Civilisations de l’Europe au Néolithique et à l’A ˆ ge du Bronze M. Jean GUILAI
Civilisations de l’Europe au Néolithique et à l’A ˆ ge du Bronze M. Jean GUILAINE, professeur COURS : Stèles anthropomorphes, statues et sociétés de la Préhistoire récente Présentée de façon introductive lors des dernières leçons 2001-2002, la ques- tion des stèles anthropomorphes et des statues-menhirs du domaine européen a fait, cette année, l’objet d’une analyse détaillée. S’agissant de sociétés de tradition orale, cette documentation archéologique présente un intérêt tout particulier. Elle concerne en effet les premières représen- tations humaines de bonne taille : c’est donc l’un des meilleurs témoignages de la façon dont la société se voyait ou se pensait selon les codes ou les règles de vie de l’époque. Ces productions, de 0,50 à 4 m de hauteur et parfois plus, représentaient dans la pierre un corps humain, souvent simplement ébauché, sur lequel étaient figurés certains traits anatomiques, des vêtements, des attributs « réels » (c’est-à-dire dûment attestés dans le registre archéologique) ou « virtuels » (absents de la panoplie des vestiges rencontrés lors de fouilles). On a coutume de différencier les stèles anthropomorphes, à morphologie vaguement humaine, souvent enrichies de divers motifs, et les authentiques statues, plus élaborées et souvent sculptées. Les thèmes figurés sur ces monuments peuvent aussi se retrouver sur certains blocs naturels, peu ou pas aménagés (ainsi dans certaines régions de l’arc alpin : Valcamonica, Valtelline) qui, de ce fait, participent aux tentatives d’élucidation du phénomène. Des stèles anthropomorphes peuvent être érigées dès les débuts du Néolithique occidental (6e et 5e millénaires avant notre ère) et perdurer ensuite. Les statues-menhirs se concentrent essentiellement vers la fin des temps néoli- thiques (4e et 3e millénaires avant notre ère). Celles-ci ont constitué l’essentiel du thème traité. On a laissé de côté ou abordé plus sommairement les monuments, plus tardifs, de la Protohistoire récente (Nord du Portugal, stèles de « guerriers » du Sud-Ouest de l’Espagne, Corse, etc.). JEAN GUILAINE 696 Difficultés d’une contextualisation Les handicaps d’une analyse contextuelle serrée des monuments tiennent sou- vent à la brièveté de la vie « active » de ceux-ci. Bien des stèles ont été brisées ou abattues au terme d’une courte durée. Les explications renvoient à des phéno- mènes de contestation sociale (rupture de hiérarchie) ou religieuse (désacralisation du monument). Parfois demeurées dans leur position d’origine, certaines dalles ont été secon- dairement incorporées dans des constructions dolméniques (cf. la stèle, devenue dalle de chevet, du dolmen « la Table des Marchand » à Locmariaquer). Un cas, plus fréquent, est celui de la stèle que l’on brise pour la réutiliser en qualité de matériau de construction dans des sépultures (l’exemple classique est celui d’une stèle ornée, cassée en trois fragments et réinsérée notamment à Gavrinis et à la Table des Marchand). Les stèles d’Aoste et de Sion, rompues et re-investies dans des dolmens ou des cistes, constituent un autre exemple de ces transformations survenues, dans ce cas, sur les lieux mêmes où les monuments avaient été d’abord dressés. Ce sont parfois dans des habitats préhistoriques (Cf. Les Vautes à Saint-Gély-du-Fesc, Hérault) que les stèles, entières ou cassées, sont recyclées. La plupart des statues semblent avoir été abattues sur place : cet avatar peut être préhistorique (suppression à court terme d’une référence idéologique) ou historique (campagnes de destruction organisées lors des premiers temps du christianisme en Lunigiana). On connaît aussi le cas de monuments demeurés in situ et re-sculptés plusieurs siècles après leur calage, en fonction de nouvelles conceptions sociales : ainsi des statues de la vallée de la Magra transformées en stèles de guerriers à l’époque étrusque. Citons aussi des cas de christianisation des lieux pour éviter tout effet « maléfique » des pierres levées. Ces divers cas de figure ne permettent guère de se faire une idée des ensembles constitués à l’origine par des concentrations de stèles ou de statues : alignements, cercles délimitant des « espaces sacrés », etc. De telles configurations existaient bien (Cabeço da Mina, Portugal ; Lunigiana ; Castellucio dei Sauri, Tavoliere ; Laconi, Sardaigne, etc.) mais leur agencement de détail n’est plus guère recon- naissable aujourd’hui. Un ou des phénomènes ? La grande variété stylistique des principaux groupes européens de stèles et statues a globalement suggéré deux visions contradictoires du phénomène. L’une, de type centre/périphérie, place dans une aire géo-culturelle unique (de la Crimée au Bas-Danube) le berceau du processus avec diffusion secondaire, plus ou moins rapide, vers l’Ouest. Cette approche met au premier plan de la démonstration les ressemblances qui, par delà l’espace, inspirent les artisans des statues (par exem- ple le bloc en T nez-sourcils, les « omoplates-crochets », le port du poignard). CIVILISATIONS DE L’EUROPE AU NÉOLITHIQUE ET A ` L’A ˆ GE DU BRONZE 697 A ` l’inverse, les tenants d’une vision polygénique insistent sur les différences de style ou d’attributs qui séparent chacun des groupes considérés. Cette approche, plus régionaliste, « culturaliste », souligne au contraire la diversité des écoles, la pluralité des éclosions. Sans nier les contacts transculturels, elle est plus encline à valoriser la présence de canons ou des traits spécifiques à certaines aires (par exemple les « semelles » du groupe pontique, l’« objet » du Midi, le « trident » de Sardaigne, la pendeloque de cuivre, à double spirale, du domaine ouest-alpin). Une telle hypothèse présente deux arguments de poids. D’abord la perspective de longue durée qui caractérise, en Occident tout particulièrement, le dressage des stèles ou l’iconographie mégalithique. En effet, tôt apparaissent ici des stèles anthropomorphes à rostre céphalique (Bretagne, Suisse, Sud de la France, Espagne) ou encore des motifs gravés qui « passeront » dans l’art des statues-menhirs. Il y a donc un mécanisme autochtone de temps long qui imprègne le processus. Un deuxième argument réside dans les écarts chronolo- giques qui peuvent exister entre groupes de statues-menhirs. Ainsi le groupe rouergat se positionne-t-il dans la deuxième moitié du 4e millénaire avant notre ère : il ignore, semble-t-il, la pleine métallurgie du cuivre (cf. « Saint-Ponien »). Au contraire les groupes du Trentin ou de la Lunigiana, caractérisés par les poignards en cuivre de l’horizon Remedello 2, s’insèreront plutôt dans la pre- mière moitié du 3e millénaire. D’autres stèles ibériques, nanties de hallebardes, ne seront pas antérieures à l’A ˆ ge du bronze ancien. La diversification culturelle n’est donc pas seule en cause : elle peut se doubler de décrochements chronolo- giques qui mettent à mal la théorie du processus unique. Au Sud-Est de l’Europe : l’aire « nord-pontique » Essentiellement réparti en Ukraine, mais présent accessoirement en Bulgarie, Grèce, Roumanie, le groupe dit « nord-pontique » comporte, en fait, deux produc- tions distinctes. D’une part, de très nombreuses stèles rectangulaires ou trapézoï- dales, très peu décorées (« seins », ceinture, « pieds »). Attribuées à la culture de Kemi-Oba, elles ont été pour beaucoup réutilisées par les populations de la culture de Yamnaya, plus pastorales, qui les ont intégrées à leurs tombes sous tertre (kourganes). D’autre part, un groupe restreint de statues-menhirs, parmi lequel on a cherché à établir une typologie centrée sur les monuments de Crimée : type de Natalevka (tête peu proéminente, bras plaqués sur la poitrine, mains ouvertes, doigts écartés, présence d’armes, « clavicules » et « semelles » dans le dos) ; type de Kazanki (tête plus dégagée, arrondie, bras croisés sur l’estomac, instruments d’autorité ou armes, « semelles ») ; type de Tiritaki (tête peu dégagée, bras convergents vers le ventre, mains très grandes, présence, contrairement aux types précédents, de stèles féminines). Cette classification n’est qu’assez peu satisfaisante en raison de la mixité de certains caractères, propres à divers types. D’autre part, plusieurs stèles du Bas-Danube (Ezero, Varna, Contea di Tulcea) présentent de nettes JEAN GUILAINE 698 affinités avec les stèles de Crimée ou s’en détachent par d’autres aspects (cf. ceinture « à boucle »). Certains monuments plus méridionaux (Soufli-Magula, Troie) sont à déconnecter des monuments précédents. On ne perdra pas de vue que la typologie élaborée pour le groupe pontique est en grande partie conditionnée par la problématique indo-européenne : chaque variété de stèle correspondrait, selon D. Telegin, à une « fonction » précise. On reconnaîtrait ainsi des sujets à fonction religieuse (comme la célèbre statue de Kernosovo, surchargée d’attributs étranges et supposée représenter un sorcier ou un chaman), des personnages dont les armes traduiraient la souveraineté ou la fonction guerrière, enfin des stèles de producteurs, à l’iconographie limitée. En fait la difficulté à faire entrer les diverses statues répertoriées dans un type précis enlève beaucoup de fiabilité à l’argumentation. D’autre part rien ne dit qu’au 4e millénaire, l’évolution sociale permette de distinguer de façon nette, en Europe, des paysans, des prêtres et des guerriers « à plein temps ». Toutefois un tel découpage peut déjà exister sous l’angle idéologique. Le manque de contextes archéologiques sérieux (la plupart des stèles ont été trouvées en position secon- daire) ne permet guère d’historiciser à partir de la documentation disponible. On peine aussi à déchiffrer le sens de certaines figurations (par exemple les animaux de la stèle de Kornosovo et encore les « semelles », assez fréquentes, et qui pourraient se uploads/Litterature/ jean-guilaine-cours-sur-neolithique.pdf
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- Publié le Apv 09, 2021
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