LA « LITTÉRATURE PANORAMIQUE » DANS LA GENÈSE DE « LA COMÉDIE HUMAINE » : BALZA

LA « LITTÉRATURE PANORAMIQUE » DANS LA GENÈSE DE « LA COMÉDIE HUMAINE » : BALZAC ET « LES FRANÇAIS PEINTS PAR EUX-MÊMES » Ségolène Le Men Presses Universitaires de France | L'Année balzacienne 2002/1 - n° 3 pages 73 à 100 ISSN 0084-6473 ISBN 2130533426 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2002-1-page-73.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Le Men Ségolène,« La « littérature panoramique » dans la genèse de « La Comédie humaine » : Balzac et « Les français peints par eux-mêmes » », L'Année balzacienne, 2002/1 n° 3, p. 73-100. DOI : 10.3917/balz.003.0073 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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Au tournant des années 1840, ce livre demeure pourtant l’un des chefs- d’œuvre du livre illustré romantique, dont l’éditeur, Curmer, s’était déjà fait connaître par l’édition illustrée de Paul et Vir- ginie, qui, parue en 1838, avait été un grand succès. Le recueil lancé en quatre cent vingt-deux livraisons à partir de 1839 réunissait, en huit volumes publiés de 1840 à 1842 – quatre pour Paris, et trois pour la province, outre Le Prisme distribué en prime aux souscripteurs –, un vaste tableau de la société et des mœurs contemporaines, représenté conjointement par le L’Année balzacienne 2002 1. « Conclusion » des Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXe siècle, Paris, Curmer, 1840-1842, huit volumes (quatre pour Paris, trois pour la province, et un volume supplémentaire distribué en prime aux sous- cripteurs, Le Prisme), t. VIII (Province, t. III), 1842, p. 458. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.100.172.120 - 26/04/2015 23h38. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.100.172.120 - 26/04/2015 23h38. © Presses Universitaires de France texte et par l’image, avec l’apport de tout un aréopage de grands et petits auteurs et illustrateurs. Balzac fut l’un des pro- tagonistes essentiels de cet ambitieux projet, auquel il parti- cipa en rédigeant cinq textes. Réduire cette participation à une affaire financière, même si la question de la rémunération était pour lui un réel enjeu, revient à minimiser l’importance d’un livre qui, dans l’élaboration mentale de La Comédie humaine, apparaît comme un moment important. Depuis ses débuts littéraires, Balzac n’avait cessé de frayer avec le monde de l’édition pittoresque, et avec le milieu des gens du livre et de la presse satirique auxquels la participation des dessinateurs et des caricaturistes apportait une verve originale. Ce que l’on pourrait appeler le « concept » de La Comédie humaine a mûri lentement et s’exprime pour la première fois dans la lettre à un éditeur datée de janvier 1840 conservée à la Maison de Balzac2 : c’était un projet qui devait permettre de rassembler en un seul monument littéraire l’œuvre complet de l’écrivain, « cathédrale de papier » selon la formule appropriée de Sté- phane Vachon3. Responsable de la façon dont ses romans allaient s’intégrer à l’ensemble, l’auteur assumait pleinement un rôle d’éditeur (dans le sens médiéval de l’auctor, ou anglais de l’editor). Je voudrais ici suggérer que le moment où ce pro- jet aboutit, sous la forme d’une édition illustrée, s’opère en parfaite synchronie avec l’édition des Français peints par eux- mêmes, vendus aux souscripteurs par livraisons dès 1839, puis repris en volumes en 1840-1842 : l’on pourrait envisager la phase d’aboutissement de la conception de La Comédie humaine, dont le premier tome est publié en juin 1842, dans une interaction avec l’élaboration de ce livre illustré roman- tique auquel Balzac a participé – tâche que je laisserai à des balzaciens plus chevronnés qu’à une spécialiste de l’illustra- 74 Ségolène Le Men 2. Voir Corr., t. IV, no 1698, p. 33-37. Cette lettre a été exposée à la Mai- son de Balzac dans l’exposition Souscrivez à « La Comédie humaine » ! Œuvres complètes de M. de Balzac. Édition de luxe et à bon marché, Paris, Paris-Musées, 2002 (catalogue sous la dir. d’Yves Gagneux). 3. Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac, Préface de Roger Pierrot, Paris et Montréal, Presses Universitaires de Vincennes, Presses du CNRS, Pres- ses de l’Université de Montréal, 1992 (voir notamment « Construction d’une cathédrale de papier », p. 15-41). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.100.172.120 - 26/04/2015 23h38. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.100.172.120 - 26/04/2015 23h38. © Presses Universitaires de France tion. Défendre un tel point de vue présuppose une définition élargie de la notion de genèse, qui du manuscrit s’étend pour Balzac jusqu’à la mise en livre, et même en livre illustré. Après quelques remarques préliminaires et méthodologiques à ce sujet, il s’agira de présenter la conception éditoriale des Français peints par eux-mêmes, puis de rappeler comment Balzac lui-même à pris part au livre. I POUR UNE DÉFINITION ÉLARGIE DE LA GENÈSE, DANS LE CAS DE « LA COMÉDIE HUMAINE » L’approche génétique en littérature s’est développée à par- tir de l’étude des manuscrits et des brouillons, pour définir les états successifs des œuvres littéraires, depuis leur première idée jusqu’à leur mise en forme définitive, reconnue et signée par l’auteur. Pareille étude de la mise en texte exclut du champ des études génétiques celle de la mise en livre, qui relève de l’édition et de l’histoire du livre. Dans le cas de Balzac, cette distinction si tranchée s’estompe au profit de constants empié- tements de la mise en texte vers la mise en livre : c’est une par- ticularité d’auteur que Balzac doit probablement à son passé d’imprimeur et à son intérêt permanent pour le monde du livre et de la typographie. Il intervient sur les placards d’imprimeur qu’il traite comme des états de son texte ; il recycle dans son œuvre des textes édités sous sa plume de jour- naliste ; dans le cas de La Comédie humaine, la seule édition définitive est celle du « Furne corrigé », où les annotations manuscrites s’intercalent dans les pages composées et déjà publiées, et elle a été éditée en fac-similé tant son importance était grande pour l’histoire de ce livre4. Dans la conclusion des Balzac et « Les Français peints par eux-mêmes » 75 4. Sur cet exemplaire conservé dans le fonds Lovenjoul de la Bibliothèque de l’Institut, voir, de Roger Pierrot, Honoré de Balzac, Paris, Fayard, 1994, p. 430, et, ici même, « Les enseignements du “Furne corrigé” revisités », p. 57 s. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.100.172.120 - 26/04/2015 23h38. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.100.172.120 - 26/04/2015 23h38. © Presses Universitaires de France Français peints par eux-mêmes, l’éditeur Curmer, passant en revue ses principaux auteurs, commence par Balzac ; il l’oppose à Janin, écrivain à la plume alerte5, et, reprenant le topos du portrait en froc de moine peint par Boulanger, il en souligne le travail de « bénédictin » qui remet toujours en chantier son ouvrage, faisant probablement allusion à la façon dont Balzac remanie ses textes jusqu’au dernier moment, « quand on – c’est-à-dire l’éditeur – croit tout terminé » : « Si nous voulions entrer dans les détails d’exécution, il nous serait facile de dire avec quelle patience de bénédictin M. de Balzac cisèle ses portraits, combien de fois il remet sur le chantier son tra- vail, et combien de fois aussi, quand on croit tout terminé, il reprend encore son œuvre6 pour lui faire subir les épreuves du laminoir le plus strict, ne livrant ainsi sa pensée à la lumière du jour que lorsqu’il la trouve complète et irréprochable. »7 Cette pratique balzacienne nous autorise à étendre la notion de genèse jusqu’au « bon à tirer » et uploads/Litterature/ la-litterature-panoramique-dans-la-genese-de-la.pdf

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