DE LA POS TURE À L’ATTI TUDE Isabelle LAUNAY Christine ROQUET ou ce qu’un dan s

DE LA POS TURE À L’ATTI TUDE Isabelle LAUNAY Christine ROQUET ou ce qu’un dan seur peut dire aux hommes politiques Article paru dans Posture(s), imposture(s), MAC/VAL, Musée contemporain du Val-de-Marne, 2008 1 DE LA POSTURE À L’ATTITUDE Isabelle LAUNAY Christine ROQUET ou ce qu’un danseur peut dire aux hommes politiques Article paru dans Posture(s), imposture(s), MAC/VAL, Musée contemporain du Val-de-Marne, 2008 Entrer en scène quelle que soit la scène, c’est souvent d’abord se tenir debout face aux autres. Là com­ mence peut-être le théâtre comme la danse ou la politique. Que va-t-il se jouer immédiatement dans cet « être debout » devant nous ? La posture, ou mieux, le travail sur la posture est le B A Ba du danseur, son expertise quotidienne. Car au-delà de ses connotations morales et politiques, le duo « posture/imposture » résonne, en danse, en termes techniques et concrets. Comment suis-je debout aujourd’hui ? Comment tenir debout ? Qu’est-ce qui me tient debout ? De ces questions en découlent d’autres : comment je pèse sur le sol ? Comment je résiste ? Qu’est-ce qui cède ? Qu’est-ce qui tient ? Comment je m’oriente et grâce à quoi ? Comment je regarde ? La qualité d’une présence dépend de cette organisation‚ de cette mise en scène in­ terne. Pour prendre des exemples presque caricaturaux, la posture de Bourvil n’est pas celle de Jean Gabin, celle de Charlie Chaplin n’est pas celle de Buster Keaton, celle de Gandhi n’est pas celle de Fidel Castro, celle de Sarkozy n’est pas celle de Mitterand, ou encore dans le monde de la danse, celle de Rudolf Noureev n’est pas celle de Jérôme Bel. Le spectacle d’un corps ou de plusieurs corps nous rappelle qu’un dialogue corporel sous-tend les échan­ ges verbaux. Il y a un agir derrière le dire, du somatique dans le sémantique, une dynamique dans les figu­ res, des forces à l’œuvre sous les signes. Nous avons peu de mots pour dire cette expressivité qui sous-tend les échanges : on parle d’une réaction « épidermique » à l’égard d’autrui, on constate ou non l’existence d’« atomes crochus » entre soi et l’autre quand on décèle le sens d’une poignée de main qui dit le contraire d’une alliance ou d’une complicité, ou l’artificialité d’un sourire de façade. En bref, nous percevons, sans bien pouvoir la nommer, une « attitude » ou un rapport au monde, sous jacente à une posture. Le dialogue transite ainsi par des variations toniques, sensorielles, posturales, gestuelles, vocales. Dans la relation à « Notre posture érigée détermine notre attitude face au monde ; elle est un mode spécifique d’être-dans-le-monde. » Erwin Straus1 1Phenomenological Psychology, New York, Basic Books, p. 139 (traduction Christine Roquet). Voir aussi le bel article de Straus intitulé « La posture érigée », in Quant à la danse, n°1, Images en Manœuvre/Mas de la Danse éditions, octobre, 2004 (traduc­ tion d’Anne Lenglet et Christine Roquet). 2 de la posture à l’attitude - université de paris 8 saint-denis - département danse - Isabelle Launay - Christine Roquet - 2008 l’autre, nous percevons cette attitude hic et nunc : nous pouvons reconnaître quelqu’un sans le voir, par exemple à son pas dans l’escalier. En ce sens, la posture est déjà un mouvement, ainsi qu’une signature de l’humeur et du comportement, et le tonus vient alimenter ces multiples variations. Précisons ici que sous le terme général de « tonus », on englobe aussi bien le tonus musculaire, l’état de tension des tendons et des ligaments, des tissus, la tension artérielle et celle de la circulation lymphatique, mais encore le psycho- tonus, à savoir la tension psychique. Le neurophysiologue F. Veldman distingue par ailleurs quatre sortes de tonus : le « tonus de fond », la tension de base des muscles en attente « qui dépend de l’état psychique d’un individu » ; le « tonus de vigilance » relatif à la posture qui permet l’adaptation des diverses parties du corps à une situation ; le « tonus d’extension » spécifique à l’activité musculaire du corps en contact avec un objet ; et enfin « l’eutonus » qui désigne une tension des muscles équilibrée ou adaptée au but.2 Nos conversations sont donc autant langagières que posturales et kinesthésiques. Ce « dialogue toni­ que », (pour reprendre les termes du psychologue Henri Wallon qui, dès les années trente, analysait notam­ ment la fonction des attitudes comme étant au fond de la structuration des échanges entre le nourrisson et l’adulte3), aux teintes variées, est « fait de crispations et relâchements suivant les enjeux de l’échange ». Il constitue comme le fond des représentations et des fantasmes qui seront, ou non, verbalisés4. En amont du déroulement visible d’un geste, une activité de préparation muette et quasi invisible a lieu. La lecture de l’amorce du mouvement, des choix non-conscients d’orientation, de l’ébranlement infime du sujet dans sa danse, est ce qui permet de distinguer deux interprètes qui dansent pourtant la même partition choré­ graphique. Distinguer, au delà d’une similitude apparente des signes et des figures, des attitudes ou encore des projets et des rapports au monde différents, voire opposés, a hanté, dans ces mêmes années trente le travail du philosophe Ernst Bloch. « Quand deux hommes font la même chose, ils ne font pas la même chose », écrivait-il dans Héritage de ce temps, lorsqu’il tentait de traquer l’imposture nationale-socialiste et son détournement comme son usage des multiples éléments de la culture socialiste et humaniste dans l’Allemagne des années vingt et trente. Et notamment des pratiques corporelles alternatives à l’éducation physique militaire, issues de toute une culture du corps et d’une culture du sensible. Si elles en appelaient certes à une réforme de la vie, voire à la mythologie de l’homme nouveau sur le chemin de la force, de la beauté et de l’harmonie retrouvées, à l’utopie d’un corps purifié et réconcilié avec lui-même et avec la nature, ouvrant par là-même à toutes les dérives hygiénistes, normatives et racistes, elles n’en produi­ sirent pas moins aussi de nouveaux savoirs-faire, et usages de soi. Savoirs corporels dont on redécouvre aujourd’hui l’efficacité et la pertinence (notamment dans la curiosité du champ de la danse comme du monde du soin pour des techniques corporelles dites « somatiques », découvertes dans les années trente notamment en Allemagne, en Suède, en Angleterre, en France, comme aux Etats-Unis). C’est encore à dé­ crire ce qui fonde et construit le gestus social propre à une communauté que s’était attelé en 1934 Marcel Mauss dans sa célèbre conférence sur Les techniques du corps cherchant à élucider tout ce que la seule façon de marcher peut nous dire d’un groupe social donné et des écarts individuels. Sans doute l’anthro­ pologue aurait apprécié la performance du danseur-chorégraphe américain Steve Paxton, qui travaillant 2« Prolégomènes à une neurophysiologie de la phénoménalité haptonomique », Présence haptonomique, n°1, Tournon, Orions, 1990, p.7. 3Voir notamment Les Origines du caractère de l’enfant, Paris, PUF, 1949. « Les réactions posturales donnent naissance à un comportement qui, partant des attitudes et dispositions suscitées en chacun par la diversité des situations, paraît servir aux relations des individus entre eux », p.102. 4Godard H., « C’est le mouvement qui donne corps au geste », Marsyas, n° 30, Pantin, Cité de la Musique, IPMC, juin 1994, p.72. 3 de la posture à l’attitude - université de paris 8 saint-denis - département danse - Isabelle Launay - Christine Roquet - 2008 sur les sens du mouvement quotidien, proposait dans Satisfyin’Lover, en 1967, un dispositif pour quarante marcheurs (ses), où sur une ligne vue de profil, se révélait par la simple exposition de l’acte de marcher, toute l’humanité de ces quarante marcheurs, quarante postures et attitudes, comme autant de potentiels de gestes et d’histoires possibles, à travers les catégories physiques et sociales les plus variées possibles et que seules la rue ou un espace public peuvent offrir. La valeur expressive d’un geste ne se nicherait-elle pas dans ce qu’on pourrait appeler une « attitude posturale » ? En danse, cette attitude n’a rien à voir avec un quelconque essentialisme du sujet. Au contrai­ re, la posture est pensée comme le potentiel de gestes d’un individu en relation avec son environnement. Elle signe un moment de son rapport à l’environnement. Le travail de la posture n’est donc pas seulement à envisager sous l’angle biomécanique ou neurophysiologique, comme l’apprentissage ou l’acquisition d’une position du corps guidée, contrôlée et que l’on pourrait entièrement maîtriser par un travail technique de « communication performative». Si la danse (comme la politique) est un art, c’est par ce qui résiste en elle au régime de la communication formatée, ce « plus bas degré des échanges » disait Gilles Deleuze. Les artistes en danse qu’ils appartiennent au champ de la danse dite « classique » ou «contemporaine », les hommes ou femmes politiques qui ont marqué les rêves et la réalité d’une époque, ont su remettre en jeu les modalités performatives de leur posture. Aussi le travail de la posture n’est-il pas à interpréter en termes de vérité et uploads/Litterature/ i-launay-c-roquet-de-la-posture-a-l-x27-attitude 1 .pdf

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