Letras de Hoje, Porto Alegre, v. 48, n. 2, p. 227-231, abr./jun. 2013 LETRAS DE

Letras de Hoje, Porto Alegre, v. 48, n. 2, p. 227-231, abr./jun. 2013 LETRAS DE HOJE LETRAS DE HOJE LETRAS DE HOJE LETRAS DE HOJE LETRAS DE HOJE LETRAS DE HOJE LETRAS DE HOJE Os conteúdos deste periódico de acesso aberto estão licenciados sob os termos da Licença Creative Commons Atribuição-UsoNãoComercial-ObrasDerivadasProibidas 3.0 Unported.  La communauté en récit: Le Dernier Homme A comunidade na narrativa: Le Dernier Homme Jérémie Majorel Université Paris-Diderot Paris 7 – Paris – França Résumé: Dans Le Dernier Homme (1957), Blanchot fait du récit un espace de questionnement de la communauté bien avant de le faire d’une manière plus théorique dans La Communauté inavouable (1983). Dans un sanatorium, un homme et une femme sont fascinés par un de ses plus anciens patients. Blanchot interrompt le mythe qui commençait à se cristalliser autour de ce personnage énigmatique et ouvre la communauté à une commutation indéfinie et instable de rapports qui ne cessent de se décentrer et de faire l’expérience d’un chiasme. Mots-clés: Le Dernier Homme; Communauté; Récit; Chiasme; Jean-Luc Nancy Resumo: Em Le Dernier Homme (1957), Blanchot faz da narrativa um espaço de questionamento da comunidade bem antes de fazê-lo de uma maneira mais teórica em La Communauté inavouable (1983). Em um sanatório, um homem e uma mulher são fascinados por um de seus mais antigos pacientes. Blanchot suspende o mito que começava a se cristalizar em volta desse personagem enigmático e abre as portas para uma comunidade indefinida e instável de relações que não cessam de se descentralizar e de experenciar um quiasmo. Palavras-chave: Le Dernier Homme; Comunidade; Narrativa; Quiasmo; Jean-Luc Nancy Le Dernier Homme (1957) de Maurice Blanchot comprend deux parties dont la première occupe les deux tiers du livre. On peut y repérer trois mouvements. Le narrateur commence par dépeindre un homme étrange qu’il a côtoyé lors d’un long séjour dans un sanatorium et qu’il appelle du surnom qui donne son titre au livre1. Ensuite, il relate comment leur rencontre a eu lieu par l’intermédiaire d’une jeune femme (cf. 24-74). Puis il insiste sur un moment de crise dans leurs relations, qui s’est produit lors d’une grave rechute de la maladie du dernier homme: le narrateur avait exprimé à la jeune femme son désir d’aller lui rendre visite, ce qui avait déclenché chez elle une réaction brutale et inattendue, peut-être imputable à un sentiment de jalousie. Le récit s’interrompt en laissant le narrateur sur le point d’entrer dans la chambre du dernier homme, la jeune femme continuant sans lui le long du couloir. On apprend au détour d’une incise qu’elle est morte entre-temps (cf. 74-105). La deuxième partie occupe le dernier tiers du livre. Ce n’est plus un récit à proprement parler, c’est presque un 1 Cf. Maurice Blanchot, Le Dernier Homme, Gallimard, 1957, p. 7-24. Les références à ce récit se feront désormais dans le corps du texte. essai. En effet, le narrateur, si on peut continuer à se servir d’une telle catégorie, ne s’adresse plus à des personnages mais à une “pensée”. Il n’éprouve plus d’affects mais pense un affect, “le calme”: l’article défini et l’énallage, qui transforme l’adjectif en substantif, sont une opération plus théorique que narrative, analogue à ce que Blanchot fera avec “le neutre” dans L’Entretien infini. Le temps du récit glisse vers un temps aboli. L’espace évoque très allusivement une chambre, un couloir ou la mer et devient de plus en plus abstrait. Le lien entre la première partie et la deuxième partie du livre présente donc un caractère hypothétique. Autre difficulté pour en cerner le sujet, ce livre repose sur un paradoxe: le titre laisse attendre que le narrateur parle du dernier homme et, d’une certaine manière, il en est largement question. Cette attente est donc comblée. Cependant, c’est son rapport à la jeune femme qui finalement retient le plus l’attention: l’excursion dans la chapelle du sanatorium où elle éprouve soudainement un malaise, la promenade dans la cour où il lui enlève ses bas pour qu’elle ressente le contact de sa peau avec la neige, sa surrection et son effondrement nocturnes lorsqu’il lui fait part de son envie d’aller voir le dernier homme, leur 228 Majorel, J. Letras de Hoje, Porto Alegre, v. 48, n. 2, p. 227-231, abr./jun. 2013 face-à-face à travers la vitre embuée du balcon sur laquelle elle dessine, protégée du froid par des couvertures... Nous lisons le récit d’un duo qui se défait au profit d’un autre. À l’inverse, le dernier homme apparaît soit de manière grotesque (la jeune femme lui donne le surnom de “professeur” (25), “il avait besoin de toute son attention pour manger sans avaler de travers” (31), le narrateur fait savoir à la jeune femme qu’il le trouve “affreux” et raille son “visage d’enfant vieilli, pas même vieux, sans âge, atrocement dénué d’expression, et son ridicule pince- nez!” (71)), soit par le biais de traces de sa présence plutôt que de sa présence elle-même (le bruit de ses pas dans le couloir ou de sa toux à travers la cloison de sa chambre), soit par évocation indirecte (le narrateur n’a pas accès à ses tête-à-tête avec la jeune femme dans le recoin de la salle où se trouve le piano, il imagine avec douleur ce que doit être sa solitude lorsqu’il est dans sa chambre pendant la nuit et, surtout, le récit s’interrompt précisément lorsqu’il est sur le point d’entrer véritablement en rapport avec lui). À ceci s’ajoute que ce livre est à la fois la somme de tous les récits de Blanchot qui précèdent et leur dissémination: les relations triangulaires entre les personnages (tous les romans et récits de Blanchot), l’espace (le couloir et les chambres font signe du côté de L’Arrêt de mort, d’Au Moment Voulu et de Celui qui ne m’accompagnait pas, le sanatorium qui retentit de la toux des malades du côté du Très-Haut et les évocations de la mer, du ciel et du cosmos du côté de Thomas l’obscur), “le phénomène de la vitre” (L’Arrêt de mort, Au Moment Voulu et Celui qui ne m’accompagnait pas), la survivance (Le Très-Haut, L’Arrêt de mort)... Quel est le sujet de ce livre s’il les rassemble tous en lui? Dès qu’il me fut donné d’user de ce mot, j’exprimai ce que j’avais dû toujours penser de lui: qu’il était le dernier homme. À la vérité, presque rien ne le distinguait des autres. Il était plus effacé, mais non pas modeste, impérieux quand il ne parlait pas; il fallait alors lui prêter silencieusement des pensées qu’il rejetait doucement; cela se lisait dans ses yeux qui nous interrogeaient avec surprise, avec détresse: pourquoi ne pensez-vous que cela? pourquoi ne pouvez-vous pas m’aider? L’incipit de ce récit énonce la question qui lui est propre: la communauté. On glisse du “je” du narrateur à un “nous” dont on ne sait pas s’il désigne l’ensemble des êtres humains dont le personnage éponyme serait le dernier, les autres patients du sanatorium ou déjà le triangle avec la jeune femme. Retentit avec force cette question que se posera plus tard Jean-Luc Nancy: “le “nous” est un étrange sujet: qui parle quand on dit “nous”?”2 Par son adresse même, le dernier homme fait quelque chose à la communauté: non pas au sens où celle-ci serait déjà effective avant cette adresse qui viendrait la troubler, mais au sens où c’est cette adresse qui la constitue et la rend donc indéterminable à l’avance. C’est parce que le “nous” devient “vous” dans l’adresse du dernier homme que le “nous” existe. L’existence d’un “nous” n’est donc possible que par sa mise en question par quelqu’un qui semble justement au bord de s’en excepter.2 La question de la communauté telle que la pose cet incipit est également indissociable de celle de la singularité, à savoir la distinction ou l’indistinction du dernier homme par rapport aux “autres” (quels “autres”?), son altérité qui ne serait rien d’autre que sa neutralité, un “presque rien” qui tout à la fois le départage des “autres” et le fait entrer en partage avec eux3. Le narrateur s’interroge: “Peut-être a-t-il changé la condition de tous, peut-être seulement la mienne” (8). L’effet du “dernier homme” sur la communauté se mesure donc entre la plus grande extension et la plus étroite acception, entre le “je” du narrateur et le “tous” de l’ensemble des autres patients, voire de la communauté humaine. L’apparition de la jeune femme vient complexifier encore ce balancement entre extension et concentration de la communauté, indécidabilité qui sera sans cesse remarquée dans l’écriture: “l’attendant, nous attendant” (84), “il l’attirait, il nous attirait” (86) ... Sont expérimentées toutes les commutations possibles entre le dernier homme et le narrateur, le dernier homme et la jeune femme, la jeune femme et le narrateur, ces trois personnages et les autres patients, les médecins, l’ensemble des humains, tout l’univers. Le dernier homme est l’opérateur de la déstabilisation des rapports, si bien que le narrateur précise: “Il luttait sûrement, d’une manière que je n’imagine pas, pour maintenir avec nous l’aisance de rapports quotidiens” (18). Ces “rapports quotidiens” ne sont donc pas son point uploads/Litterature/ la-communaute-en-recit-le-dernier-homme 1 .pdf

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