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HAL Id: halshs-00291737 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00291737 Submitted on 29 Jun 2008 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les sources sont-elles ‘le pain de l’historien’ ? Joseph Morsel To cite this version: Joseph Morsel. Les sources sont-elles ‘le pain de l’historien’ ?. Les sources sont-elles ‘le pain de l’historien’ ?, 2003, Paris, France. pp.273-286. ￿halshs-00291737￿ Les sources sont-elles « le pain de l’historien » ? Joseph MORSEL* « Monsieur Palomar […] est convaincu que ce qu’il doit regarder ce sont seulement certaines choses et non pas d’autres, et qu’il faut qu’il aille à leur recherche ; pour ce faire, il doit chaque fois affronter des problèmes de choix, d’exclusion, de hiérarchies de préférence ; il s’aperçoit vite qu’il est en train de tout gâcher, comme toujours dès qu’il met en jeu son propre moi et tous les problèmes qu’il a avec. Mais comment faire pour regarder quelque chose en mettant de côté le moi ? À qui appartiennent les yeux qui regardent ? […] N’est-il pas lui aussi un morceau de monde en train de regarder un autre morceau de monde ? […] Il faut tout étudier à nouveau depuis le début : c’est de la chose regardée que doit partir la trajectoire qui la relie à la chose qui la regarde. De l’étendue muette des choses doit partir un signe, un appel, un clin d’œil : une chose qui se détache des autres avec l’intention de signifier quelque chose… Quoi donc ? Elle-même : une chose est contente d’être regardée par les autres choses seulement quand elle est convaincue de se signifier elle-même et rien d’autre, parmi toutes les choses qui ne signifient qu’elles-mêmes et rien de plus. » (Italo Calvino, Palomar, 1983) La question que je pose en guise d’introduction est provoquée, on le voit bien, par l’expression « pain de l’historien », dont la mise entre guillemets indique soit une mise à distance, soit une citation, soit les deux. De fait, l’expression a été employée à deux reprises par un historien, en l’occurrence un médiéviste, et de fait encore, j’entends mettre cette expression à distance, seul moyen de l’objectiver au sens propre du terme. Je suis d’autant plus à l’aise pour le faire que le médiéviste qui a eu l’imprudence d’utiliser cette expression métaphorique, une première fois dans le premier chapitre de sa thèse, rédigé en 1990, puis une seconde fois dans un article publié en 2000, c’est moi1. [274] Je ne suis pas en train de faire mon autocritique, mais bien plutôt d’essayer de comprendre le sens de cette expression, dont je n’ai pas le sentiment d’être l’inventeur, mais dont pourtant je ne connais pas « la source » : en l’utilisant, j’ai probablement moins parlé que je n’ai « été parlé », comme aurait pu dire Piaget. Il me semble à l’heure actuelle qu’en mettant en œuvre cette métaphore, je me suis trouvé dans une de ces situations au cours desquelles on capte des représentations du sens commun, collectives et pré- construites, et que l’on cristallise sous une forme qui semble « parler » à tout le monde : car si je dis « les sources sont le pain de l’historien », tout le monde a l’impression de comprendre de quoi il s’agit, sans que j’aie besoin de l’expliciter. Ce faisant, bien sûr, je contribue à entretenir ces représentations communes en leur conférant ce je-ne-sais-quoi de naturel qui est indispensable au jeu social. *. Université Paris I Panthéon-Sorbonne / Institut Universitaire de France. 1. Une société politique en Franconie à la fin du Moyen Âge : les Thüngen, leurs princes, leurs pairs et leurs hommes (1275-1525), Paris IV, 1993 (ms. thèse nouveau régime = A.N.R.T. Lille III, microfiche 1342.17368/94), vol. 1, p. 38 (j’utilise aussi beaucoup dans ce volume l’expression « sources disponibles » !) ; « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge… Observations préliminaires à une étude de la scripturalité médiévale », Memini. Travaux et documents de la Société d’études médiévales du Québec, 4 (2000), p. 3 (rééd. prévue, un peu modifiée mais toujours avec la même métaphore, dans Écrire, mesurer, compter. Historiens et anthropologues face aux pratiques économiques, N. COQUERY, Fr. MENANT, F. WEBER dir., Paris, 2004). Hypothèses 2003. Travaux de l’École doctorale d’histoire de l’Université Paris I Panthéon- Sorbonne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004. Texte des pages 273-286 [2] Mais pourquoi est-ce que « ça parle », comme aurait dit Lacan ? C’est-à- dire : à quoi renvoie la métaphore du pain ? Il n’est pas besoin d’être grand clerc (!) pour se rendre compte que derrière cette métaphore appliquée aux sources se cache celle du « pain quotidien » que les chrétiens demandent à dieu le Père… Sans m’en rendre compte (et à mon corps défendant !), j’ai donc sans doute transféré sur les sources historiques une métaphore chrétienne. Mais pourquoi – puisque j’écarte toute volonté consciente de le faire ? Quel rapport les sources peuvent-elles entretenir avec les représentations chrétiennes latentes de notre société ? Le simple fait de devoir se poser cette question montre clairement que la notion de « source » est loin d’avoir la transparence que, pourtant, la métaphore de l’eau vive lui associe spontanément et que sa banalisation dans le discours historien semble lui garantir. La réflexion sur les sources fait pourtant partie de ce qu’on attend de tout historien, et la plupart des thèses comportent le passage obligé de la présentation des sources, mais très peu réfléchissent sur les notions qui permettent d’en rendre compte. On s’interroge ainsi rarement (c’est un euphémisme !) sur les notions de « sources », d’« archives », ou encore sur les typologies courantes (« chartes », « actes », « registres », etc.) – et encore moins sur le problème du sens de la production écrite à l’époque concernée. C’est à la nécessité d’une telle réflexion que la journée de l’École doctorale du 30 avril 2003 voulait appeler2. [275] Lors de la préparation de cette journée, il m’a semblé que le plus efficace était probablement de partir des représentations courantes des historiens, celles du sens commun dont je parlais tout à l’heure – afin de faire apparaître justement leur caractère pré-construit. Il est certes possible que ces représentations soient plus fréquentes chez les médiévistes, que je fréquente habituellement, que chez les spécialistes d’autres périodes, mais j’en doute un peu : je ne vois pas pourquoi ceux-ci auraient l’apanage des idées toutes faites… Pour amorcer la journée, j’ai donc lancé quelques idées sur la notion de « sources », qui pouvaient peut-être sembler banales – mais il est toujours préférable de repartir d’une base un peu assurée, surtout lorsqu’il s’agit d’encourager des doctorants à la réflexion sur leur pratique. Et en particulier, j’ai tenté d’attirer l’attention sur deux expressions particulièrement courantes chez les historiens et qui sont de ce fait sans doute symptomatiques de leurs représentations profondes : celle de « sources disponibles » et celle de « mes sources ». Leur caractère d’évidence les laisse justement à l’arrière-plan de la 2. Les contributions qui suivent correspondent aux communications prévues lors de cette journée, à l’exception de celle d’Arlette Farge (cf. infra, n. 21) et de celle de Jean-Louis Ferrary (EPHE / Centre Glotz), intitulée « La pauvreté des ‘sources’ en histoire ancienne : irrémédiable infirmité ou obligation de réflexion ? », pour laquelle aucun texte n’a été fourni pour publication. Je me permets donc de résumer ici la teneur de la communication de J.-L. Ferrary, qui part du constat bien connu de la pauvreté en documents antiques, liée à la fragilité des supports employés (cire, papyrus) ou encore à l’interruption brusque de séries gravées (sans qu’on puisse expliquer clairement ces ruptures). Faute de documents, les historiens de l’Antiquité sont alors contraints de faire de tout reste une source, introduisant ainsi un écart entre la finalité initiale de l’objet et ce que l’historien en fait. Ce double aspect du choix d’objet et d’introduction d’une béance signifie que c’est l’historien qui construit la source. À rebours, il n’y a aucune raison de penser qu’il n’y a pas non plus introduction de béance lorsque l’historien utilise plus classiquement des documents, ni d’ailleurs que ceux qui n’introduisent pas une telle béance sont des historiens. Pour ces deux raisons, on ne peut en aucun cas considérer les « historiens » gréco-romains comme des « collègues » des historiens actuels : ils écrivent en tant que et pour les autres membres de leur classe sociale, à partir de leur expérience directe et de témoignages oraux, et non pas d’un matériau écrit mis en ordre et critiqué c’est-à-dire mis à distance – et uploads/Litterature/ joseph-morsel-les-sources-sont-elles-le-x27-x27-pain-de-lhistorien-x27-x27.pdf

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