Q U E S A I S - J E ? L'explication de textes et la dissertation B E R N A R D

Q U E S A I S - J E ? L'explication de textes et la dissertation B E R N A R D GICQUEL Agrégé de l'Université Cinquième édition 31 e mille « La réflexion sur le travail nous apprend à garder du passé tout ce qui nous permet de reprendre la besogne au point où ceux qui nous ont précédés l'ont laissée, en assurant la continuité du labeur humain. » Gabriel SÉAILLES. ISBN 2 13 039814 6 Dépôt légal — 1 re édition: 1979 5 e édition: 1999, octobre © Presses Universitaires de France, 1979 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris AVANT-PROPOS L'explication de texte et la dissertation littéraire se pratiquent depuis le second cycle de l'enseignement secondaire jusque dans les concours de recrutement de l'enseignement public. C'est logique puisque l'on peut attendre des professeurs qu'ils soient eux-mêmes rompus aux travaux que leurs élèves devront fournir. De ce fait, un très vaste secteur de la population sco- laire et universitaire se trouve concerné, bon gré mal gré et plutôt mal gré parfois, par l'obligation de s'adonner assidûment à ces exercices pendant un cer- tain nombre d'années. Face à une telle situation, on s'étonne de voir qu'il n'existe pas d'ouvrage codifiant les manières de faire qui aboutissent à la production de l'explication et de la dissertation. Certes, on trouve, d'une part, des recueils d'exemples ou de modèles qui montrent dans le concret à quoi doit aboutir l'explication de certains textes ou le traitement de certains sujets, mais les considérations générales sur les procédures à suivre n'y tiennent qu'une place liminaire, le plus souvent fort réduite. L'usage est aussi que les ensei- gnants donnent, en début d'année, des conseils rela- tifs à ces exercices, mais l'on sait de reste que cette manière de procéder n'est guère fructueuse. Dès lors, il n'est pas exagéré de dire que, malgré la correction individuelle des travaux, qui consiste le plus souvent en une critique des fautes, l'élève et l'étudiant qui doivent produire des exercices littéraires de ce type ne savent ni très exactement ce que l'on attend 3 d'eux, ni les manières de faire pour répondre à cette attente. N'ayant pas reçu toutes les consignes qu'il convient d'observer, ils procèdent donc surtout par mimétisme, et ne conçoivent jamais pour quelles rai- sons fondamentales - c'est-à-dire indifférentes au texte ou au sujet – telle explication ou dissertation est réussie ou ratée. L'objet du présent travail a donc été d'abord d'établir une somme des directives qui ont été formu- lées par divers auteurs qui ont écrit sur ces exercices. Comme l'avait fait Cicéron pour son enseignement rhétorique: « Nous avons réuni tous les écrivains en un même endroit pour extraire de chacun d'eux les préceptes qui semblaient les plus justes et, butinant ces talents divers, nous leur avons pris ce qu'ils avaient de plus remarquable. En effet, parmi ceux dont le nom mérite d'être conservé, il n'en est aucun qui ne donne des conseils excellents, mais aucun n'en donne de vrai- ment remarquables sur tous les points. » l Au demeurant, si nous avons recherché nous aussi une information suffisamment vaste, il n'était pas dans notre propos de constituer une documentation exhaustive de ce qui a été écrit à ce propos ni de dres- ser un palmarès des meilleurs auteurs. On trouvera donc sans nul doute des remarques fort pertinentes dans des ouvrages qui ne sont pas cités ici. D'une manière générale, il nous a pourtant semblé que la perspective le plus souvent choisie, celle de l'enseignement secondaire, et d'ailleurs plutôt celui d'hier, ne permettait pas de poser les problèmes au niveau où on les rencontre vraiment aujourd'hui avec le plus d'acuité. En effet, il n'est plus nécessaire, de nos jours, de dominer la technique de l'explication et de la dissertation pour réussir au baccalauréat. Par voie de conséquence, c'est à l'université que les étudiants doi- 1. Cicéron, De Inventione, II, 4, trad. Henri Bornecque. 4 vent apprendre à les faire, pour la licence d'abord, pour le CAPES et l'agrégation ensuite. Or les lamenta- tions, pour ne pas dire les jérémiades des jurys, prou- vent à l'évidence que, dans la majorité des cas, cet objectif n'est pas atteint. L'exigence pourtant demeure. Mais elle s'est déplacée par rapport à ce quelle était jadis. Dans la mesure où l'explication de texte universitaire doit inté- grer les pratiques les plus courantes d'une critique lit- téraire qui s'enrichit tous les jours, elle est, nous semble-t-il, contrainte de se donner une structure théo- rique plus complexe. Quant à la dissertation, elle ne peut guère se pratiquer entre 18 et 25 ans sans réfé- rence aux principes logiques qui en règlent le fonction- nement. C'est pourquoi il a paru nécessaire de dépas- ser deux stades: celui de la pédagogie paresseuse qui déclare « vous n'avez qu'à être plus doués » et celui de la routine besogneuse selon laquelle on apprend « à force d'en faire ». Les divers conseils recueillis à droite et à gauche suggéraient que ce dépassement devait être possible grâce à une réflexion méthodique. Bien plus, n'étant point contradictoires, ces directives incitaient à penser qu'elles s'inscrivaient dans un système cohérent et qu'il pouvait y avoir lieu d'étudier celui-ci, en recherchant comment ces vues d'un même problème pouvaient se combiner entre elles. Dans la mesure où c'est un usage scolaire du lan- gage qui est en cause, ces considérations s'inscrivent normalement dans le cadre de la rhétorique. Celle-ci ne fait guère autre chose qu'étudier l'expression de la pensée dans une perspective d'apprentissage. Certes notre époque s'est préoccupée, à juste titre sans doute, de privilégier dans les premières années d'études les exercices de commentaire ou de rédaction qui relèvent d'une pratique relativement naturelle de l'expression. Mais, au fur et à mesure que l'esprit progresse, les exercices scolaires perdent normalement 5 cet aspect initial de spontanéité guidée pour atteindre un niveau de technicité, peut-être de sophistication tel que leur caractère culturel ne saurait raisonnablement être mis en doute. Certes, chez certains enseignants, ces travaux tendent-ils à prendre la forme d'une seconde nature. Mais c'est là sans doute un effet d'une longue familiarité, sinon de l'âge lui-même, et non une raison suffisante pour juger naturelles la lec- ture philologique des textes et la présentation en bon ordre d'une suite d'arguments. Au contraire, les origines lointaines de ces exercices se situent en un temps où l'on se souciait fort peu d'expression spontanée, mais beaucoup d'orientation universelle, à savoir la scolastique. Il semble, en effet, qu'avant la Vita nuova de Dante, dans laquelle l'auteur commente ses propres poèmes, on ne trouve rien qui rappelle de près ou de loin l'explication fran- çaise. Mais le poète italien, lui, évoque pour telle œuvre les circonstances de sa composition, pour telle autre les intentions qu'il a eues, pour d'autres encore le plan qu'il a suivi, tandis que pour l'un de ses poè- mes, il fournit un commentaire de détail. Ce n'est pas encore la répétition d'un procédé semblable dans les divers cas, mais, en mettant bout à bout ces séquen- ces, on reconstitue aisément le schéma qui sera plus tard celui de l'explication de texte. La situation est un peu différente en ce qui concerne la dissertation, mais c'est au XIII siècle aussi que l'on voit apparaître une construction selon « un schème de division susceptible d'être condensé en une table des matières ou un sommaire où toutes les parties dési- gnées par des chiffres ou des lettres de même rang sont sur le même plan au point de vue logique » 1. Les auteurs scolastiques, en effet, « se sentaient tenus de rendre palpables et explicites l'ordre et la logique de leur pensée..., le principe de manifestatio 1. Erwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, 1967, p. 92-93. 6 qui déterminait l'orientation et le but de leur pensée régissait aussi l'exposition de leur pensée, la soumettant à ce qui peut être appelé le postulat de la clarification pour la clarification » 1. Il ne suffirait donc pas de voir dans la pratique de l'explication de texte et de la dissertation l'expression d'un esprit cartésien à qui l'on prête souvent plus qu'il ne donne. Sans doute n'y a-t-il pas filiation directe, lignée continue et référence explicite entre la pensée scolastique et la méthode littéraire de l'enseignement français, mais seulement une commu- nauté d'inspiration et, en quelque sorte, des retrou- vailles perpétuées. Mais, s'il en est ainsi, mieux vaut en prendre une conscience aussi nette que possible. 1. Ibid., p. 95. 7 Chapitre I LES ORIGINES DE LA MÉTHODE Les exercices fondamentaux de l'enseignement français que sont l'explication de texte et la disserta- tion littéraire n'ont pas été décidés un beau jour par un pouvoir discrétionnaire. Ils ont une histoire qui éclaire à la fois les raisons pour lesquelles on les pra- tique sous leur forme actuelle et les difficultés que l'on rencontre pour en dégager une théorie. Une tentative avortée: Charles Rollin. — Le grand précurseur de l'explication de texte est Charles Rollin, célèbre professeur d'éloquence latine et recteur de l'Université de Paris. Son Traité des études de uploads/Litterature/ l-x27-explication-de-textes-et-la-dissertation-1993.pdf

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