1 Marie Demeilliez, « L’enseignement de la basse continue en France au XVIIe si

1 Marie Demeilliez, « L’enseignement de la basse continue en France au XVIIe siècle : du rôle des exemples musicaux », Musiques en liberté. Entre la cour et les provinces au temps des Bourbons, éd. Bernard Dompnier, Catherine Massip et Solveig Serre, Paris, École nationale des chartes, 2018, p. 169-188. 2 L’enseignement de la basse continue en France au XVIIe siècle : du rôle des exemples musicaux La multiplication des partitions publiées avec une partie de basse continue dans la deuxième moitié du XVIIe siècle va de pair avec l’émergence d’un nouveau corpus d’ouvrages pédagogiques qui lui est consacré. Quelques pages manuscrites témoignent de leçons de basse continue dispensées à des amateurs de musique dès les années 16301, mais c’est avec l’ouvrage de Nicolas Fleury en 16602 que la méthode d’accompagnement sur la basse continue devient un genre éditorial, dont le succès est attesté par de nouvelles publications jusqu’à la fin du XVIIIe siècle3. Les formats sont variés : ouvrages autonomes, chapitres dédiés au sein de recueils de musique vocale ou instrumentale, voire dans un traité plus vaste, alors que le développement de la pratique musicale amateur suscite la composition de diverses méthodes d’instrument4. L’ambition et les dimensions de cet enseignement de la basse continue diffèrent d’un ouvrage à l’autre. Tous partagent cependant le projet d’enseigner à des amateurs un aspect de la pratique musicale étroitement lié à la théorie et à la composition. De Fleury à Saint-Lambert au début du XVIIIe siècle (premier ouvrage français théorisant la basse continue de manière systématique), des usages pédagogiques se mettent en place, inspirés par d’autres textes didactiques contemporains. En s’intéressant à l’emploi et au statut des exemples musicaux au sein des méthodes de basse continue du XVIIe siècle, à la manière dont ils s’articulent aux explications littéraires, cet article s’efforcera d’en rendre compte. A priori, il n’y a pas de raison de croire qu’une méthode de basse continue sans exemple soit impossible : il est théoriquement possible de décrire la manière d’accompagner par le seul texte littéraire. À l’inverse, une méthode intégralement constituée d’exemples est aussi possible (certains textes du XVIIe siècle s’en approchent). La majorité des ouvrages se situent, bien en deçà de ces deux cas limites, sur un axe qui va du « très peu d’exemples » au « beaucoup d’exemples ». 1 Voir par exemple le ms. 2350/7 conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (Paris), cahier d’élève rassemblant des transcriptions pour clavier d’airs de cour et d’extraits de ballets, ainsi qu’une metode pour les accords (fol. 8v-9) qui dut servir de support à un enseignement oral de la basse continue. Pour une description de ce manuscrit, voir Bruce Gustafson et David Fuller, A Catalogue of French Harpsichord Music, 1699-1780, Oxford, Oxford University Press, 1990, p. 398-399. Pour une datation, voir Marie Demeilliez, « De la tablature à la basse continue : les accompagnements des airs de cour », Poésie, musique et société. L’air de cour en France au XVIIe siècle, éd. Georgie Durosoir, Liège, Mardaga, 2006, p. 228, note 6. 2 Les références complètes de ces ouvrages sont données en annexe. Dès lors, nous les désignerons dans les notes par le nom de l’auteur et leur date de publication. 3 Voir Robert Zappulla, Figured Bass Accompaniment in France, Turnhout, Brepols, 2000. La plupart de ces ouvrages sont rassemblés en fac-similé dans Méthodes & Traités. Basse continue. France 1600-1800, Bressuire, Fuzeau, 2006, 6 vol. 4 Laurent Guillo, dans son catalogue des éditions Ballard, souligne l’essor des méthodes consacrées à un instrument à partir des années 1660, un mouvement qui se renforce à la fin du siècle : Laurent Guillo, Pierre Ballard et Robert III Ballard, imprimeurs du roy pour la musique (1599-1673), Sprimont, Mardaga, 2003, vol. I, p. 127. 3 La question du genre Les textes didactiques visant à enseigner la pratique de la basse continue prennent différentes appellations : Fleury et Grenerin proposent des « méthodes » pour apprendre la basse continue sur le théorbe ; Boyvin, Delair et Saint-Lambert sont les auteurs de « traités » d’accompagnement ; Perrine, Derozier et Bartolotti publient des « tables », Carré une « manière de toucher » la basse continue, Grenerin insère une « instruction pour jouer la basse continue » dans son livre de guitare, d’Anglebert des « principes » de l’accompagnement dans son livre de clavecin. Enfin, deux auteurs ne renvoient à aucun genre éditorial précis : Corbetta dans « La basse continue pour jouer sur la partie »5 et Nivers avec « L’art d’accompagner sur la basse continue », à chaque fois inclus dans des recueils de pièces. Ces différents titres génériques désignent, d’après les dictionnaires contemporains, des objets distincts : le traité, « raisonnement, discours sur quelque art, ou science » suivant Richelet6, manifeste l’ancrage théorique le plus important. De fait, les ouvrages de Delair et de Saint-Lambert s’avèrent les plus complets sur la basse continue et prennent tous deux la forme de discours ponctués d’exemples musicaux qui illustrent les points importants. L’ouvrage de Saint- Lambert commence par une définition de l’art de l’accompagnement7 et continue avec les éléments qui lui servent de base (la musique, les sons, les notes, les intervalles, etc.), une démarche reflétant les préoccupations de la méthodologie scientifique de cette époque, comme dans d’autres ouvrages didactiques contemporains8. Quant au « traité abrégé » de Boyvin, s’il adopte un dispositif typographique différent (avec une séparation claire du texte et des exemples musicaux), il précède les pages sur l’accompagnement d’une « explication facile des principales règles de la composition », présentant les consonances, dissonances et leur maniement. D’autres titres génériques reflètent une visée plus didactique : les « principes » sont, d’après Richelet, « les premiers commencemens & les premiers élémens de l’art, ou de la sience ». Ceux de d’Anglebert y correspondent peu ou prou, exposant de manière progressive quelques éléments de solfège puis les rudiments de la basse chiffrée, avec quelques mises en pratique, dans un ordre croissant de difficulté. Les exemples musicaux y constituent l’essentiel de l’enseignement : chaque leçon décrit brièvement la composition de l’accord étudié, propose quelques exemples de réalisation et une consigne pour les mettre en pratique (par la transposition notamment). Les instructions, « preceptes qu'on donne pour instruire » dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1694, comme les méthodes, « régles pour apprendre quelque chose comme quelque Langue » pour Richelet, affichent tout autant leur projet didactique. L’instruction pour guitare de Grenerin ne propose cependant pas de préceptes rédigés, mais une succession d’exemples musicaux, 5 Notons cependant que Corbetta avait déjà composé des Regola de basse continue pour ses publications antérieures, non parisiennes, dont le contenu est quasiment identique à celles de l’édition de 1671. 6 Pierre Richelet, Dictionnaire françois, Genève, Widerhold, 1680. 7 « L’Accompagnement est l’Art de joüer la Basse-Continuë sur le Clavecin, ou sur quelqu’autre Instrument (…) » (p. 1). 8 Comparons le début du texte de Saint-Lambert avec d’autres manuels contemporains. La grammaire latine de Nicolas Le Jeune de Franqueville commence ainsi : « La Grammaire est un Art qui nous enseigne à bien lire, écrire, parler et prononcer. Elle a quatre parties, la Lettre, la Syllabe, la Diction et l’Oraison. » (La Grammaire abrégée et méthodique, Paris, 1686, 4e éd., p. 1). Ls Élémens de Géométrie de Joseph Sauveur (BNF, ms. fr. 14737, p. 33) : « La Geométrie est une Science qui a pour objet l’étenduë. L’Étenduë a trois dimensions, la longueur, la largeur et la profondeur. On la peut considérer avec ces trois dimensions, ou avec deux, ou avec une seulement, et même sans aucune dimension. ». 4 constitués d’une ligne de basse chiffrée surmontée d’une réalisation en tablature. Le texte est restreint aux titres desdits exemples. Ce fonctionnement qui laisse presque toute la place aux exemples se retrouve dans d’autres ouvrages : en premier lieu, le second écrit de Grenerin consacré à la basse continue, à destination du théorbe et intitulé « nouvelle méthode ». Les seules différences entre l’instruction et la méthode de Grenerin résident dans la présence, dans la seconde, d’un texte introductif annonçant le contenu de la méthode et dans une tendance à recourir au vocabulaire de la théorie musicale que l’auteur ne maîtrise pourtant pas complètement9. Le fait que Grenerin, dans la suite du recueil, désigne sa méthode comme une « table » témoigne d’ailleurs de l’imprécision de son vocabulaire et du peu d’importance qu’il accorde à la question du genre10. L’adjectif « nouvelle » renvoie probablement à la méthode de Fleury, qui circulait à Paris depuis plusieurs années. Le fonctionnement de la méthode de Grenerin n’a cependant pas grand rapport avec celle de Fleury, si ce n’est par la grande quantité d’exemples musicaux. La méthode de Fleury, premier ouvrage didactique sur la basse continue publié en France, consacré à la réalisation de basses non chiffrées, adopte en effet un fonctionnement que nul ne reprendra. Chaque chapitre s’ouvre avec un exemple (une ligne de basse et sa réalisation en tablature), puis se poursuit avec une explication note à note de celui-ci, à l’aide d’un système perfectionné uploads/Litterature/ l-enseignement-de-la-basse-continue-en-f 1 .pdf

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