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Published on Le Journal des Psychologues (https://www.jdpsychologues.fr) Accueil > L’utilité du passage par la scène ordalique à l’adolescence Mettre en favoris Dossier : journal des psychologues n°276 Extrait du dossier : Dispositifs cliniques : entre théorie et pratiques Date de parution : Avril 2010 Rubrique dans le JDP : Dossier Nombre de mots : 2900 Auteur(s) : Blanquet Brigitte Présentation Si l’adolescence est une période où les jeunes aiment se confronter au risque, cela prend un sens particulier pour un adolescent perdu chez qui ce passage par la scène ordalique lui permettra de s’approprier son identité propre. Ainsi, par cette solution post-traumatique, il viendra éprouver un vécu ancien de mort psychique pour tenter de le rejouer différemment et de le dépasser. Mots Clés Conduite ordalique [1] Détail de l'article Proposer une réflexion sur le passage par la scène ordalique nous invite à interroger l’exposition que les adolescents font de leur corps sur l’autel du socius et, de fait, à nous pencher de plus près sur ces scènes sur lesquelles ils butent, chutent, et qui surgissent le plus souvent à leur « corps défendant ». On y découvre alors l’intérêt, pour eux, d’un passage par la confrontation au danger de mort, au regard du travail psychique de symbolisation primaire. Ces sujets s’appuient sur leur motricité, sur leur rapport au perceptif et à la sensorialité que la scène ordalique mobilise. Ce passage par la scène ordalique soumet la scène à une exigence première d’externalisation, c’est-à-dire une mise au-dehors de ce qui a fait traces mnésiques au-dedans, afin de permettre à ces sujets de pouvoir s’en saisir. Il s’agit là d’un mode de figuration, au sein duquel une scène s’esquisse, se joue, se déroule dans un effet d’après-coup. L’analyse de ces scènes ordaliques met l’accent sur une culpabilité originaire (1) et sur la quête d’un destinataire tel que le terme « ordalie » le rappelle, en désignant une épreuve judiciaire, unique, sans appel, fondée sur la justesse du jugement de Dieu. J’aimerais reprendre une phrase souvent citée de Philippe Jeammet pour introduire l’utilité de la scène ordalique : « L’adolescence est une deuxième chance de devenir adulte. » Ces deux mots – chance et devenir – constituent à eux seuls les enjeux de la recherche en psychologie clinique. Le champ de l’adolescence Pour le chercheur, l’adolescence est un formidable prisme de lecture qui rend compte de la complexité, de -l’imbrication et de l’hétéromorphie des processus. L’adolescence permet de reconsidérer la problématique de l’originaire et la problématique œdipienne. Cette période aide à repérer la construction et les failles du narcissisme. Elle favorise l’étude du phénomène de crise, de l’actualisation, de l’accidentel et de l’événementiel. L’adolescence facilite aussi l’approche du groupe, du familial, et constitue un coup de projecteur sur l’inter et le transgénérationnel. Ce catalogue des enjeux adolescents brosse avec insistance la richesse des éléments mobilisés qui permet au praticien-chercheur d’approcher la -dynamique des processus de symbolisation. Pour un chercheur, l’adolescence est une aubaine, riche d’enseignement et d’observation. Quant au clinicien, c’est pour lui un challenge qui le confronte à une mise à l’épreuve du cadre, des dispositifs, de sa propre créativité, de sa capacité de tenir, de survivre et de penser. Ce moment est fructueux, dense et concentré. Cela nécessite d’en saisir un bout pour ne pas s’y perdre, car cette complexité à l’œuvre, l’adolescent la vit, lui, de plein fouet. La problématique adolescente, une problématique de localisation Après avoir posé ce champ, j’aimerais problématiser cette complexité vécue et subie par l’adolescent pour m’acheminer vers la clinique de l’adolescent perdu et penser la question de la scène ordalique. Je propose de partir de données générales, afin de resserrer mon propos autour de ce que j’ai appelé le « processus de localisation ». L’adolescent subit l’adolescence dans un premier temps. On peut même dire que cela lui « tombe dessus », d’où l’importance paradigmatique de la chute mise en scène dans les pratiques ordaliques. Pour insister sur ce phénomène de chute, j’évoquerai la situation du chanteur Grand corps malade qui, à l’issue d’un passage ordalique, a effectué un plongeon fatal qui lui a valu de devenir handicapé. Le « slam » reprend son histoire qu’il tente de sublimer. À noter que l’étymologie de « slam » signifie « claque, impact » et se définit par une sorte de plongeon dans la foule pour y être porté. À l’instar du chanteur Grand corps malade, le phénomène de chute rend compte du travail psychique auquel le sujet ordalique est confronté. Il essaie, entre autres, de démêler les restes en s’exposant pour réexpérimenter un statut de survivant, c’est-à-dire, afin d’interroger sa rencontre avec des vécus anciens de mort psychique et la nature d’une culpabilité originaire et inconsciente qui le meut. La question identitaire s’exprimant par « Qui suis-je ? » s’impose d’emblée pour le sujet du point de vue de la localisation. L’adolescent ne peut repérer ce qui lui arrive. Le « où » devient central et se présente sous de multiples formes que l’adolescent pourrait formuler : « Où suis-je ? Dans quel état ? D’où viens-je ? Où vais-je… », etc. Toutes ces questions vont complexifier le rapport au corps qui, sous l’impulsion du pubertaire, constitue un espace à identifier. Ainsi, le corps de l’adolescent devient un instrument de localisation de soi à soi et de soi à l’autre, une surface de projection des enjeux psychiques, un parchemin d’une histoire singulière à lire, à déchiffrer, et aussi la possibilité de changement. Si le corps devient le lieu de tous les possibles, il devient également celui de tous les dangers. Cette ambiguïté conjoncturelle engendre un effet d’après-coup, de reprise des traces d’anciens vécus traumatiques et aussi d’anciens restes de vécus d’ambiguïté qui n’ont pas pu être traités et destinés. Ces restes appartiennent à de précédentes situations de confusion dans lesquelles le sujet a été pris sans pouvoir démêler s’il s’agissait de lui ou de l’autre, du dedans ou du dehors, du passé ou du présent. On pourrait comprendre également la mise en scène ordalique du corps comme un processus d’actualisation, c’est-à-dire une tentative de mobiliser un processus de localisation grâce au passage par la scène de danger. L’adolescent chercherait à s’appuyer sur la fonction du « jugement de dieu », en tant que fonction de suppléance du jugement d’attribution. Ainsi, le sujet tenterait de se localiser sur une scène afin de : • se localiser par rapport à l’autre sans risquer d’être englouti ; • se localiser psychiquement au moyen de processus « autoréflexifs » : voir, entendre, sentir, ce qui se passe en soi (Roussillon, 1999) ; • localiser l’actualité de l’expérience au regard de celle passée ; • se localiser topiquement ; • se relocaliser après coup par un travail de reprise de ce qui n’a pu être destiné, partagé et symbolisé. L’adolescent se sentant perdu essaie de traiter les restes actifs qui l’ont plongé dans un vécu d’ambiguïté et qui ont engendré un trouble de localisation endommageant la qualité du jugement d’attribution et altérant le sentiment d’existence. On peut comprendre la scène ordalique comme une façon de permettre au sujet, par le biais de la chute, d’éprouver de nouveau un vécu de chute ancien. Ce vécu de chute, que j’ai interprété du point de vue agonistique (2), a confronté prématurément la psyché du sujet à un éprouvé de mort psychique. L’absence d’intégration psychique de cet éprouvé au sein du moi le relègue à un statut de membre fantôme qui continue d’agir. Le passage par la scène ordalique remobilise ce vécu de mort, afin d’être localisé pour être destiné et narré. À l’issue de ce passage par la scène, le sujet pourra s’appuyer sur les traces palpables de l’expérience (3), car elles constitueront la mémoire vivante du vécu scénique. Cette exposition du corps traduit chez l’adolescent sa quête d’un autre, un objet externe salvateur, attendu dans sa fonction de jugement d’attribution vicariant pour trancher, attester, séparer, délimiter et présentifier l’expérience actuelle. Adressée à l’autre, la scène ordalique représente une « deuxième chance » pour reprendre ce qui n’a pu se représenter. Elle constitue l’espoir de rejouer différemment ce qui reste noué et mal différencié. La scène ordalique reflète l’histoire d’un sujet et la manière dont il essaie d’advenir. Le passage par la scène ordalique Je vais prendre un exemple afin de clarifier la nécessité, pour un sujet, de se relocaliser après coup par un travail de reprise de ce qui n’a pu être partagé et symbolisé. À travers cet exemple (4), j’espère montrer l’utilité de la scène ordalique dans sa valence d’actualisation du travail du -traumatique. Il s’agit d’une jeune femme âgée de dix-huit ans que j’appellerai Maeva. Je la rencontre sur les suggestions de son éducateur, car Maeva demande un soutien psychologique, afin, selon ses termes, « de se préparer au procès ». Que signifie « se préparer au procès » ? La scène ordalique vécue par Maeva En effet, quelque temps plus tôt, Maeva a été victime d’une agression sexuelle. Elle a déposé plainte, et son agresseur se trouve actuellement en prison. uploads/Litterature/ l-x27-utilite-du-passage-par-la-scene-ordalique-a-l-x27-adolescence-blanquet-brigitte-2010-article.pdf

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