Mehdi Belhaj Kacem Artaud et la théorie du complot MEHDI BELHAJ KACEM aux Éditi

Mehdi Belhaj Kacem Artaud et la théorie du complot MEHDI BELHAJ KACEM aux Éditions Tristram cancer, roman, 1994 1993, récit, 1994 Vies et morts d'Irène Lepic, roman, 1996 L'Antéforme, récit, 1997 Esthétique du chaos, 2000 Society, 2001 L'Essence n de l'amour, coédition Fayard, 2001 Événement et répétition, 2004 L'Affect, 2004 eXistenZ, 2005 Artaud et ta théorie du complot, collection Souple n° 31, 2015 (bibliographie complète en fin de volume) Mehdi Belhaj Kacem A aud et la th; rie du mpl Préface de Jean-Paul Chavent Tous droits réservés © Éditions Tristram, 2015 Correspondance et catalogue : Tristram - BP 90110 - 32002 Auch cedex tristram@tristram.fr www.tristram.fr Préface par JEAN-PAUL CRAVENT Pourquoi écririons-nous, sinon? C'est à Guéret, dans la Creuse. Les Rencontres de Chaminadour, à l'initiative de Pierre Michon, puissance invitante, et d'Hugues Bachelot, déli­ cieux organisateur (et petit-neveu de Marcel Jouhandeau, d'où le nom de ces journées). Le 20 septembre 2014, Mehdi Belhaj Kacem a la charge de clore la série des conférences consacrées cette année à Antonin Artaud. De­ puis trois jours, universitaires, écrivains, fins connaisseurs de l'œuvre se succèdent pour des interventions souvent brillantes, parfois délec­ tables, toujours passionnantes comme il est d'usage à Chaminadour et tout particulièrement cette année pour cette 9e édition. Or voilà que 5 soudain une présence, une parole tranche sur le discours des spécialistes qui l'ont précédée. « Artaud et la théorie du complot » est le titre annoncé de l'intervention kacémienne, mais c'est d'une expérience d'incarnation de ce thème (parmi d'autres) qu'il va s'agir, car tenue ici par un philosophe qui ne fait qu'un avec ses écrits et dont la parole et les livres, arrachés au néant dont il se voit cerné, entrent en résonance aussi bien avec l'univers d'Artaud qu'avec le monde de Michon. Disons pour aller vite qu'ils par­ tagent cette «religion de substitution» qu'aura été une certaine idée de la littérature. Celle qui, parfois, illumine le vide. Jouissance et souffrance du dire réunies dans la voix. Algèbre de la Tragédie et jamais son Spectacle. L'émotion qui vient dans la diction, d'abord heurtée, comme empêchée, n'est pas d'emblée communicative. C'est l'intelligence, la hauteur du propos qui l'est. La puissance émotionnelle qui naît de l'énigme d'un savoir et d'un vécu sur lesquels le souffle ricoche avant de creuser jusqu'à dégager l'ampleur de la vue, la longue histoire, et de replacer Artaud, mais 6 aussi Michon, et avant eux Hôlderlin pour ne citer qu'un nom, dans cette parentèle où se reconnaissent ceux, rares dans tous les siècles, qui ont dû revêtir de mots la nudité de notre humaine condition à seule fin de la dénuder mieux encore (évitons le cliché jusqu'à l'os!), mais dans la forme que réclame chaque fois une incomparable singularité. L'héroïsme de la phrase, la violence à l' œuvre, celle de la société qui les suicide à moins qu'ils ne la retournent pour en faire un moteur. L'art et la douleur : la généalogie de cette souffrance que s'inflige l'être humain, le plus technique­ ment sophistiqué des animaux. Le rapport à l'Histoire, au passé, la passe postmoderne, le cynisme et le don, et derrière l'image facile du « suicidé de la société », la question du Mal enfin, celle qui occupe désormais le travail de MBK. Dans la salle, à la fin, la gravité bouleversée de tous. Gens en larmes. Ovation debout. Bravos. Sensation de participer plus que d'assister à ce qu'une pensée vivante suscite, provoque et incarne : rien de moins, en ces Très Riches 7 Heures de Chaminadour, que l'invention d'une communauté possible. Pourquoi écririons-nous, sinon? Pourquoi lirions­ nous, sinon? Oui, pourquoi, pour qui? C'est pour ça qu'on a pleuré de joie, un matin de septembre 2014, à Guéret. J.-P. C. ARTAUD ET LA THÉORIE DU COMPLOT « Mon cher Jacques, je m'étais pourtant juré de ne pas y céder, de faire tout pour l'éviter, de ne pas me laisser entraîner. Une phrase, un peu trop empha­ tique mais obstinément récurrente, le disait : je ne veux pas sombrer; je ne veux pas ce retour, sans fin, des mêmes démons ; je ne veux pas cette sorte de "ressassement éternel". Très vite, néanmoins, j'ai su que c'était im­ possible. Strictement impossible. Une autre phrase alors, non moins empha­ tique, je le crains, est venue se prononcer en moi : je sacrifierai donc à l'autobiographie. J'y sacrifierai. Et lorsque j'ai compris que cette phrase, il faudrait bien que je la prononce 11 publiquement, pour commencer, le plus juste m'a semblé aussitôt de laisser simplement résonner, avec tous les harmoniques, le mot redoutable qui venait ainsi de s'imposer : j'y sacrifierai. Sans en dire davantage. Je pense, je sais, que vous entendrez. Et toi, Jacques, le premier. » Ces phrases, à la fois pathétiques et héroï­ ques, et qui sont de Philippe Lacoue-Labarthe, le sont d'autant plus, héroïques, qu'elles ont été prononcées dans un cadre incongru, puisque universitaire ; lors d'un gigantesque colloque international consacré à Jacques Derrida, et dont les actes ont été recueillis dans un énorme pavé sous le titre J..: animal autobiographique. Elles commencent une conférence étourdis­ sante où Lacoue-Labarthe parle de J..: Instant de ma mort de Blanchot, mais évoque aussi le lien qui unit autobiographie et « mort antérieure » chez Montaigne, Rousseau, Chateaubriand, Malraux . . . et Artaud. Quand on m'a soumis, il y a de cela quel­ ques mois, le projet de ce colloque autour 12 d'Antonin Artaud, mais sous l'invocation de Pierre Michon, et qu'au surplus on a exigé de moi un titre, poliment mais fermement, sur le mode « et qu'ça saute ! », j'ai répondu du tac au tac, moitié par provocation bravache, moitié pour me forcer à aller à l'essentiel : « Artaud et la théorie du complot ». C'était faute de mieux : on me sollicitait à un moment où j'étais plongé dans une sorte de procrasti­ nation neurasthénique depuis deux ans, deux années au cours desquelles j'avais sérieuse­ ment envisagé de m'opérer vivant de toute littérature, et en particulier de cette forme de littérature qui est celle que je pratique depuis plus de dix ans, et qu'on appelle encore, peut­ être improprement, la philosophie. J'exagère évidemment un peu, je n'ai pas totalement cessé d'écrire ou de lire depuis deux ans, mais enfin sur le fond c'est vrai : même si j'ai sacrifié, dans certaines circonstances, à ce qu'on appelle l'intervention publique, l'envie dominante fut réellement d'en finir, de façon para-rimbaldienne, avec tout ce qui avait trait à ce qu'il est convenu d'appeler la culture. Je 13 vous ai donc lu, pour entrer en matière, le texte de Lacoue, qui me bouleverse toutes les fois que je le relis, parce que je n'ai pas trouvé de meilleur moyen - de moins pathétique - de vous faire part de mon état d'esprit. À la fois désir et panique, enthousiasme et terreur, de participer à ce colloque, après deux années à ne quasiment rien faire, autant dire une éter­ nité. Ne rien faire, à part éventuellement, sans cesse, ressasser : chasser les vieux démons, que la présente invitation, et ce que ça impli­ quait - Artaud, autant dire tout -, faisait reve­ nir au galop. Mais enfin, puisque je suis là, sacrifions-y. Le thème du complot, on le sait, est qua­ siment omniprésent dans ce qu'on pourrait appeler le dernier Artaud, et à un niveau jamais atteint à ce point-là dans l'histoire de la littéra­ ture. Je prélève des phrases dans la conférence du Vieux-Colombier, où l'on sait qu'Artaud voulait justement exposer à un public congrû­ ment lettré le complot dont il avait été sujet, et, ce qui est encore moins anodin, qu'il n'est pas parvenu à la prononcer comme il voulait. 14 Le titre qu'a donné Artaud à toute cette conférence, et on y reviendra, est tout un pro­ gramme : « Histoire vécue d'Artaud-Mômo ». Artaud ne dit pas « vie », et il ne dit pas non plus « histoire ». Il dit bien : « Histoire vécue » : autant dire que l'expression d'animalité auto­ biographique ne s'applique à nul autre mieux qu'à lui. « J'ai été victime d'un crime social où tout le monde peu ou prou a trempé un doigt, ou, du moins, le cil d'une paupière. » Ailleurs, Artaud évoque « . . . une sale histoire de police où aussi bien la police irlandaise, que la sûreté générale française, que l'intelligence service eurent partie liée », une sale affaire de police, ajoute-t-il, « ma sale affaire de police », dit-il même, <c qui est une affaire d'interne­ ment arbitraire maintenue pendant neuf ans, compliquée de mise au secret, d'empoisonne­ ment, d'agressions et d'assassinats ». Artaud, de cette histoire, ne nous épargne aucun détail ragoûtant : il fut cet <c empoisonné que l'on fourrait en cellule, nu sur une paillasse avec une simple chemise sur le corps, [qui] avait dysenterie sur dysenterie et vomissement sur 15 vomissement, et dans les cellules les W.-C. sont constitués par un trou à même le plancher et qu'il faut vider à la main. Et je me uploads/Litterature/ mehdi-belhaj-kacem-artaud-et-la-theorie-du-complot-pdf.pdf

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