Revue d'histoire et de philosophie religieuses Les deux erreurs du Prophète Jon
Revue d'histoire et de philosophie religieuses Les deux erreurs du Prophète Jonas Élias Joseph Bickerman Citer ce document / Cite this document : Bickerman Élias Joseph. Les deux erreurs du Prophète Jonas. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 45e année n°2,1965. pp. 232-264; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1965.3806 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1965_num_45_2_3806 Fichier pdf généré le 02/09/2020 Les deux erreurs du prophète Jonas ι Le livre de Jonas * comprend seulement 48 versets, d'après le compte des anciens scribes juifs Mais le nom d'aucun autre prophète n'est mieux connu de l'homme de la rue que celui du prophète Jonas. Pour lui, Jonas est cet homme qui fut avalé vivant par une baleine et vomi trois jours plus tard, sain et sauf. La Bible juive comprend 15 livres prophétiques mais Mahomet parle seulement de Jonas, « l'homme du poisson » 2. Dès le IIe siècle av. J.-C., Jonas dans le ventre du monstre marin et Daniel dans la fosse aux lions apparurent comme des exemples frappants de délivrance; Jonas sortant vivant des profondeurs de la mer préfigura la résurrection aux yeux des premiers chrétiens 3. Mais le miracle, qui impressionnait les fidèles, amusait les incroyants. Celse, qui au 11e siècle écrivit une réfutation du Christianisme, suggéra que les chrétiens devraient adorer non pas Jésus, mais Jonas ou Daniel dont les miracles surpassaient la résurrection. Trois siècles plus tard, comme nous le disent les * Liste des abréviations : — ANET : Ancient texts relating to the Old Testament, éd. J. Pritchard, 1950* 2e édit. 1955. — ■ BOLINGBROKE : Bolingbroke, Works. Réimpression : Philadelphie, 1841. — FRIEDRICHSEN : P. Friedrichsen, Kritische Uebersicht der verschie¬ denen Ansichten von dem Buche Jonas, 2e édit., 1841. — GINZBERG : L. Ginzberg, The Legends of the Jews. — · LELAND : A View of the Principal Deistic Writers, 4e éd. Réimpres¬ sion, 1836. — MEK : Mekilta. éd. Ζ. Lauterbach. 1949. — · LUCKENBILL : A. D. Luckenbill, Ancient Records of Assyria and Babylonia, 1927. — · PHILO : Philo, De Jona. — ■ SCHECHTER : S. Schechter, Aspects of Rabbinic Theology. New edition, Schocken Books, New-York, 1961. — THOMPSON : Stith Thompson, Motif-Index of Folklore-Literature, 2e éd., 1955. — ■ WATERMAN : L. Waterman, Royal Correspondence of the Assyrian Empire, 1930. 1 Les principaux commentaires juifs sur Jonas (Rashi, Ibn Ezra, Kimchi) sont réimprimés dans l'édition de Joh. Lensden, Jonas illustratus (1692). Ces exégètes souvent reproduisent les explications rabbiniques. Cf. L. Ginzberg, The Legends of the Jews, VI (1946), p. 349 ss. Cf. aussi Ο. Komlôs, Jona Legends, dans « P. Hirschler Memorial Book » (Budapest, 1949), p. 41-61. Le sermon de Philon d'Alexandrie sur Jonas, préservé en arménien, fut republié par H. Lewv (1936). Je me suis servi de la traduction latine de J.-B. Ancher, et je suis très obligé à M"* N. Garssoian (Columbia University) qui a bien voulu comparer pour moi le texte de H. Léwv et la traduction de Ancher. Le commentaire de Tanchuma fut publié par P. Kokovzov, dans le « Recueil (Sbornik) en l'honneur du Baron B.P. Rosen » (Saint-Pétersb., 1897). Pour les commentaires patristiques, voir Jérôme, Sur Jonas, éd. P. Antin (1956). Sur Jonas dans l'art chrétien, cf. M. Lawrence, « Amer. Journal of Archeology τ>, LXVI (1962), p. 289-296. Pour les commentaires modernes, voir les introductions générales à la Bible, et G. Fohrer, in : « Theologische Rundschau », XXVIII (1962), p. 289. 2 Cf. B. Heller, « Enc. of Islam » : Yonnas, IV, 2 (1934), p. 1175. « III Maccab. 6,7; Ev. Matth. 12,40. LES DEUX ERREURS DU PROPHÈTE JONAS 233 Pères de l'Eglise, Jérôme et Augustin, Jonas était encore matière de plaisanterie et de raillerie pour les païens; et les croyants même, en particulier s'ils avaient reçu une éducation grecque, trouvaient incroyable qu'un homme ait pu rester trois jours en vie dans le ventre d'une baleine. Embarrassés, des chrétiens érudits invoquèrent des mythes grecs non moins étonnants, tels que la transformation de Zeus en cygne pour séduire Léda : « Vous croyez en ces contes et dites que toutes choses sont possibles pour un dieu. » Augustin oppose aux sceptiques l'argu¬ ment selon lequel les miracles, par définition, sont impossibles 4. Les exégètes modernes ont souvent essayé de prouver la véracité de l'épisode du poisson en citant des histoires de marins. Deux ans après la publication de l'Origine des Espèces de Darwin, le Canon Pusey, dans son commentaire sur Jonas (1861) δ, rassembla quelques histoires de ce genre. Quelques écrivains reli¬ gieux eurent recours à des explications rationnelles du miracle : Jonas avait été recueilli en mer par un bateau, appelé « le gros poisson », ou il avait passé trois nuits dans une auberge « à l'enseigne de la baleine », ou bien encore dans un établissement de bains appelé « la baleine » 6. La plus intelligente de ces conjectures rationalistes était l'hypothèse selon laquelle Jonas avait rêvé tout l'incident lorsque, durant la tempête, il était tombé dans un profond sommeil (Jonas 1,5) 7. 4 Orig. c. Cels. VII, 53 et 57; August., Ep. Cil, 30 (CSEL 34, 570). A. v. Harnack, Porphyrius, gegen die Christen (« Abhandl. Preuss. Akad. », 1916, n° 1), fr. 46, contrairement à l'affirmation d'Augustin, attribue cette plaisan¬ terie à Porphyre. Cyrill. Alex, ad Jonam 2 (P.G., LXXI, 616). Hieron. ad Jonam 2, citant des mythes païens, ajoute : « Illis credant et dicant deo cuncta possi- bilia. *> Les païens croient en l'histoire d'Arion, sauvé par un dauphin, mais non pas en celle de Jonas, qui est encore plus incroyable, « incredibilius quia mirabilius, et mirabilius quia potentius ». 5 Cf. P. Friedrichsen, Kritische Uebersicht der verschiedenen Ansichten von dem Buche Jonas (2° éd., 1841), 22. Luther était, probablement, le premier auteur chrétien a dire que l'aventure de Jonas dans les entrailles du grand poisson est une fable. « Wer wollte es auch glauben, und nicht für eine Lüge und Mährlein halten, wo es nicht in der Schrift stünde ? » Voir son commentaire en allemand sur le livre de Jonas, écrit en 1526 ( Gesamm . Werke, XIX, 219, de l'édition de Weimar). 6 Cf. Friedrichsen, 25 et 292. 7 Plusieurs auteurs attribuent la paternité de cette idée à Isaac Abarbanel (1437-1508). Voir, p. ex. Joh. Jalm, Einleitung in die göttlichen Bücher des Alten Bundes, II/2, 1803, p. 529; Leonh. Bertholdt, Historich-Kritische Einleitung in..„ Schriften des Alten und Neuen Testaments, V, 1 (1815), p. 2382; Friedrichsen, p. 69; MM. Kalish, Bible Studies (1878), p. 189. Ils citent le commentaire d' Abarbanel d'après Jonas Hebraice et Chaldaice. Cum Masora... et commen- tariis... Abarbanelis, éd. J. A. Christiani, Lips, 1683. Cette édition étant très rare maintenant, M. E. M. Gershfield a eu l'obligeance de consulter l'exemplaire du British Museum. Ni dans cette édition, ni dans l'édition originale du commen¬ taire d'Abarbanel sur Jonas (réimprimé en 1960, p. 124), on ne trouve l'hypo¬ thèse qui lui est attribuée. Elle semble plutôt appartenir à H.A. Grimm (1789). Cf. Friedrichsen, p. 70. Abarbanel défend plutôt la crédibilité du miracle de Jonas par l'analogie de l'embryon vivant neuf mois dans les entrailles de sa mère. Mais H.L. Ginsberg (Jewish Theological Seminary, New-York) m'indique amicalement que le grand exégète Ibn Ezra (ad Jon. 1, 1) a déjà suggéré cette idée. Ibn Ezra dit que tous les prophètes, à l'exception de Moïse (Exod. 33.17 - 34,7), « prophétisaient en visions et rêves ». Et il souligne l'importance de sa thèse, en disant que c'est un mystère. 234 revue d'histoire et de philosophie religieuses Cependant, le caractère historique du récit fut spécifié de nouveau, pas plus tard qu'en 1956, dans une Encyclopédie catho¬ lique, et admis, avec peu d'enthousiasme il est vrai, dans un dictionnaire biblique protestant en 1962. Dans une mosquée por¬ tant le nom de Jonas, près des derricks de pétrole de Mossoul, le pieux visiteur peut encore admirer les restes de la baleine de Jonas 8. Tout ceci prouve que le livre de Jonas est une histoire brève mais absorbante qui a retenu l'attention des lecteurs pendant quelque vingt-cinq siècles. Cependant, le sujet est très simple : un prophète annonce la destruction de Ninive, mais les habitants se repentent et sont épargnés. L'auteur transforme ce thème moralisateur en un conte passionnant, en retardant le dénouement et en gardant le lecteur en haleine. II Il y a trois personnages dans l'histoire de Jonas : Dieu, le peuple pécheur de Ninive et le prophète. Dieu est en dehors des dimensions du temps et de l'espace. Nous pourrions imaginer des variations sur le même sujet, la conduite des habitants de Ninive créerait le même intérêt dramatique. Mais le livre biblique parle de Jonas. La parole de l'Eternel fut adressée à Jonas en ces mots : « Va à Ninive et prophétise contre elle. » Le prophète est le crieur de Dieu, il annonce la volonté divine. Mais un messager peut refuser de transmettre le message. Le commentateur juif Ibn Ezra, au xne s., citait déjà le cas de Moïse qui hésitait à accepter l'appel de l'Eternel (Ex. uploads/Litterature/ jonas-pdf.pdf
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- Publié le Oct 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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