1 La contribution des auteurs francophones au cours de FLE Doina POPA-LISEANU,
1 La contribution des auteurs francophones au cours de FLE Doina POPA-LISEANU, UNED, Madrid RÉSUMÉ Comment Istrati, Cioran, Semprún, Alexakis, Todorov, Huston ou Kristof ont-ils appris le français? Quels ont été leurs motivations, leurs besoins et leurs expectatives ? Quelles stratégies ont-ils employées, quels mécanismes ont-ils utilisés pour l’acquisition de la langue étrangère ? Quelles difficultés ont-ils trouvées en chemin et comment les ont-ils contournées ou surmontées ? Finalement, quelle leçon pouvons-nous en tirer pour le cours de FLE ? Voilà les quelques questions que pose cet article et auxquelles il tente de répondre à partir des textes écrits par les écrivains francophones cités. Notre objectif est d’explorer comment on devient bilingue en français à l’adolescence ou à l’âge adulte, quel est le degré d’implication émotionnelle que l’on garde dans chacune des deux langues ainsi que la distance à partir de laquelle est possible la création artistique. Nous aimerions montrer que la qualité exceptionnelle de ces témoignages peut être utilisée en cours de FLE afin d’enrichir le concept de « motivation », en complémentarité avec les études sur les liens entre bilinguisme et émotion. 2 La contribution des auteurs francophones au cours de Français Langue Etrangère Doina POPA-LISEANU UNED, MADRID Panaït Istrati, Jorge Semprun, Emile-Michel Cioran, Vassilis Alexakis, Tzvetan Todorov, Nancy Huston, Agota Kristof sont des écrivains francophones. Dans le cadre de cet article, j’utilise la notion d’écrivain francophone dans son acception la plus courante, à savoir celle d’un écrivain qui est né en dehors de l’hexagone, étranger donc à la France par ses origines et même parfois de langue maternelle autre que le français. Selon André Brincourt1, la présence de ces écrivains dans la littérature française est un phénomène nouveau, qui n'existait pas avant le vingtième siècle et qui en est devenue l'une de ses composantes essentielles. Ils appartiennent généralement à des systèmes à la fois autonomes et interdépendants, que l’on désigne par les noms de littératures mineures ou minoritaires ou petites2, et ils ont choisi de s’exprimer, d’écrire et même de vivre dans une langue majeure3. Ce qui m’intéresse en tant qu’enseignante de Français Langue Étrangère c’est de comprendre comment ils ont appris (si bien, ajouterai-je) le français. À partir de quels besoins, de quelles nécessités et de quelles motivations ? Quelles stratégies d’apprentissage ont-ils employées, quels mécanismes ont-ils utilisés ? Est-ce qu’ils ont eu des difficultés et comment les ont-ils contournées ou surmontées ? Quelle leçon, s’il y en a une, puis-je en tirer comme professeur de Français Langue Étrangère ? Ces écrivains offrent la même particularité, celle de se situer « à la croisée des langues »4, et même à la croisée des cultures, dans un contexte de relations concurrentielles et parfois conflictuelles entre le français et d’autres langues, ce qui engendre chez eux une sensibilité plus grande à la problématique des langues, c’est-à- dire une surconscience linguistique5 qui fait de la langue un lieu de réflexion privilégié. En outre, ces écrivains ont aussi en commun le fait de s’adresser à des publics divers, séparés par des encyclopédies culturelles et langagières différentes, ce qui les oblige à trouver des stratégies aptes à se rendre intelligibles pour ce lectorat beaucoup plus vaste. Or, ce sont précisément la proximité des autres langues et les situations de bilinguisme et de diglossie (sociale ou linguistique) dans lesquelles il se trouve qui font, à mon avis, de l’écrivain francophone un allié de premier ordre pour le professeur de français langue étrangère. 1 André BRINCOURT, Langue française, terre d’accueil, Paris : Éditions du Rocher, 1997. 2 Je renvoie à Kafka et à l’exploitation qu’en ont faite Deleuze et Guattari dans leur livre désormais classique, Kafka. Pour une littérature mineure, 1975. 3 Je reprends cette distinction majeur/mineur telle qu’elle apparaît chez Lise GAUVIN et Jean-Pierre BERTRAND, Littératures mineures en langue majeure : Québec/Wallonie-Bruxelles, Bruxelles et Montréal : P.I.E. –Peter Lang et PUM, 2003. 4 Voir Lise GAUVIN, L’écrivain francophone à la croisée des langues, Paris : Karthala, 1997 ; « De l’imaginaire à la théorie : quelques concepts élaborés par les écrivains francophones pour décrire/théoriser leur situation à la croisée des langues » in Justin K. BISANSWA et Michel TÉTU, Francophonie au pluriel, CIDEF-AFI, 2003, p. 110-123. 5 « La notion de surconscience recouvre […] à la fois un sentiment de la langue, une pensée de la langue et un imaginaire de la/des langues ». Lise GAUVIN, « Surconscience linguistique » in Michel BENIAMINO et Lise GAUVIN (dir.), Vocabulaire des études francophones, Limoges : Pulim, 2005, p. 173. 3 C’est cette alliance que je me propose d’examiner en m’intéressant d’abord à ce qu’il est convenu d’appeler la motivation pour apprendre une langue étrangère; ensuite j’analyserai les difficultés que l’on rencontre sur le chemin, les stratégies et les méthodologies, pour terminer par l’étude des résultats obtenus. Des raisons pour apprendre une langue Entre l’obligation d’apprendre une langue pour des raisons de survie et le simple plaisir de passer un joyeux séjour dans un pays que l’on aime et admire, nous retrouvons chez nos francophones toutes les situations imaginables : le désir de prendre le large (le roumain Istrati6), la découverte d’un livre, défendu de surcroît (le chinois Dai Sijie7), l’influence d’un ami (le bulgare Todorov8), la nécessité de se réinventer (le roumain Cioran9). A 16 ans, Jorge Semprun se retrouve à Paris, ayant fui l’Espagne après la défaite de la Seconde République. Il avait appris le français, mais d’une façon livresque, comme langue d’éducation et de lecture. Et le voilà tout d’un coup confronté à des locuteurs réels qui, en plus, le regardent avec méfiance et dédain. À cause de son accent, « […] qui était alors exécrable », la boulangère, à qui il avait demandé un croissant, ne le comprend pas, et il raconte comment : […] toisant le maigre adolescent que j’étais, avec l’arrogance des boutiquiers et la xénophobie douce […] qui est l’apanage de tant de bons Français, la boulangère invectiva à travers moi les étrangers, les Espagnols en particulier, rouges de surcroît, qui envahissaient pour lors la France et ne savaient même pas s’exprimer10. Envahi tout d’abord par une « tristesse physique insupportable », immobilisé « dans un soudain mal-être », c’est à cause de (ou grâce à) cette boulangère peu accueillante que le futur académicien décide de parler le français sans la moindre trace d’accent étranger. En 1956, après l’écrasement de la révolution hongroise par les armées russes, Agota Kristof est contrainte d’abandonner son village pour se réfugier en Suisse, à Neuchâtel. Contrairement à Semprun qui avait appris l’allemand dans son enfance puis le néerlandais, à l’âge de 21 ans, Kristof n’avait pas encore été exposée à une langue étrangère : Au début, il n’y avait qu’une seule langue. Les objets, les choses, les sentiments, les couleurs, les rêves, les lettres, les livres, les journaux, étaient cette langue. Je ne pouvais pas imaginer qu’une autre langue puisse exister, qu’un être humain puisse prononcer un mot que je ne comprendrais pas11. 6 Panaït ISTRATI (1884-1935), auteur, entre autres, de Kyra Kyralina (1923) et Les Chardons du Baragan (1928). 7 Dai SIJIE (1954-), dont le premier roman, Balzac et la petite tailleuse chinoise (2000) a connu un grand succès de la part du public et de la critique. 8 « Pourquoi, alors, ai-je choisi Paris? Sans doute à cause d’un ami, surnommé Karata […] Son amour pour Paris était comme un petit jardin de bonheur au milieu d’un univers dévasté ». Tzvetan TODOROV, L’homme dépaysé, Paris : Éditions du Seuil, 1996, p. 236. 9 « Curieusement, je n’ai jamais été tenté d’écrire en allemand, même si je connaissais assez bien la langue. C’est par le français que je suis parvenu à me dominer, et du point de vue de mon équilibre, la chose a joué un rôle capital ». Gabriel LIICEANU, Itinéraires d’une vie : E.M. Cioran suivi de « les continents de l’insomnie », Paris : Éditions Michalon, 1995, p. 116. 10 Jorge SEMPRÚN, Adieu vive clarté, Paris : Gallimard, 1997, p. 60-61. 11 Agota KRISTOF, L’analphabète, Genève : Éditions Zoé, 2004, p. 21. 4 C’est dans cette situation d’ignorance totale qu’elle arrive donc en Suisse, où elle doit affronter une langue totalement inconnue : « C’est ici que commence ma lutte pour conquérir cette langue, une lutte longue et acharnée qui durera toute ma vie »12. Cette situation extrême qui affecte encore de nos jours tant d’êtres humains et qui les oblige à tout abandonner pour sauver leur honneur, leur liberté ou pour offrir une meilleure vie à leur famille, est bien différente de celle qui a poussé Nancy Huston à habiter la France et à découvrir la langue française : Pas de bombes. Pas de persécutions, pas d’oppression, pas de guerre coloniale, de coup d’État, d’exode, pas de lois m’asservissant ou humiliant mes parents, aucun risque, aucun danger m’acculant à l’exil, me forçant à fuir, m’enfonçant le nez dans une autre langue, une autre culture, un autre pays »13 Étudiante du Sarah Lawrence College –« une petite fac chic et chère de la banlieue huppée de New York uploads/Litterature/ la-contribution-des-auteurs-francophones-au-cours-de-fle-resume 2 .pdf
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- Publié le Jul 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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