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indust rie-cult urelle.com http://industrie-culturelle.com/industrie-culturelle/presentation-de-fredic-jameson-thierry-labica/ Présentation de Fredric Jameson – Thierry LABICA Les années 1980 marquèrent le moment d’une transition historique de grande ampleur et ce quel que soit le registre choisi. Si l’on commence par la f in de la décennie, il y a, bien sûr, la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l’Union Soviétique. Mais cette clôture massive de toute la période d’antagonismes entre blocs ne constitua que le moment le plus emblématique, peut-être, de toute une série de retournements et de réorientations prof ondes. Il suf f it de penser à la f in de l’apartheid sud-af ricain, ou à la première action de police planétaire en Iraq dans le cadre du « nouvel ordre mondial ». Si l’on se tourne vers le début de la décennie, l’intégration rapide de la Chine à la concurrence économique mondiale, l’arrivée au pouvoir quasi simultanée de Margaret Thatcher en 1979 en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan en 1980 aux États-Unis, pris ensemble dans leur quasi-simultanéité, ressemblent singulièrement, aujourd’hui au moins, au moment inaugural d’une phase généralement dite « néolibérale » et marquée notamment par les dérèglementations f inancières, les vagues des privatisations et le recul historique du mouvement ouvrier dont, pour paraphraser une célèbre f ormule de l’historien Eric J. Hobsbawm, la longue marche f ut interrompue. Ces reconf igurations politiques, sociales et économiques s’accompagnèrent d’une redistribution planétaire tant des alliances politiques que des activités productives. Elles se concrétisèrent aussi, dans les marchés du travail du premier monde, par un déclin spectaculaire de la production industrielle, par la progression des activités de services et une f éminisation accrue de l’emploi. Et, pour ne pas trop allonger la liste, elles s’accompagnèrent d’une dif f usion de plus en plus large des (alors) nouvelles technologies de l’inf ormation. On tient là quelques uns des principaux symptômes et f acteurs (souvent dit « postf ordistes ») de la déstabilisation des paradigmes politiques et idéologiques d’après-guerre. Mais plus prof ondément encore, au-delà de la période ouverte par la f in de la seconde guerre mondiale, ce f ut le moment d’une renégociation d’ensemble des présupposés, des expériences et des représentations associées à l’idée même de « modernité ». C’est dans cet environnement de crise de paradigme que certains ouvrages vinrent jouer un rôle-clé, notamment pour leur capacité à nommer la situation et lui conf érer ainsi sa consistance propre. S’il est toujours un peu risqué d’attribuer des responsabilités précises en la matière (les possibilités de généalogies étant nombreuses), on doit pouvoir admettre sans trop de dif f iculté que La Condition postmoderne (1980) de Jean-François Lyotard (1924-98) constitua une intervention particulièrement importante. En parlant de « la f in des grands récits » (des grands modèles de compréhension et d’interprétation de l’histoire), Lyotard nomma la situation avec un « bonheur perf ormatif » indéniable au sens où l’acte de nommer consiste en même temps à f aire, à constituer une situation porteuse de caractéristiques propres, avec un « avant » qui n’est pas encore elle. Toujours en France, on pourrait considérer que l’Adieu au prolétariat, publié la même année par André Gorz, f ut une autre contribution notoire à la production (monstration-constitution) de ce nouvel ordre de l’expérience historique dans lequel la f ormation et le déploiement du mouvement ouvrier dans des luttes pour le pouvoir à échelle planétaire depuis la 19e siècle, ne constituaient alors plus une donnée centrale de la situation. Chez les anglo-saxons, l’idée d’une possible « f in des grands récits » f ut elle-même à l’origine d’un véritable genre selon que les « grands récits » s’avèrent être ici « le travail » (Jeremy Rif kin), là l’idée même de « l’histoire » (Francis Fukuyama), ou encore les « idéologies », ou le marxisme. Le monde médiatique et intellectuel f rançais a réimporté tous ces débats sans peut-être toujours garder à l’esprit qu’ils étaient eux-mêmes le résultat d’interactions prof ondes entre l’héritage de la pensée critique f rançaise et, en particulier, le monde intellectuel et universitaire états-unien. Dans tous les cas, il peut paraître peu surprenant, au moins rétrospectivement, que les années 1980 f urent marquées par une prolif ération du discours et des thématiques de la postmodernité. Dans le monde intellectuel anglo-saxon, postmodern, postmodernity et postmodernism envahirent les intitulés de colloques, d’ouvrages de critique d’art, de philosophie, de critique littéraire, ou encore de sociologie. A tel point que l’on ne sut plus toujours très bien s’il ne s’agissait f inalement pas d’une simple mode d’inspiration « continentale », et en particulier f rançaise, tant le succès de la « théorie f rançaise » des années soixante et soixante-dix avait été marquant [1]. La puissante vogue « postmoderniste » put alors tout à la f ois être rejetée pour ses excès et ses dif f icultés théoriques et son manque de common sense anglo-saxon ; comme « libertarianisme » iconoclaste gauchiste ; mais aussi comme post- et anti-marxisme et comme célébration esthétique inf antile et proto-réactionnaire des déf aites du mouvement ouvrier et de la crise de tout projet de transf ormation socialiste. Pour le monde anglophone, l’ouvrage de Fredric Jameson (né en 1934), Le Postmodernisme, ou la logique culturelle du capitalisme tardif [[2], est venu proposer la première mise en perspective du moment historique de prolif ération postmoderniste en en cherchant la « logique » centrif uge plutôt qu’en proposant une prise de parti [3]. A ce titre, les traductions de ce livre et de La Totalité comme Complot [4] constituent un évènement éditorial qu’il ne f aut pas craindre de décrire comme majeur en ce qu’elles mettent enf in à disposition du lectorat f rancophone la pièce maîtresse de toute l’histoire théorique et intellectuelle récente du monde anglophone dans son interaction avec la philosophie continentale (allemande et f rançaise). On pourrait presque se contenter d’observer que depuis plus de vingt ans, pas un article, par un livre, pas une communication de conf érence sur les questions de théorie de la culture, de périodisation historique, ou du marxisme contemporain, ne paraît possible hors du champ orbital mis en mouvement par l’œuvre de Jameson et en particulier son Postmodernisme. Pour une comparaison, disons que ce livre est à la théorie de la culture ce qu’a été, pratiquement jusqu’aujourd’hui, La Formation de la classe ouvrière anglaise (The Making of the English Working Class, 1963) d’Edward P . Thompson pour l’histoire sociale et au-delà, pour tout le champ des études et de la théorie dites postcolonial. Le rayonnement du Postmodernisme présente donc d’emblée certains paradoxes au sens le plus strict. C’est d’abord l’ouvrage d’un marxiste états-unien. L’association de termes mérite un peu d’attention dès lors que l’idée ou le f antasme d’un « modèle américain » ne comporte généralement pas de volet « marxiste ». S’il peut y avoir « modèle », pour qui souhaite en constituer l’exemplarité économique et sociale, la chose tient précisément au f ait que l’imaginaire géopolitique hérité de la guerre f roide f ait de l’éradication du marxisme sous toutes ses f ormes (intellectuelles théoriques, militantes révolutionnaires, syndicales lutte de classes) la condition de possibilité même du « modèle ». En outre, Jameson est un marxiste nord-américain à l’heure où la réf érence au marxisme ne bénéf icie plus ni du prestige intellectuel, ni des appuis institutionnels (dans des partis, des Etats) qui étaient les siens dans un passé encore récent. On peut donc, encore une f ois, situer Jameson sur l’horizon intellectuel contemporain par analogie avec la situation des grands historiens anglais que f urent E.P . Thompson (1924-93), Christopher Hill (1912-2003), ou Eric J. Hobsbawm (1917-2012) dont l’envergure est telle qu’elle impose des reconnaissances larges bien au-delà des sympathies théoriques et militantes dans des environnements nationaux (et aujourd’hui internationaux) alors hostiles au marxisme jusque dans les bastions du mouvement ouvrier historique. Avant d’en venir aux textes aujourd’hui disponibles en f rançais, encore un mot sur le parcours intellectuel de cet auteur. Si Jameson est aujourd’hui un théoricien majeur de la culture et de la périodisation, ses sources intellectuelles sont à la croisée de la lecture de Sartre, d’Adorno et de l’Ecole de Francf ort et du travail en littérature comparée. Parmi les livres qui précédèrent Le Postmodernisme, Marxism and Form (1970) et The Political Unconscious : Narrative as a Socially Symbolic Act (1981) contribuèrent à établir la réputation de Jameson comme théoricien marxiste de l’esthétique littéraire. Comme Terry Eagleton, ou plus encore, comme Raymond Williams (en Grande- Bretagne), Jameson est passé du champ littéraire, de sa pédagogie universitaire et des questions et enjeux politiques qui en dépendaient, aux questions théoriques quant à la place et la f onction historiques de champ culturel dans sa globalité. Ce glissement, à lui seul, nous parle déjà de la démarche générale de l’auteur pour qui le préalable à toute intervention doit être la compréhension des conditions historiques de cette intervention. A ce titre, la réf lexion déployée dans Le Postmodernisme, n’est pas une simple extension des positions élaborées antérieurement dans et pour le champ des études uploads/Litterature/ labica-thierry-1-presentation-de-fredric-jameson-articles-pdf 1 .pdf
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- Publié le Jul 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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