. M. Maïer, Les Arcanes très secrets, Beya, Grez-Doiceau, 2005, p. 13. D’autre part, deux passages de l’œuvre de Bracesco ont été abondamment utilisés par Nadine Coppin dans son commentaire sur La Chute d’Icare (cf. Via Hermetica, n° 2, octobre 2007) ; on découvrira ci-dessous la traduction complète de l’un d’entre eux. 2 VIA HERMETICA 3 REVUE DIGITALE de BEYAEDITIONS.COM BRACESCO MYTHOLOGUE secrets les plus profonds de la nature. Le second, Le Bois de vie, ou Dialogue qui explique les écrits de Raymond Lulle, se passe entre le célèbre Majorquin et le disciple anonyme qui, parti de Lombardie dans le même but, a rejoint le maître sur son île natale3. Comme on le verra ci-dessous, les allusions aux ouvrages de Géber ne sont pas moins fréquentes dans ce second texte. Ce qui a particulièrement attiré notre attention dans l’ouvrage de Bracesco, c’est précisément l’interprétation alchymi- que des mythes gréco-romains. L’auteur y a recours pour appuyer l’enseignement de Géber et de Lulle. On peut parler d’une première sorte de systématisation qui, plus tard, sera net- tement développée par Maïer, davantage encore par Pernety. Cependant, la méthode de Bracesco paraît un peu différente. Maïer et Pernety partent d’un classement plus ou moins raisonné (généalogique et chronologique) des mythes, pour les expliquer l’un après l’autre. Bracesco, lui, semble suivre un fil d’Ariane qu’il déroule au fur et à mesure qu’il passe en revue des mythes paraissant, extérieurement du moins, beaucoup moins liés entre eux. Ce procédé n’est certes pas moins intéressant. Nous proposons au lecteur, dans les pages qui suivent, la tra- duction d’un extrait du deuxième dialogue, Le Bois de vie4. Les allusions à des passages antérieurs ne sont pas rares, mais ne devraient pas nuire à une compréhension globale des propos attribués ici à Raymond Lulle. Les références chiffrées à l’œuvre de Géber, que donne parfois le texte latin, semblent difficilement utilisables, voire inexactes ; nous les avons actualisées, autant que possible, dans les notes ajoutées en bas de page. 3. Le texte latin des deux dialogues se trouve dans J.-J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, Genève, 1702 [rééd. par Forni en 1976], t. I, pp. 565 à 597, et 911 à 938. Ce disciple représente vraisemblablement Bracesco lui-même. 4. Nous avons suivi le texte de Manget, op. cit., pp. 923 à 927 [à noter qu’en rai- son d’une erreur de numérotation, les pp. 925 et 926 sont inexistantes]. 3 VIA HERMETICA 3 REVUE DIGITALE de BEYAEDITIONS.COM BRACESCO MYTHOLOGUE EXTRAIT DU BOIS DE VIE RAYMOND : [...] Pour cacher cette science5, les Anciens se sont servis d’un grand nombre de noms, de comparaisons, d’énigmes, et sur- tout de fables poétiques. DISCIPLE : Il y a quelques instants déjà, j’ai voulu te dire que c’est pour moi un grand sujet d’étonnement de voir des hommes éminem- ment sages cacher cette science tellement divine sous le voile de ces fictions et chimères. Mais si tu parviens à me faire comprendre la chose, je te serai perpétuellement redevable. Je n’ai jamais rencon- tré personne, en effet, qui les ait expliquées dans un sens autre que moral. RAYMOND : Les anciens sages enseignaient les mœurs par des actes et des discours publics6 ! Celui donc qui ne connaît pas cette science est dans l’impossibilité de savoir ce qu’ils ont voulu signifier par tous ces noms de dieux, leur généalogie, leurs amours et leurs méta- morphoses. Si tu ne crois pas que tel soit bien le sens de ces fables, va voir le Traité des minéraux d’Albert (I, 2, 8), où il les expose en ce sens. D’après ses dires, la fable de la Gorgone conte comment elle pétri- fiait tous ceux qui la regardaient. Eh bien ! c’est à la forte puissance des minéraux qu’on a donné le nom de Gorgone7. Son aspect repré- sente, dit-on, la disposition qu’ont les humeurs des corps à l’égard de la faculté lapidifiante. Voilà les explications de quelques Anciens, telles que je viens de les dire ! DISCIPLE : Je ne les comprends pas encore. RAYMOND : Je t’ai dit tout à l’heure que dans les soufres, il y a une forte puissance minérale, qui endurcit et fixe : c’est elle qui est signi- fiée par la Gorgone. Le fait de la regarder exprime le rapport entre les humeurs ou vapeurs métalliques et cette vertu lapidifiante. Car, quand les fumées montent à travers le long cou du vase, puis des- 5. L’alchymie. 6. Ils n’avaient donc pas besoin de les cacher. Dans le premier Dialogue, Bra- cesco est moins concis et aussi moins tendre dans son argumentation : « Il faudrait être bien idiot pour croire que ces fictions avaient pour but de cacher une doctrine morale louée et si activement enseignée, en public comme en privé, en paroles et en actes, sans qu’aucune sorte de vertu n’y manque ! » (cf. J.-J. Manget, op. cit., p. 583). 7. Le premier sens de l’adjectif grec gorgÒj est « véhément », « impétueux ». 4 VIA HERMETICA 3 REVUE DIGITALE de BEYAEDITIONS.COM BRACESCO MYTHOLOGUE cendent à plusieurs reprises, elles finissent par s’unir aux soufres susdits et se changent en une pierre très précieuse. Les poètes écrivent aussi que les Grecs virent un serpent monter sur un arbre8. À son sommet, il trouva la mère avec tous ceux qu’il man- gea. Lui-même, inclinant la tête, se changea en pierre. Le serpent représente la vapeur et humidité radicale des métaux. Avant la cuis- son, en effet, celle-ci est très venimeuse, et on la désigne par les noms de serpents, de dragons, de lions, d’ours et de basilics, parce qu’ils ont une nature féroce et venimeuse. Cette vapeur monte donc par distillation dans le vase et y trouve les fils, c’est-à-dire ces deux soufres, avec la mère, c’est-à-dire avec l’argent vif féminin par lequel ces soufres ont été dissous. Elle les mange tous, parce qu’elle dis- sout ces soufres et les attire. Mais puisque cette vapeur monte, puis descend à travers le cou du vase, et qu’elle se dessèche en même temps que ces soufres, elle se change en pierre. L’Écriture sainte dit encore qu’en fuyant le feu, l’épouse de Lot regarda en arrière, contre l’ordre de Dieu, et que pour cette raison, elle fut changée en statue de sel9. Alphidius dit : « Avant que tu œuvres, je veux te décrire une bonne médecine : il faut qu’elle soit humide, et quand elle se cuit, elle doit se coaguler et s’épaissir comme le sel, la neige, la grêle, et avoir une douce saveur, le ventre noir et la couleur blanche »10. DISCIPLE : Que veut-on dire par le « ventre noir » ? RAYMOND : On veut dire que cette matière, bien que blanche au début de la cuisson, a cependant une noirceur cachée à l’intérieur d’elle. Celle-ci provient d’une onctuosité adustive qui n’a pas été totalement séparée. C’est pourquoi le premier signe qui apparaît dans la coagulation est la noirceur [appelée] « tête de corbeau », qui dure quarante jours depuis la coagulation. Ensuite, elle redevient blanche, dans la mesure où cette humidité est consumée. On met aussi en scène Jupiter, en colère contre son père Saturne, lui coupant avec une faux aiguë les organes génitaux, qui tombent dans la mer, et dont le sang associé à l’écume de la mer engendre Vénus. Par Saturne, on comprend ce sel avant la séparation de ses terres. On le dit père de Jupiter (Iovis pater), en effet, parce qu’il engendre Jupiter (Iupiter) une fois séparées les terres (separatis ter- ris). Quand donc ce sel a été posé dans le vase sur le feu, Jupiter, en 8. Cf. Homère, Iliade, II, 308 à 319. Le serpent s’y attaque à des moineaux. 9. Cf. Genèse, XIX, 24 à 26. 10. Nous n’avons pas retrouvé cette citation d’Alphidius parmi celles qui lui sont attribuées dans le Rosaire des philosophes. 5 VIA HERMETICA 3 REVUE uploads/Litterature/ bracesco-mithologue.pdf
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- Publié le Apv 01, 2021
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