Le passé simple: un temps du récit La chèvre de M. Seguin par Alphonse Daudet P
Le passé simple: un temps du récit La chèvre de M. Seguin par Alphonse Daudet Présentation élaborée par Caroline Gajevic La chèvre de M. Seguin Alphonse Daudet ! Illustrations: Virginie Flores Qui a été Alphonse Daudet? • Alphonse Daudet est né à Nîmes le 13 mai 1840 et est mort à Paris en 1897. Il laisse le souvenir d'un être généreux , plein de sollicitude pour ses camarades malchanceux et attentif à son époque : il sera l'un des premiers à apprécier et à prendre la défense des impressionnistes. • Très aimé du grand public qui voit en lui le chantre généreux et tendre d’une Provence idéale en même temps qu’un Dickens à la française, Daudet fut à la fois romancier, conteur, dramaturge et poète. • Après avoir fait un voyage en Provence, Alphonse commença à écrire les premiers textes qui feront partie des Lettres de mon moulin. • Certains des récits des Lettres de mon moulin sont restés parmi les histoires les plus populaires de notre littérature, comme La Chèvre de monsieur Seguin, Les Trois Messes basses ou L’Élixir du Révérend Père Gaucher(des oeuvres immortelles) La chèvre de M. Seguin M. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon : Un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C'était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait : - C'est fini ; Les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une. Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement cette fois il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habitue mieux à demeurer chez lui. 1 Ah ! qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin. Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande ! et puis docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle ; Un amour de petite chèvre. 2 M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est-là qu'il mit sa nouvelle pensionnaire. Il l'attacha à un pieu au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l'herbe de si bon coeur que M. Seguin était ravi. - Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi ! M. Seguin se trompait, sa chèvre s’ennuya. Un jour, elle se dit en regardant la montagne : - Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou... C'est bon pour l'âne ou pour le boeuf de brouter dans un clos !... Les chèvres, il leur faut du large. 3 À partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint. Elle maigrit ; son lait se fit rare. C'était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte et faisant : Mê !... tristement. ! M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était... Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois : ! - Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous. Laissez-moi aller dans la montagne. ! - Ah ! mon Dieu !... Elle aussi ! cria M., Seguin stupéfait. Et du coup, il laissa tomber son écuelle... Puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa chèvre : 4 - Comment, Blanquette, tu veux me quitter ? Blanquette répondit : ! - Oui, monsieur Seguin. ! - Est-ce que l'herbe te manque ici ? ! - Oh non ! monsieur Seguin. ! - Tu es peut-être attachée de trop court ; veux-tu que j'allonge la corde ? ! - Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin. ! - Alors, qu'est-ce qu'il te faut ? Qu'est-ce que tu veux ? ! - Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin. 5 - Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra ?... - Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin. - Le loup se moque bien de tes cornes. Il m'a mangé des biques autrement encornées que toi... Tu sais bien la vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis le matin le loup l'a mangée. - Pécaïre ! pauvre Renaude !... - Cela ne fait rien, monsieur Seguin, laissez- moi aller dans la montagne. - Bonté divine ! dit M. Seguin... mais qu'est-ce qu'on leur a donc fait à mes chèvres ? Encore une que le loup va me manger... Eh bien, non... je te sauverai malgré toi, coquine, et, de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t'enfermer dans l'étable, et tu y resteras toujours. 6 Là-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné que la petite s'en alla... Quand elle arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête. 7 La chèvre blanche, à moitié ivre, se vautrait là-dedans les jambes en l'air et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes... Puis, tout à coup, elle se redressait d'un bond sur ses pattes. Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d'un ravin, là-haut, en bas, partout... On aurait dit qu'il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. C'est qu'elle n'avait peur de rien la Blanquette ! 8 Plus de corde. Plus de pieu... rien qui l'empêcha de gambader, de brouter à sa guise... C'est là qu'il y en avait de l'herbe ! jusque par-dessus les cornes... Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes... C'était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc !... De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux ! Elle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient, au passage, de poussière humide et d'écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil... Une fois, s'avancent au bord d'un plateau, une feuille de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes. - Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là-dedans ? Pauvrette ! De se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde... 9 En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin ! Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque. Tout à coup, le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir... "Déjà !" dit la petite chèvre ; et elle s'arrêta fort étonnée. ! En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée ; elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste... Un gerfaut qui rentrait la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit... ! Puis ce fut un long hurlement dans la montagne : "Hou ! hou !" 10 Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé... Au même moment, une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. "Hou ! hou", faisait le loup. "Reviens ! reviens !..." criait la trompe. Blanquette uploads/Litterature/ la-che-vre-de-m-seguin.pdf
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- Publié le Mar 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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