ILCEA Revue de l’Institut des langues et cultures d'Europe, Amérique, Afrique,
ILCEA Revue de l’Institut des langues et cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie 11 | 2009 Langues & cultures de spécialité à l’épreuve des médias Journaliste et traducteur : deux métiers, deux réalités Élisabeth Lavault-Olléon et Véronique Sauron Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/ilcea/210 DOI : 10.4000/ilcea.210 ISSN : 2101-0609 Éditeur UGA Éditions/Université Grenoble Alpes Édition imprimée ISBN : 978-2-84310-179-3 ISSN : 1639-6073 Ce document vous est offert par Université d'Ottawa Référence électronique Élisabeth Lavault-Olléon et Véronique Sauron, « Journaliste et traducteur : deux métiers, deux réalités », ILCEA [En ligne], 11 | 2009, mis en ligne le 30 avril 2009, consulté le 14 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/ilcea/210 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ilcea.210 Ce document a été généré automatiquement le 8 mars 2021. Tous droits réservés Journaliste et traducteur : deux métiers, deux réalités1 Élisabeth Lavault-Olléon et Véronique Sauron 1 Dans le vaste domaine de la communication, journalistes et traducteurs ont en commun d’être des professionnels qui produisent du discours, les premiers à partir d’événements, les seconds à partir de textes. Dans le cadre de la traduction spécialisée ou pragmatique qui est le nôtre, si le traducteur part des textes, c’est avant tout pour en transmettre le sens, défini dans sa contextualité (Seleskovitch et Lederer, 1984, Israël et Lederer, 2005), et dans sa fonctionnalité, toujours intégrée dans une situation de communication spécifique (Vermeer, 1996). Quant au journaliste, l’événement qu’il rapporte et commente est souvent déjà l’objet d’autres textes sur lesquels il s’appuie, même lorsque ceux-ci sont écrits dans une autre langue que la sienne. Contextualité et intertextualité sont deux éléments clés de leur pratique d’écriture commune. La défense d’une langue précise, claire et riche en nuances est un autre argument traditionnel qui les rapproche : « plusieurs métiers, mais une seule langue, un seul combat » soulignait récemment un correcteur au journal Le Monde (Colignon, 2007 : 50). Leurs activités se rapprochent-elles au point de coexister ou de se substituer l’une à l’autre ? Le sujet mériterait de longs développements et nous n’en explorerons ci- dessous que quelques aspects qui touchent à notre activité de traductrices. Le traducteur et la presse Des traducteurs journalistes 2 Il existe des traducteurs qui sont aussi des journalistes, particulièrement dans les pays où la recherche et la communication d’informations ne peuvent exister que grâce à une activité bilingue ou plurilingue, comme au Moyen-Orient par exemple. En France, pays très majoritairement monolingue, les deux métiers sont généralement différenciés. Néanmoins, la traduction est souvent considérée comme une école d’écriture, qui a permis à de nombreux hommes et femmes de plume, plutôt auteurs de fiction il est Journaliste et traducteur : deux métiers, deux réalités ILCEA, 11 | 2009 1 vrai, de faire leurs armes. Certains, comme Guillaume Apollinaire, ont effectivement associé le journalisme et la traduction à leur pratique d’écriture littéraire. 3 C’est manifestement lorsqu’il traduit la presse que le traducteur se rapproche le plus du journaliste. De même qu’un traducteur littéraire a forcément en lui un écrivain latent, un traducteur de presse générale ou spécialisée prend plaisir à adopter la qualité d’un style journalistique correspondant au média et au public pour lesquels il traduit. À lui de recréer un titre et un chapeau accrocheurs, d’expliciter un sigle ou une réalité culturelle inédite, en bref d’adapter son texte à son lecteur, comme l’a fait le journaliste lorsqu’il a écrit le texte original, dans une démarche proprement cibliste (Ladmiral, 1994). C’est pour cette raison, entre autres, que la traduction journalistique, aussi qualifiée d’éditoriale, connaît dans les universités un tel succès et s’impose comme un genre de traduction modèle. Traduction journalistique à l’université 4 La pratique de la traduction à l’université fait la part belle à la presse, en tout cas dans les filières de langues étrangères appliquées. Lorsque les formations universitaires en langues étrangères se sont ouvertes au monde économique par la création de ces filières, les universitaires y ont remplacé la classique version littéraire par la traduction d’extraits d’articles de presse, en choisissant de préférence la presse de niveau soutenu, l’exemple type en anglais étant l’hebdomadaire britannique The Economist2. Ces articles permettent en effet un intéressant travail d’entraînement à la traduction puisqu’ils cumulent des difficultés linguistiques, à la fois de compréhension et de transfert (lexique et syntaxe soutenus, style particulier de chaque média), tout en nécessitant de la part de l’étudiant traducteur des connaissances mises à jour sur l’actualité. Le repérage des références ou allusions et des réalités culturelles spécifiques décrites dans ces articles doit s’accompagner d’une stratégie de traduction appropriée, par l’adaptation, l’explicitation ou la neutralisation, par exemple. Il existe un très grand nombre de manuels qui présentent et commentent des traductions d’articles de presse3. Si cette richesse explique le succès de ces cours de traduction, elle a aussi entretenu l’idée fausse que ce type de texte reflétait l’activité des traducteurs professionnels, spécialisés ou non. Or il n’en est rien. Sur le marché de la traduction, les besoins en traduction journalistique sont inférieurs à la représentation qui en est faite à l’université, et bien inférieurs à la demande pour d’autres documents de types très divers, tels que les contrats, rapports, brochures, logiciels, modes d’emploi, jeux, notes techniques, nomenclatures, etc. (Gouadec, 2002 : 8). Besoins en traduction de la presse 5 Dans quels cas fait-on appel à des traducteurs professionnels pour traduire des articles de presse, sur le marché français ? L’hebdomadaire Courrier international, qui vient aussitôt à l’esprit, reste un cas marginal (moins d’une quinzaine de traducteurs sur place). Quelques grandes revues diffusent des versions traduites, comme le National Geographic Magazine, traduit désormais en 32 langues depuis sa première édition japonaise de 1995. Le cas de Pour la science, édition française du Scientific American mériterait une étude à lui seul car les articles sont généralement réécrits par des journalistes scientifiques à partir des traductions. Malgré ces exemples, un petit sondage informel auprès de traducteurs de statuts variés donne les tendances Journaliste et traducteur : deux métiers, deux réalités ILCEA, 11 | 2009 2 suivantes : articles de presse générale : de 0 à 1 % de l’activité de traduction ; articles de presse spécialisée entre 0 et 5 %, sauf certains traducteurs très spécialisés qui peuvent traduire jusqu’à 50 % pour des revues techniques. On constate néanmoins une augmentation récente de la demande, due à l’expansion des grandes chaînes audiovisuelles d’information internationale qui diffusent en deux langues (comme France 24 ou Al-Jazira) ou plus (sept langues pour Euronews) et entretiennent un site Internet bilingue ou multilingue. Parallèlement, les grands titres de la presse écrite ont aussi leur portail Internet, qui peut proposer, entre autres, des articles traduits de la presse étrangère : par exemple, les articles de Newsweek traduits sur le site du Nouvel Observateur dans le cadre de la campagne présidentielle américaine 2008 4. Autre exemple, une société de traduction s’est récemment vu proposer un contrat portant sur la traduction quotidienne d’une revue de presse, d’allemand en français, représentant un volume d’environ 2 500 à 3 000 mots à traduire entre 9 heures 30 et 13 heures pour une mise en ligne dans l’après-midi5. 6 On notera enfin l’apparition de nouveaux métiers associant la recherche d’information et la traduction, principalement dans des contextes de veille, technologique ou commerciale par exemple, ou encore dans « l’analyse médias », dont les experts « mènent des recherches qualitatives et quantitatives dans deux ou trois langues pour répondre à une demande d’information précise, régulière ou ponctuelle » (Franjié, 2007 : 63) pour un service de communication ou une agence de publicité internationale. De même, « l’infomédiation », qui associe la traduction et la synthèse, effectuées par des « lecteurs-rédacteurs-traducteurs » est une « nouvelle activité spécialisée qui consiste à rechercher et à collecter l’information sur le plan international dans tous les médias, à concevoir des panoramas de presse et/ou des synthèses de ces panoramas et à les diffuser auprès d’une clientèle » (Lebtahi et Ibert, 2004 : 225). 7 Parmi les pratiques de traduction journalistique plus classiques, les communiqués de presse sont le pain quotidien des traducteurs, bien plus que les articles. Ce sont des textes d'information transmis à la presse pour publication partielle et gratuite. Toujours courts (en moyenne une page), ils contiennent une information précise (annonce d'un événement, sortie d’un nouveau produit, changements dans une organisation), qui est destinée à être diffusée dans les médias. Rédigés par le service marketing ou communication des entreprises et organisations, plus rarement par des attachés de presse, ils répondent à des exigences très strictes en termes de format et de style. L’image et la promotion des organisations dépendent de la réception de leurs communiqués par la presse générale et spécialisée puisque ce sont les journalistes qui en reproduisent une partie dans leurs articles. C’est pourquoi la traduction en est généralement confiée à des traducteurs professionnels. La traduction des communiqués de presse est un secteur où traducteurs et journalistes sont en contact étroit : selon René Meertens6, « comme un journaliste est toujours pressé, les informations doivent être immédiatement exploitables, « précuites », pour qu'il puisse lui-même les communiquer à ses uploads/Litterature/ ilcea-210.pdf