Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire
Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 L’art et la manière Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Introduction C’est une histoire de l’art factuelle telle que la pratiquaient Louis Hourticq ou Germain Bazin qui domine encore l’enseignement et ses méthodes1. Il est pourtant nécessaire de mettre à nu les œuvres d’art de manière à en dégager le sens profond. Comme le déclare Daniel Lagoutte, on peut dire qu’il existe non pas une, mais des histoires de l’art2. Pour nous, il existe autant d’histoires de l’art qu’il existe d’historiens d’art et il nous faut prendre le temps de saisir ces différentes approches. Interpréter scientifiquement les faits artistiques est aussi un art. Un art qui possède ses manières, ses méthodes, ses procédures. L’histoire de l’art a évolué de l’approche empirique à l’approche scientifique ; il s’agissait en effet de mettre en place une approche scientifique sérieuse. L’histoire de l’Histoire l’Art en est la preuve. Depuis Winckelmann3, notre discipline n’a cessé de multiplier les approches autour de son objet d’étude, toujours plus scientifiques. La tâche était noble ; elle fut accomplie. Aujourd’hui, les historiens de l’art continuent d’œuvrer dans le sens d’une méthodologie renforcée. La crédibilité acquise ne doit néanmoins pas nous faire oublier le devoir de vulgarisation, même si certains répugnent encore à la besogne. L’effort de vulgarisation constitue en effet un passage obligé. Nous voudrions d’emblée souligner l’importance d’une notion chère à Jacques Thuillier : le décloisonnement. Dans Les doubles coordonnées de l’œuvre d’art, seconde partie de sa Théorie générale de l’Histoire de l’Art, Thuillier défend l’idée d’un champ disciplinaire qui se doit d’éviter l’écueil de l’enfermement dans une spécialisation excessive4. Un 1 HOURTICQ, Louis, Initiation artistique, Paris, Hachette, 1921 ; BAZIN, Germain, Histoire de l’Art. De la préhistoire à nos jours, Paris, Garamond, 1953. 2 LAGOUTTE, Daniel, Introduction à l’Histoire de l’Art, Paris, Hachette, 2001. 3 WINCKELMANN, Johann Joachim, Histoire de l’Art dans l’Antiquité, nouvelle trad. de l’allemand par Dominique TASSEL, Paris, Le Livre de Poche, 2005 (éd. originale 1764). Voir, sur Winckelmann, POMMIER, Edouard, Winckelmann, inventeur de l’Histoire de l’Art, Paris, Gallimard, 2003. 4 Comme le souligne Jacques THUILLIER (Théorie générale de l’Histoire de l’Art, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 121), « […] l’œuvre d’art, créée, nous l’avons dit, illic et tunc, doit se voir restituer sa pleine temporalité. L’erreur est de la figer à l’intérieur d’un schéma tout conceptuel. Quant aux structures historiques, trop Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 regard exclusif sur un domaine tout aussi exclusif entraîne un cloisonnement qui empêche, entre autres, toute compréhension du jeu des influences esthétiques et des interdépendances culturelles. Après analyse et mise à l’épreuve de notre formation scientifique dans l’enseignement secondaire technique et professionnel, et supérieur universitaire (cours de didactique spéciale), il nous apparaît nécessaire d’aborder l’histoire de l’art avec suffisamment de recul pour éviter la myopie intellectuelle et la communication stérile. Il est vrai que le travail sur le terrain, dans la classe ou la salle de cours, modifie profondément la perception que nous avons de notre propre formation disciplinaire. Cette dernière réclame une vision globale des différentes spécialisations et des méthodes inhérentes à celles-ci. La nécessité d’une adaptation à un «public- cible» devient fondamentale, d’autant que l’inverse n’est plus possible. Une règle s’impose : partir de concepts simples pour tendre vers le complexe. Communiquer l’essentiel exige la précision scientifique de notre formation de base combinée à une approche synthétique décloisonnée ou défragmentée. «Réactiver» l’œuvre d’art pour rendre vie au passé composé par l’artiste constitue également un objectif naturel. Communiquer, c’est en effet donner vie et notre tâche vise à prouver tout l’intérêt de cette manière de faire. Les théories de l’art, la tradition de l’analyse iconologique, l’ouverture vers l’analyse de l’image, l’approche cognitive des émotions et la maîtrise des technologies nouvelles de la communication comptent parmi les ingrédients d’une tradition actualisée. Pour s’y inscrire, l’historien d’art se doit de conserver ou de préserver la spécificité de ses savoirs et de développer ou acquérir les moyens de les communiquer dans la performance. Tout enseignant, quelle que soit sa discipline, se trouve dans l’obligation de tenir compte des changements qui s’opèrent dans la société. L’omniprésence de l’image à notre époque représente un véritable défi pour l’historien d’art qui se veut un pédagogue conscient des réalités actuelles – aware, dans la langue de Shakespeare. Pédagogue, il aide les jeunes à développer leur faculté de discernement en aiguisant facilement réduites à une esquisse linéaire, elles ne doivent pas être rejetées : ce qui déracinerait les œuvres et obscurcirait leurs significations. Au contraire, elles doivent être affinées, de façon à coïncider plus étroitement avec l’histoire concrète.» Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 non seulement leur esprit analytique, mais également leur sens esthétique. Il lui faut, en outre, former des individus capables de communiquer leur compréhension du monde visuel afin d’accéder à l’autonomie analytique, mission fondamentale du système éducatif. Or l’enseignant peut-il encore assumer cette mission face au monde du profit qui pénètre nos institutions par son vocabulaire et ses méthodes ? Nous ne produisons pas ; nous accompagnons des cheminements humains. Le système technocratique exige la quantification et la standardisation des actes, question de rentabilité et d’échelles de valeur. Les relations interpersonnelles sont ainsi déshumanisées. Oublier qu’enseigner relève fondamentalement des «relations humaines», cela s’apparente à la néo-taylorisation. Construire une école autour des relations interpersonnelles, extraire celles-ci d’une structure fractionnée, c’est aborder la complexité et redonner une cohérence à l’enseignement des disciplines. Pour conjuguer une approche complexe et multidisciplinaire des connaissances avec une pédagogie diversifiée, il est utile de préserver le sens des disciplines et de partir des évidences : les historiens de l’art ont développé un savoir et des compétences spécifiques à l’analyse de l’image et l’iconologie reste leur spécialité. Les exemples offerts par l’art sont les plus aptes à développer le sens esthétique des élèves. Nous pensons que l’iconologie peut être la solution, et nous la considérons donc comme la clé de voûte de l’histoire de l’art et , par extension, de l’analyse de l’image. Que se passe-t-il devant une œuvre d’art ? Quels chemins prendre pour expliquer les œuvres et la multiplicité des démarches artistiques dans le temps ? Quels sont les moyens didactiques capables d’engendrer connaissance et compréhension, puis appréciation ? Autant de questions auxquelles il nous faut tenter de répondre. Notre époque, trop rapide, trop bruyante, trop expéditive, ne nous offre que rarement le temps de découvrir les valeurs de la pensée créatrice. Alors que les processus de conception et d’élaboration artistiques sont le fruit d’une longue et patiente incarnation des sentiments, l’œuvre d’art se livre immédiatement dans sa totalité, or nous sommes induits en erreur par notre propre perception. Physiquement, l’expérience optique est instantanée, la rapidité des ondes lumineuses Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 créant l’illusion d’une connaissance immédiate. Les neurosciences nous apportent aujourd’hui les preuves tangibles de cette duperie, consciemment ou inconsciemment orchestrée5. Tout l’effort consiste à développer une méthodologie progressive, depuis l’impression-perception première jusqu’à l’analyse qui permettra d’éclairer, d’expliciter, de compléter et de dépasser cette première impression, cette première émotion. Deux objectifs fondamentaux sont à privilégier : permettre, d’une part, une approche basée sur la chronologie, ce que l’on appelle sensu stricto une «histoire de l’art», et favoriser, d’autre part, une approche analytique de l’œuvre ou de l’image. Comme toutes les disciplines, l’histoire de l’art n’échappe pas à l’abondance d’informations qui détourne de l’essentiel. La matière est complexe, c’est pourquoi son enseignement se doit d’être synthétique, pareil à un fil conducteur dans le labyrinthe de la créativité. Posons comme principe que la compréhension de l’art implique une ouverture d’esprit et l’acceptation de fait d’une société variée et pluraliste. Accepter ce que l’autre crée et chercher à le comprendre, c’est faire preuve non seulement de tolérance active, mais également d’intérêt pour ce qui de prime abord résiste à nos dispositions esthétiques, autrement dit à ce que spontanément – en fait, culturellement –, nous serions tentés de rejeter parce que non conforme à notre idée du «beau» artistique. Notre approche combattra en particulier trois réactions fréquentes face aux œuvres d’art : le découragement, le préjugé culturel, le snobisme intellectuel. Le mutisme devant un certain hermétisme artistique est aisément compréhensible et le découragement d’un public devant les choses de l’art est quasiment inévitable. Ce qui importe, c’est de dépasser le stade d’une surprise sans agrément qui conduit vite au rejet. Ce qui importe, c’est de développer une sensibilité aux productions qui nous déconcertent. Ce qui importe, c’est d’élucider, progressivement, les raisons pour lesquelles nous ne parvenons pas à «com-prendre» – étymologiquement en deux mots, uploads/Litterature/ l-x27-art-et-la-manie-re-une-approche-didactique-de-l-x27-histoire-de-l-x27-art.pdf
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- Publié le Nov 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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