Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Al 4.1 C
Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Al 4.1 Chapitre 4: La persécution des Juifs dans l'Allemagne nazie et le système concentrationnaire. « Ce qu'il y a de criminel dans l'Allemand, c'est l'homme ». (Romain Gary) N.B. L'antisémitisme en Allemagne avant 1918 est traité au chapitre 1; l'antisémitisme, nazi ou non, durant la république de Weimar, au chapitre 2, ainsi que le cas autrichien; l'antisémitisme dans l'idéologie hitlérienne est évoqué plus précisément au début du chapitre 31. Entre 1933 et 1945, en Allemagne et dans les pays que le Reich annexa ou occupa à partir de 1938, les persécutions antisémites ont atteint une ampleur rarement égalée dans l'Histoire — il est de nombreux autres cas de communautés humaines à peu près exterminées par la violence, comme les habitants des villes moyen-orientales victimes des invasions mongoles au XIIIe siècle ou les Indiens des États-Unis et d'Argentine au XIXe, mais sur des échelles bien moindres ou bien sur des périodes beaucoup plus longues (une exception peut-être: le massacre d'un quart des Ukrainiens par le biais d'une famine organisée par l'État soviétique en 1930-1932). La persécution des Juifs en Allemagne nazie eut trois caractéristiques essentielles. D'une part, elle se fondait sur une haine essentiellement raciale (en revanche, le facteur religieux n'y intervenait pratiquement pas: le régime nazi était complètement laïc), ce qui la 1 Sur les thèmes abordés dans ce chapitre, la bibliographie est écrasante. Comme j'ai lu pour vous les principaux ouvrages d'Histoire, je ne donne pas de conseils en cette matière; du reste, à mon avis, sur des thèmes aussi dérangeants la force d'évocation d'une œuvre littéraire ou graphique réussie sera toujours supérieure à la puissance de conviction de la meilleure démonstration scientifique. Je vous recommande de lire, sur l'antisémitisme nazi, les deux tomes du journal de Victor Klemperer (tenu de 1932 à 1945, paru en Allemagne en 1995); des réflexions plus abstraites irriguent l'œuvre essentielle de la philosophe Annah Arendt, notamment, sur ce sujet, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (paru aux États-Unis en 1963). Sur les camps "politiques", les meilleures évocations sont les romans de l'écrivain espagnol de langue française Jorge Semprun (notamment Quel beau dimanche!, paru en France en 1980, et L'écriture ou la vie, de 1995 — voyez aussi le cours sur la France, au chapitre 13); L'espèce humaine de Robert Antelme (paru en France en 1947), et le second tome des mémoires de Margarethe Buber-Neumann, Déportée à Ravensbrück (paru en Allemagne en 1985); sur la "solution finale", les œuvres de Primo Levi (1919-1987), surtout Si c'est un homme (paru en Italie en 1947), Les naufragés et les rescapés (paru en 1986) et La trêve (paru en 1963, sur le retour des camps); les œuvres de Georges Perec et d'Elie Wiesel (en français) portent aussi largement sur ces événements et les traumatismes postérieurs qui leur sont liés. Sur l'ensemble des persécutions antisémites, l'une des œuvres littéraires les plus réussies est la bande dessinée d'Art Spiegelman, Maus (parue aux États-Unis de 1973 à 1986); on y trouve aussi une très intelligente réflexion sur le rapport aux rescapés de l'Holocauste des générations suivantes, occupées à "survivre au survivant". Le film Shoah, de Claude Lanzmann, sorti en France en 1985, est tout aussi remarquable; il est entièrement fait de témoignages recueillis dans les années 1980. Pour des images des camps, voyez par exemple Nuit et brouillard d'Alain Resnais, sorti en 1956; mais le plus impressionnant est sans doute l'œuvre graphique (toiles et dessins) de Zoran Music — cet artiste croate né en 1909, déporté à Dachau, s'est consacré à peindre le génocide à partir de 1970. Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Al 4.2 distingue notamment des grands massacres staliniens et maoïstes, motivés par la haine de classe et le délire utopique. D'autre part, elle fut revendiquée comme telle, y compris lorsqu'elle eut l'extermination pour but (non pas publiquement — l'existence des camps d'extermination était censée être inconnue de la population; mais à l'intérieur des structures de pouvoir à partir de 1941 on évoquait sans cesse la "solution finale du problème juif", par le biais de diverses métaphores transparentes), de même que la liquidation des koulaks en U.R.S.S. et celle du "peuple nouveau" dans le Cambodge des Khmers rouges, mais contrairement à toutes les autres grandes hécatombes de l'ère moderne (ainsi le Grand Bond en avant, l'expérience politique la plus meurtrière de l'Histoire, n'avait pas pour objectif avoué le massacre de dizaines de millions de Chinois, ce fut plutôt l'effet de l'incurie). Enfin et surtout, la persécution des Juifs fut organisée systématiquement par un État industriel moderne qui mit l'ensemble de sa puissance à leur service, qui produisit des cadavres avec les mêmes méthodes que l'on produit des marchandises, ce qui la distingue par exemple des pogroms qui eurent lieu en Russie et en Roumanie entre 1880 et 1914, massacres largement "sous-traitées" aux populaces locales excitées par le pouvoir, et même de la persécution des Arméniens de Turquie en 1915- 1923, certes directement orchestrée par l'armée ottomane et le pouvoir, mais infiniment plus "artisanales" dans ses moyens. L'industrialisation des persécutions se retrouve dans une certaine mesure en U.R.S.S., mais à une importante différence près: en U.R.S.S., jamais l'acte de donner la mort n'a été lui-même industrialisé comme il l'a été en Allemagne nazie avec les chambres à gaz et le Zyklon-B1. Pour désigner cette persécution, on emploie ordinairement le mot de "génocide", qui a été forgé en 1944 par un juriste américain, Raphaël Lemkin, pour servir aux procès des dignitaires nazis survivants, lesquels s'ouvrirent l'année suivante à Nuremberg: le terme désigne une tentative d'élimination physique d'un groupe humain défini a priori — en d'autres termes: de femmes et d'hommes coupables seulement d'être ce qu'ils sont, pas de ce qu'ils font, coupables d'être nés, non pas coupables d'actions particulières. Ce terme, forgé pour le cas de l'Allemagne nazie, est d'un emploi assez malaisé dans d'autres circonstances, d'autant que certains voudraient le voir réserver à la seule "solution finale" (j'y reviendrai plus bas); il est cependant devenu à peu près consensuel pour désigner les massacres d'Arméniens en Turquie en 1915 et ceux de Tutsis au Rwanda en 1994. Depuis une vingtaine d'années, dans le contexte de diverses querelles politiques, il est employé à peu près à tort et à travers, avec des dérivés aussi imprécis, et douteux, que celui de "génocide culturel" — cette évolution est liée à un changement majeur de sensibilité politique en Occident concernant la seconde guerre mondiale, que j'évoque au début du chapitre 13 du cours sur la France. Depuis la sortie du film de Claude Lanzmann en 1985, en France et aux États-Unis le terme de Shoah est devenu courant aussi (avec une majuscule, car pour le coup ce mot ne désigne que la seule persécution des Juifs par les nazis et leurs alliés): c'est un mot hébreu qui veut dire "catastrophe". Dans le même esprit, on parle aussi parfois de l'"holocauste", un terme qui désigne à l'origine les sacrifices d'animaux par le feu dans la religion juive antique; il est assez mal adapté à ce qu'il recouvre aujourd'hui, car l'extermination des Juifs d'Europe n'a rien eu d'un sacrifice rituel et périodique, mais il s'est imposé par le biais de l'américain, langue marquée par une forte influence du vocabulaire biblique, et plus précisément par le biais d'une série télévisée de la fin des années 1970. En revanche, l'ouvrage déjà ancien (1961) de Raul Hilberg, qui constitue ma source essentielle pour ce 1 Voyez le cours sur la Russie, aux chapitres 1 (pour les pogromes) et 3 (pour l'époque stalinienne), et sur la Chine, au chapitre 2 (vous y trouverez aussi une longue note sur le Cambodge). J'évoque les massacres d'Arméniens en Turquie dans l'annexe au chapitre 11 du cours sur la France. Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Al 4.3 chapitre, s'en tient à un vocabulaire plus sobre, employé par les nazis eux-mêmes: il a pour titre La destruction des Juifs d'Europe. I-débats. Différentes sensibilités, différentes écoles historiographiques se sont succédées. Dans les années 1945-1960, on s'intéressait assez peu à la spécificité des persécutions raciales, l'accent était mis bien davantage sur les persécutions politiques. La mort industrialisée, les chambres à gaz, etc., attiraient moins l'attention des historiens que le sort des résistants (on traitait plus ou moins l'extermination des Juifs comme une dérive pathologique d'une dictature particulièrement réactionnaire et sauvage); les médias et l'opinion ne faisaient pas la différence entre les camps d'extermination et les camps de concentration et de travail où l'on enfermait les résistants et les "asociaux", où les conditions de subsistance étaient inhumaines mais où l'on ne mettait pas immédiatement à mort une bonne partie des arrivants. Une partie des travaux de l'époque partait du présupposé d'une prédisposition naturelle de l'Allemagne aux régimes autoritaires, et des Allemands à servir les dictatures; certains expliquaient que c'était par suite de la "voie spécifique" où l'Allemagne s'était peu à peu engagée (le Sonderweg: voyez au chapitre 1). D'autres, suivant la thèse marxiste alors très en vogue uploads/Litterature/ jean-pierre-minaudier-la-persecution-des-juifs-dans-l-x27-allemagne-nazie.pdf
Documents similaires










-
24
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.7756MB