Vladimir Korolenko (Короленко Владимир Галактионович) 1853 — 1921 LE MUSICIEN A

Vladimir Korolenko (Короленко Владимир Галактионович) 1853 — 1921 LE MUSICIEN AVEUGLE (Слепой музыкант) 1886 Traduction de L. Golschmann et E. Jaubert, Paris, Perrin et Cie, 1895. LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE — LITTÉRATURE RUSSE — TABLE AVANT-PROPOS...................................................................3 CHAPITRE PREMIER — LA NAISSANCE ET LES PREMIÈRES ANNÉES DE L’AVEUGLE..................................5 CHAPITRE II — LE CHALUMEAU DE JOKHIME.....30 CHAPITRE III — IDYLLE ENFANTINE.......................61 CHAPITRE IV — L’ÉDUCATION DE PIERRE.............84 CHAPITRE V — L’AVEU...................................................96 CHAPITRE VI — ASPIRATIONS INASSOUVIES......131 CHAPITRE VII — « L’ENFANT VOIT ».......................157 ÉPILOGUE.........................................................................164 2 AVANT-PROPOS En présentant au public français le chef- d’œuvre de Korolenko, nous croyons utile de rappeler le jugement qu’a porté sur le Musicien aveugle un critique russe renommé, Skabitchevsky, dans son Histoire de la littérature moderne. « Le Musicien aveugle est le dernier mot de la perfection, une des œuvres les plus admirables que le monde littéraire ait jamais comptées. Impossible d’imaginer un sujet plus simple, avec moins d’artifice, et en même temps une analyse psychologique plus profonde. Le voici en deux mots : Dans la famille d’un gentilhomme campagnard de l’Ukraine naît un garçon aveugle qui, plus tard, se marie avec l’amie de son enfance et devient un musicien célèbre. « T oute l’action se passe dans l’âme du héros ; le livre n’est que le tableau du développement intellectuel et musical d’un enfant aveugle. Nous avons sous les yeux une étude purement psychologique, une étude abstraite qui risquerait d’être sèche et ennuyeuse. 3 « Et pourtant, si étrange que cela paraisse, à peine en aurez-vous lu deux lignes, que vous sentirez l’impossibilité de vous arracher à cette lecture tant que vous n’aurez pas dévoré l’ouvrage jusqu’au dernier mot. Dès la première page même, vous sentez votre âme envahie par le torrent puissant d’une poésie sans artifice, simple, mais si vraie, si forte, si fraîche ! Elle rejaillit sur vous comme une source limpide, vous enveloppe d’une atmosphère si exquise, si vivifiante, il s’en dégage une pureté si humaine et si irréprochablement morale, qu’après la lecture du Musicien aveugle vous avez l’impression d’une vie nouvelle ; il vous semble que près de vous est venue se poser, en volant, une image sereine qui serait la personnification de la paix et de l’amour, et qui ouvre si bien vos yeux sur le sens profond de la vie, que cette vie vous apparaît, soudain, pleine d’un charme jusqu’alors inconnu, qu’elle acquiert une tout autre valeur, tandis que tout ce qui s’était amassé au fond de votre âme de mesquin et de vil disparaît et se dissipe comme de la fumée... Vous rencontrez là des passages qui produisent sur vous une impression si forte que vous avez peine à réprimer vos larmes, et pourtant nulle sensiblerie dans ces pages : on décrit par exemple, l’impression produite sur l’aveugle par une chanson populaire qu’il entend pour la première fois : 4 Là haut, là, sur la montagne, Moissonnent les moissonneurs. « Rien, en effet, de plus simple que les paroles de cette chanson cosaque ; mais telle est la puissance du sympathique talent de W. Korolenko, que ces paroles suffisent pour faire pénétrer dans votre âme les sentiments d’une exquise et vibrante émotion... » 5 CHAPITRE PREMIER — LA NAISSANCE ET LES PREMIÈRES ANNÉES DE L’AVEUGLE. I Au milieu d’une nuit obscure, un enfant vint au monde dans une riche famille du sud-ouest de la Russie. La jeune mère reposait en un oubli profond de tout ; mais lorsque dans la chambre on entendit le premier cri du nouveau-né, faible et plaintif, elle se mit à s’agiter les yeux fermés dans son lit. Ses lèvres balbutiaient quelque chose, et son visage pâle, aux traits doux et presque enfantins, exprimait une vive souffrance mêlée d’impatience, comme chez un enfant gâté qui éprouve un chagrin inaccoutumé. La sage-femme approcha l’oreille de ses lèvres qui balbutiaient tout bas : — Pourquoi... pourquoi est-ce qu’il... ? demandait la malade d’une voix à peine perceptible. La sage-femme ne comprit pas la question. L’enfant se mit à crier de nouveau. Sur le visage de la malade passa le reflet d’une 6 souffrance aiguë, et de ses yeux clos glissa une grosse larme. — Pourquoi, pourquoi ?... continuaient à balbutier ses lèvres. Cette fois, la sage-femme comprit la question et répondit tranquillement : — Vous demandez pourquoi l’enfant pleure ? C’est toujours ainsi, rassurez-vous. Mais la mère ne pouvait pas se rassurer. Elle frissonnait à chaque nouveau cri de l’enfant et répétait toujours avec une impatience irritée : — Pourquoi... des cris... si... si horribles ? La sage-femme ne trouvait rien de particulier dans les cris de l’enfant, et, voyant que la mère parlait comme dans un songe confus, ou peut- être même délirait tout simplement, elle la laissa tranquille et s’occupa de l’enfant. La jeune mère se tut ; de temps en temps seulement, quelque souffrance douloureuse qui ne pouvait s’exhaler au dehors ou se traduire par des mouvements ou des paroles, lui arrachait de grosses larmes. Elles glissaient à travers ses cils épais et noirs, et coulaient doucement le long de ses joues pâles comme du marbre. Peut-être son cœur maternel avait-il senti qu’avec le nouveau-né apparaissait au monde une douleur noire et sans issue, qui restait suspendue au-dessus du berceau pour accompagner la nouvelle existence jusqu’à la tombe même. 7 Du reste, il se pouvait aussi que ce fût un vrai délire. Quoi qu’il en soit, l’enfant naquit aveugle. II D’abord, personne ne s’en aperçut. L’enfant avait ce regard terne et indéfini qui est si commun chez les nouveau-nés jusqu’à un certain âge. Les jours s’écoulaient les uns à la suite des autres, la vie du nouvel être comptait déjà par semaines. Ses yeux s’éclaircirent et perdirent leur voile trouble : la prunelle se dessina. Mais l’enfant ne tournait pas sa tête vers le rayon lumineux qui pénétrait dans la chambre avec le joyeux gazouillement des oiseaux et le murmure des hêtres verts qui se balançaient près des fenêtres mêmes dans le jardin ombreux. La mère, déjà remise, fut la première qui aperçut — avec quelle anxiété ! — l’étrange expression du visage de l’enfant, immobile et trop sérieux pour un si petit être. La jeune femme regardait tout le monde comme une tourterelle effrayée en demandant : — Mais dites-moi pourquoi il est ainsi ? — Comment, ainsi ? répliquaient les étrangers d’un air insouciant. Il ne diffère en rien des autres enfants de son âge. 8 — Voyez de quel air étrange il cherche quelque chose avec ses petites mains... — Un enfant ne peut pas encore coordonner les mouvements de ses mains avec ses impressions lumineuses, répondit le docteur. — Pourquoi donc regarde-t-il toujours dans la même direction ?... Ah ! il est aveugle !... s’écria-t-elle tout à coup, assaillie par un horrible soupçon, et sans que personne put la calmer. Le docteur prit l’enfant dans ses bras, le tourna vivement vers la lumière et regarda ses yeux. Il se troubla légèrement, et après avoir prononcé quelques phrases insignifiantes, il partit, en promettant de repasser dans deux jours. La mère pleurait et se débattait comme un oiseau blessé, en serrant son enfant contre son sein, tandis que les yeux du pauvre petit être gardaient toujours leur regard immobile et grave. En effet, au bout de deux jours, le docteur revint, muni de son ophtalmoscope. Il allumait une bougie, qu’il approchait et éloignait de l’œil de l’enfant, dans lequel il plongeait de temps en temps son regard, et enfin déclarait d’un air confus : — Malheureusement, madame, vous ne vous êtes pas trompée... votre enfant est réellement aveugle, et qui pis est, d’une façon incurable. 9 La mère écouta cette nouvelle avec une tristesse tranquille : — Depuis longtemps je m’en doutais, dit-elle avec accablement. III La famille dans laquelle naquit le petit aveugle n’était pas nombreuse. En dehors de la mère, d’une bonne et de l’enfant, elle se composait encore du père et de « l’oncle Maxime », comme l’appelaient sans exception tous les domestiques et même les étrangers. Le père ressemblait aux mille autres propriétaires campagnards du pays ; il était débonnaire, surveillait bien ses ouvriers et aimait beaucoup à construire et à reconstruire des moulins. Cette occupation absorbait presque tout son temps, et pour cette raison sa voix ne retentissait guère dans la maison qu’aux heures des repas, ou pour tout autre circonstance analogue. Dans ces cas, il prononçait toujours invariablement cette phrase : « Es-tu bien portante, ma colombe ? » Après quoi il s’installait à table et ne disait presque plus rien, en dehors de quelques mots sur les cylindres et les pignons de chêne. On comprend que son existence paisible et calme n’influât pas beaucoup sur la constitution morale de son fils. 10 Mais en revanche l’oncle Maxime était tout à fait d’un autre genre. Une dizaine d’années avant les événements qui vont suivre, l’oncle Maxime était réputé pour le querelleur le plus dangereux, non seulement dans les environs de sa propriété, mais même à Kiew, aux Contrats1. T out le monde s’étonnait que dans uploads/Litterature/ korolenko-le-musicien-aveugle.pdf

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