« L’AMOUR, C’EST LE SIGNE QU’ON CHANGE DE DISCOURS » Patrick Roux L'École de la

« L’AMOUR, C’EST LE SIGNE QU’ON CHANGE DE DISCOURS » Patrick Roux L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne » 2010/3 N° 76 | pages 87 à 92 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040701 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2010-3-page-87.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Ibid., p. 46. 87 « L’amour, c’est le signe qu’on change de discours » Patrick Roux Faisant référence au poème de Rimbaud « À une raison »1, Lacan énonce dans le Séminaire Encore que « l’amour, c’est dans ce texte le signe, pointé comme tel, de ce qu’on change de raison, on change de raison, c’est-à-dire – on change de discours »2. L’amour est la voie la plus courante pour tenter de suppléer au manque-à-être qui résulte, chez l’humain, de son entrée dans le langage. « Nous ne sommes qu’un. Chacun sait bien sûr que ce n’est jamais arrivé entre deux qu’ils ne fassent qu’un, mais enfin nous ne sommes qu’un. C’est de là que part l’idée de l’amour. C’est vraiment la façon la plus grossière de donner au rapport sexuel, à ce terme qui se dérobe […], son signifié. »3 N’ayant pas à sa disposition les coordonnées symboliques du rapport sexuel, l’humain ne peut traduire cela qu’en termes de castration. C’est pourquoi les conditions de désir et de jouissance sont liées, pour tout sujet, au traumatisme de sa rencontre avec le sexuel. Le fantasme est cette réponse singulière échafaudée pour suppléer à la lacune dans le savoir. Dès lors, la demande d’amour surgit lorsque l’as- sise subjective est dérangée. Tentative de faire Un avec l’Autre, alors même que la division du sujet se dénude. Comment pourrait-il en être autrement dans une cure ? C’est donc par un changement de discours qu’un sujet, homme ou femme, rencontre la psychanalyse, ouvrant immédiatement la question du partenaire amou- reux. « On vient bien souvent trouver le partenaire-analyste, dit Jacques-Alain Miller, pour se demander ce qu’on fait avec son partenaire vital, comment on a pu songer à la Cause freudienne no76 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France (BnF) - - 194.199.3.13 - 07/07/2020 09:27 - © L'École de la Cause freudienne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France (BnF) - - 194.199.3.13 - 07/07/2020 09:27 - © L'École de la Cause freudienne Intelligence du transfert s’apparier à cette plaie. »4 Et tout partenaire est une plaie, dès lors qu’il ne s’égale jamais à l’objet perdu. Odette Dans Un amour de Swann, Proust nous fait entendre, avec beaucoup de finesse, la contingence de l’amour. Comment débute cette histoire qui va coûter à Swann sa fortune et sa santé ? La vie amoureuse de cet homme est, jusque-là, la répétition à l’identique d’un scénario de conquête narcissique : « Chacune de ses liaisons […] avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve né à la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait trouvé charmants »5. La rencontre d’Odette de Crécy vient rompre l’automaton, illustrant le fait que l’on change de discours. Un acte manqué survenu à la première visite chez Odette – Swann y oublie son étui à ciga- rettes – indique le passage de la demande à l’inconscient. Odette, qui n’est pas sans savoir sur l’amour, ne s’y trompe pas. Elle lui fait aussitôt rapporter l’objet assorti d’un accusé de réception ainsi libellé : « Que n’y avez-vous aussi oublié votre cœur. Je ne vous aurais pas laissé le reprendre. »6 La métaphore de l’amour se produit. Peu après, nous assistons à cette idéalisation caractéristique de l’amour. « Elle frappe Swann par sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jéthro, qu’on voit dans une fresque de la chapelle Sixtine »7. Odette vient alors incarner à la fois la femme selon le désir et l’objet d’amour. Les deux courants freudiens – tendre et sensuel – vont, dès lors, converger. « Maintenant qu’il connais- sait l’original charnel de la fille de Jéthro, elle devenait un désir qui suppléa désor- mais à celui que le corps d’Odette ne lui avait d’abord pas inspiré. »8 La division subjective de Swann vient au premier plan. Amandine Les chaînes de l’amour et les chaînes signifiantes vont de pair, car « l’amour demande l’amour, dit Lacan. Il ne cesse pas de le demander […] Encore, c’est le nom propre de cette faille d’où dans l’Autre part la demande d’amour »9. L’amour, d’être avant tout demande, implique d’en passer par la parole. Il a quelque chose d’un semblant jeté sur la faille du non-rapport sexuel. Aussi, lorsqu’il prend la parole dans le dispositif analytique, le sujet peut-il tomber sur les « énoncés prescriptifs »10 de son histoire, des énoncés qui conditionnent sa manière propre d’aimer. Comment cela se présente-t-il avec Amandine ? 88 4. Miller J.-A., « La théorie du partenaire », Quarto, n° 77, juillet 2002, p. 9. 5. Proust M., Un amour de Swann, Paris, Flammarion, coll. Garnier-Flammarion, 1987, p. 20. 6. Ibid., p. 54. 7. Ibid., p. 55. 8. Ibid., p. 58. 9. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 11. 10. Miller J.-A., « L’avenir de Mycoplasma laboratorium », Lettre mensuelle, n° 267, avril 2008, p. 15. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France (BnF) - - 194.199.3.13 - 07/07/2020 09:27 - © L'École de la Cause freudienne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France (BnF) - - 194.199.3.13 - 07/07/2020 09:27 - © L'École de la Cause freudienne Patrick Roux « L’amour, c’est le signe qu’on change de discours » Cette patiente se plaint de vivre depuis des années dans le mensonge. Elle n’aime plus son époux, mais ne parvient pas à le quitter. Elle caresse cette pensée, en silence, tout en s’étiolant dans sa vie de femme au foyer. La scansion de la première séance sur le mot partir, qui revenait de façon lancinante, produit un premier changement de discours. Comme un paysage nocturne s’éclaire à la lueur d’un éclair, tout un pan de sa vie sort de l’ombre. À la seconde séance, elle amène un flot de souvenirs infantiles. D’abord, son départ traumatique d’Algérie, alors qu’elle a quatre ans. Ses parents se refusaient à partir, car « c’était tout perdre » ; ils ont tenu jusqu’au moment où, finalement, ils ont dû fuir précipitamment. On lui raconta que la famille partait en vacances. Lors- qu’elle comprit enfin que « là-bas, ce n’est plus chez nous », elle réalisa qu’elle avait laissé sa poupée sur son lit et qu’elle ne la reverrait plus. La souffrance la plongera dans un mutisme de plusieurs mois. L’évocation du déracinement fait surgir l’objet perdu sous les espèces de la poupée laissée dans l’exil. En 1997, au moment de prendre l’avion pour Alger, une crise d’angoisse la terrasse et l’empêche de partir. Contre toute raison, elle se persuade qu’elle a laissé ses enfants seuls à la maison. Elle peut désormais articuler les deux souvenirs, que quarante ans séparent. Le passage au discours hystérique s’opère en révélant sa division, et en ouvrant une chaîne signifiante majeure. Elle consent à ne pas prendre de décision précipitée concernant son couple, et se met au travail de lecture de l’inconscient. Elle interroge un signifiant-maître, partir, et en attend un savoir : $ => S1. Là réside sans doute le nœud de ce qu’elle vient chercher dans l’analyse. Cette négativité que creuse le mot est l’une des facettes de l’objet a. Cet objet dont le manque se renouvelle sans cesse, c’est celui qui pourrait apporter la pleine satisfaction si le rapport sexuel existait. C’est pourquoi il semble toujours se positiver ou être détenu par l’autre, dans l’imaginaire. Pour cette patiente, il est logé dans le souvenir d’un homme qu’elle a aimé éperdument à l’âge de vingt-cinq ans. Peu après qu’elle a appris qu’il était marié, il partit en mission uploads/Litterature/ lcdd-076-0087.pdf

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