Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1974

Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1974 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 29 sept. 2022 22:08 Études littéraires L’ironie et l’humour dans Le pauvre christ de Bomba de Mongo Beti Fernando Lambert Volume 7, numéro 3, décembre 1974 Littérature négro-africaine URI : https://id.erudit.org/iderudit/500343ar DOI : https://doi.org/10.7202/500343ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Lambert, F. (1974). L’ironie et l’humour dans Le pauvre christ de Bomba de Mongo Beti. Études littéraires, 7(3), 381–394. https://doi.org/10.7202/500343ar L'IRONIE ET L'HUMOUR DE MONGO BETI dans LE PAUVRE CHRIST DE BOMBA fernando lambert On ne peut parler du Pauvre Christ de Bomba 1 de Mongo Beti, sans penser à l'Aventure ambiguë2 de Cheikh Hamidou Kane. Ces deux romans nous plongentchacun dans un univers religieux caractéristique. Mais, alors que l'Islam possède de solides racines dans l'Afrique de l'Ouest, le Christianisme apparaît tout à fait étranger au Cameroun. Ses représentants sont considé- rés par Beti comme les agents les plus efficaces de l'entreprise coloniale. Cela suffit sans doute à expliquer pourquoi l'Église catholique est placée au centre du roman, le Pauvre Christ de Bomba, de sorte qu'elle constitue une des structures essentiel- les, sinon la principale, de l'univers romanesque de Beti. Elle est présente aussi dès la première œuvre, Ville cruelle3, où elle met son pouvoir moral au service de l'administration coloniale. Son influence demeure implicite dans Mission terminée4. Par contre, dans le quatrième roman, le Roi miraculé5, elle revient au premier rang : elle entre en conflit avec les valeurs fonda- mentales de la société traditionnelle, en particulier la polygamie. Au-delà de la thèse anti-cléricale et anti-chrétienne que beaucoup de critiques y ont d'abord vue, le Pauvre Christ de Bomba illustre bien la manière dont Beti tire sa matière romanesque du monde missionnaire camerounais qu'il connaît bien. Ce roman, qui représente très dignement la littérature de contestation en Afrique, permet de mettre en lumière ce qui se révèle être l'originalité de Beti. L'auteur est visiblement hanté par le monde colonial en général, et d'une façon spéciale par le monde missionnaire. Dans l'une et l'autre société, il retrouve le 1 Mongo Beti, Le Pauvre Christ de Bomba, Paris, Robert Laffont, 1956. 370p. 2 Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961. 209p. 3 Eza Boto, Ville cruelle, Paris, Éditions africaines, 1954. 219p. 4 Mongo Beti, Mission terminée, Paris, Buchet/Chastel, 1957. 254p. 5 Mongo Beti, Le Roi miraculé, Paris, Buchet/Chastel, 1958. 254p. ÉTUDES LITTÉRAIRES/DÉCEMBRE 1974 382 tragique qui naît de l'absurde délibérément entretenu. Pour se libérer de ce monde qui l'obsède, il adopte une attitude nouvelle dans la littérature négro-africaine: il prend le parti de rire, en montrant les fausses prétentions et les incohérences du système colonial. Le Pauvre Christ de Bomba permet de suivre dans son entier la démarche de l'esprit chez Beti, depuis l'ironie toujours présente, qui, à tout moment, éclate en parodie et en caricature, jusqu'à l'humour qui agit comme modérateur, en lénifiant les choses et ne permettant d'attaquer sans trop en avoir l'air. La fonction de l'ironie est nette. Beti feint d'entrer dans le jeu du système colonial, mais partout sous la raillerie, transparaît le sens véritable de sa création romanesque et ce sens se situe à l'opposé de ce qui est dit. Il se fait d'abord iconoclaste, parce qu'il veut briser l'image apparemment bienveillante mais paternaliste et néfaste de la colonisation. Il s'en prend d'une façon particulière à la religion des Blancs qui lui apparaît comme un véritable impérialisme spirituel, faisant table rase des croyances traditionnelles de l'Africain. Mais il ne ménage pas pour autant ses personnages africains. Il en vient à briser l'antithèse simpliste qui opposait le bon Noir au méchant Blanc. Les Africains de Beti sont, en effet, des hommes normaux, capables du meilleur comme du pire et responsables malgré tout de leurs actes. Le cadre physique du Pauvre Christ de Bomba délimite un espace restreint où évoluent tous les représentants de la société coloniale. Il s'agit de la mission catholique de Bomba, véritable petite ville située au centre d'une région forestière, qui relève à la fois de la juridiction spirituelle du Père Drumont et de l'autorité de l'administrateur Vidal. À la vie grouillante de la mission: école, maison de formation des futures épouses (la sixa), ateliers, travaux dans les plantations, s'oppose la vie calme des gens de la forêt qui continuent à se régler sur le rythme de la nature. Le goût de la liberté et la résistance spirituelle des Tala, peuple de la forêt, font contrepartie à la soumission des chrétiens qui vivent à Bomba même ou le long de la route. Dans l'œuvre se déroule un double cheminement. Au départ, deux personnages inséparables l'un de l'autre : le Père Drumont et son jeune «boy» Denis. Le second se veut en tout l'écho LE PAUVRE CHRIST DE BOMBA DE M. BETI 383 fidèle du premier. Mais la tournée de brousse au long de laquelle germent les actions successives du roman, soumet chacun d'eux à une initiation définitive. Drumont qui, dans sa naïveté, comptait sur un retour des Tala dans le giron de l'Église, rencontre une indifférence à peu près générale à ses prétentions apostoliques. Il prend lentement conscience de la déception que le christianisme a provoquée chez les Noirs. Il se sent rejeté comme un étranger qu'il est, et il s'abandonne au complexe du mal-aimé. Son initiation est complétée lorsque, de retour à Bomba, il apprend que, près de lui, au cœur même de la mission, ses hommes de confiance ont détourné son œuvre apostolique, en pratiquant un proxénétisme éhonté. Il ne lui reste plus qu'à repartir pour l'Europe. Denis, pour sa part, accomplit un cheminement inverse. Tout au cours de la tournée, ses yeux se dessillent. Il découvre l'homme avec sa complexité et ses calculs, l'Afrique et ses valeurs propres. Il est déçu sans doute par beaucoup de choses, mais il décide de tourner la page, d'oublier son adolescence et de faire face à la vie. Le récit demeure donc simple dans l'ensemble. Cependant, ce qui nous semble plus important, ce sont les différents points de vue adoptés par l'auteur et par ses personnages. Pour traduire son regard ironique, Beti exploite abondamment les nombreuses possibilités qu'offre la technique du regard neuf. Tout en simulant la naïveté — ce qui est d'autant plus facile que dans le Pauvre Christ de Bomba le regard neuf est celui du jeune Denis —, le narrateur ou les héros démontent les mécanismes d'un monde étranger, les mécanismes d'une pensée et d'une logique étrangères. Les modes d'expression qui leur permettent d'obtenir ce résultat, vont de l'antiphrase à l'éloge hyperbolique, de l'omission volontaire et suggestive au trait sarcastique. Pour peindre le monde missionnaire, Beti fait appel à deux groupes de personnages qui apportent deux visions complé- mentaires. Un bon nombre parmi eux voit les choses de l'extérieur, en observateurs: Zacharie, les Tala,... Un plus petit nombre voit les choses de l'intérieur: Denis, les catéchistes,... ; mais, même dans ce dernier cas, l'ironie démystifie ce monde, en soulignant le non-sens pour l'Africain d'une religion qui s'exprime à travers des valeurs européennes. Elle montre ÉTUDES LITTÉRAIRES/DÉCEMBRE 1974 384 également par les interventions naïves de ces personnages qu'il faut entendre le contraire de ce qui est dit. Ainsi, ce qui semble au premier abord une acceptation, se change en une désapprobation, en un refus de ce monde. Pour les personnages africains de Beti, par exemple, la mission est vue avant tout sous l'angle de la puissance matérielle qu'elle représente et non comme pouvoir spirituel. Denis lui-même se laisse prendre à ce jeu de la puissance matérielle. C'est ainsi que pour lui le développement de la mission doit se prolonger dans le même sens: Nous avons besoin de tant de choses: un orgue pour la nouvelle église, un tracteur pour nos champs, un générateur électrique pour l'éclairage, une auto, que sais-je encore...6 L'ironie dénonce déjà ici la priorité donnée aux choses maté- rielles par Denis qui est séduit par l'attrait des constructions majestueuses et les progrès de la technique européenne, sur les valeurs spirituelles dont la mission devrait être avant tout le symbole. Mais cette ironie devient plus grande encore lors- qu'on apprend, toujours par Denis — et dans cette intervention du jeune « boy» on devine le regard ironique de l'auteur —, que l'une des sources de revenus de la mission vient précisément des filles-mères contre lesquelles le Père s'élève avec force, et qui cependant tiennent à faire baptiser leurs enfants à la mission, même s'il leur en coûte plus cher. L'ironie joue ici sur l'inversion des uploads/Litterature/ l-x27-ironie-et-l-x27-humour-dans-le-pauvre-christ-de-bomba-de-mongo-beti.pdf

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