Université Rennes 2 Haute-Bretagne École doctorale Humanités et Sciences de l’h

Université Rennes 2 Haute-Bretagne École doctorale Humanités et Sciences de l’homme ERELLIF — EA 3207 Université Catholique de Louvain-la-Neuve École doctorale Norme, cognition et culture Discours de l’émotion, du contrôle au management Contribution à une sociolinguistique de l’efficace Thèse pour l’obtention d’un Doctorat des Universités de Rennes 2 Haute-Bretagne et de Louvain-la-Neuve Sciences du langage Méthodologie des sciences de l’homme présentée par Alban Cornillet sous la direction scientifique de Philippe Blanchet et Guy Jucquois Membres du jury : M. Philippe Blanchet (Professeur, Université Rennes 2 Haute-Bretagne) M. Michel Francard (Professeur, Université de Louvain-la-Neuve), rapporteur M. Guy Jucquois (Professeur émérite, Université de Louvain-la-Neuve) M. Jean-Manuel de Queiroz (Professeur, Université Rennes 2 Haute-Bretagne) M. Didier de Robillard (Professeur, Université François Rabelais de Tours), rapporteur 2005 tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 Note liminaire Quoique cela risque de contrarier nos habitudes de lecture, j’ai choisi, dans un souci de cohérence, de respecter dans mes citations d’auteurs (en particulier de l’époque classique), l’orthographe, la typographie et la langue de l’édition consultée — d’autant que certains des textes cités ne sont accessibles que dans une édition en fac- similé. « Corriger » l’orthographe des auteurs passés et contemporains aurait en effet demandé le choix d’une norme (et alors laquelle ?) — alors à appliquer aux auteurs les plus récents également — pratique normative difficilement conciliable avec mes conceptions sociolinguistiques. En outre, pour les auteurs antérieurs à la fin du XVIIe siècle, c’est-à-dire pour ceux ayant écrit avant la relative stabilisation de l’orthographe, la distinction entre correction typographique et correction orthographique n’aurait pas toujours été aisée, ni non plus facilement consensuelle. Pour les citations en langue anglaise, étant donné leur nombre relativement important, j’ai préféré, là encore, ne pas ajouter à un propos déjà bien assez long leurs traductions en français — ce qui n’aurait d’ailleurs pas été forcément d’une grande utilité pour les lecteurs. Par ailleurs, dans l’étude de corpus présentée au deuxième chapitre, j’ai distingué, par deux typographies différentes, les extraits primordiaux du corpus de ceux qui, tout en étant pertinents étaient plus redondants. Ceci a permis d’indiquer au lecteur l’intégralité du corpus sans recourir à son report en annexe et tout en facilitant sa lecture. Enfin, j’ai choisi d’alterner les postures énonciatives, recherchant par le « nous », à intégrer au maximum le lecteur (et parfois au-delà) dans mon propos et réservant la première personne du singulier pour l’expression de positions exclusivement personnelles. tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 Introduction tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 ANS son essai sur les bouteilles, Vilém Flusser revient sur le sentiment que beaucoup ont selon lequel les boissons dites « nobles » — les alcools par exemple — perdraient de leur noblesse si elles n’étaient pas conditionnées en bouteilles de verre. « Ce sentiment, comme tant de ceux qui naissent dans des régions non pleinement conscientes de l’esprit, on le donne pour rationnel, en prenant par exemple pour argument l’effet des divers matériaux sur les huiles aromatiques. Et comme toujours dans pareil cas, par exemple dans les tentatives de rationalisation de convictions religieuses, d’idéologies politiques, etc., ces arguments peuvent être tout à fait fondés, ils peuvent même se révéler féconds pour la recherche future, et demeurer néanmoins sans aucun rapport avec le sentiment qu’ils cherchent à expliquer. »1 Cette constatation me semble également applicable à bien des questions scientifiques (et tout particulièrement en sciences humaines). Mais l’insatisfaction engendrée par le décalage entre l’essai d’explication (V. Flusser parle en l’occurrence de tentative de rationalisation) et l’objet interrogé, se transforme en embarras face aux difficultés que posent, et spécialement au linguiste, les discours de l’émotion, c’est-à-dire la façon dont nous parlons de l’émotion — l’émotion que nous avons d’abord l’habitude d’opposer à la raison (comme le fait, par exemple, plus ou moins explicitement V. Flusser). C. Kerbrat-Orecchioni souligne, dans sa synthèse sur la place des émotions dans la linguistique du XXe siècle, que « les émotions posent au linguistique de vrais problèmes, et lui lancent un vrai défi, à cause surtout de leur caractère éminemment “slippery” […], c’est-à-dire fuyant et insaisissable : elles lui glissent entre les doigts »2. Et elle assimile ce caractère problématique au fait, en particulier, que nous avons « le sentiment que les émotions sont à la fois dans le langage partout, et nulle part »3. 1 FLUSSER Vilém, Choses et non-choses, Esquisses phénoménologiques, traduit de l’allemand par Jean Mouchard (éd.orig. : 1993), éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 1996, p. 11. 2 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, « Quelle place pour les émotions dans la linguistique du XXe siècle ? Remarques et aperçus », pp. 33-74, in PLANTIN Christian, DOURY Mariane et TRAVERSO Véronique (dirs.), Les Émotions dans les Interactions, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p. 57. 3 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, id. D tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 DISCOURS DE L’ÉMOTION 8 Dire que l’émotion se prête ou se plie difficilement, vis-à-vis du langage, à une entreprise de localisation, c’est pointer deux types d’obstacles : sa rétivité tant à l’identification qu’à l’assignation à un lieu. « Si l’on se situe dans la perspective du discours, cela signifie que l’on doit distinguer émotion éprouvée vs exprimée (celle qui constitue le lieu propre de l’investigation linguistique) vs suscitée (c’est le “pathos” aristotélicien, qui contrairement à l’“ethos”, se localise dans le seul auditeur) […]. »4 Toutefois ce genre de catégorisation me semble trop réductrice. Elle me paraîtrait, d’une part, s’appuyer — quoique de façon implicite, et même suivant un raisonnement que ne reconnaîtrait certainement pas C. Kerbrat-Orecchioni —, sur un schéma de la communication simplifié et réducteur à l’extrême, caricatural même : Émetteur ! Message ! Récepteur émotion éprouvée émotion exprimée émotion suscitée D’autre part (et, comme nous le montrerons, ce deuxième point est intimement lié au précédent), tout en recourant à de telles différenciations, C. Kerbrat-Orecchioni individualise et distingue acteurs et actant engagés dans le phénomène observé, bien qu’elle situe en même temps l’émotion au cœur de la relation, de l’interpersonnel. C. Kerbrat-Orecchioni qui parle d’ailleurs, précisément à propos des émotions, d’une « confusion des mots et des choses »5, interprète, elle, cette dernière comme résultant d’un processus de distinction conceptuelle déficient : « Il est en tout cas certain que la réflexion sur les émotions souffre d’une problématisation insuffisante des relations existant entre les niveaux psychologique (“éprouvés”), cognitif (représentations) et linguistique (dénominations). »6 Je tenterai de montrer, dans l’étude présentée ici, en quoi la « confusion » en question ne résulte pas d’une distinction imparfaite ou incomplète, c’est-à-dire, en somme, qu’elle n’est pas la conséquence d’un travail de purification inachevé, devant être poursuivi ou amélioré. Car en l’occurrence, c’est plutôt l’ambition d’une purification même qui est contestable. C’est le principe de distinction entre le « psychologique », le « cognitif » et le « linguistique » (pour reprendre les termes de C. Kerbrat-Orecchioni) qui devra donc être interrogé, autrement dit, la construction historique de la notion d’individu et du fonctionnement représentationnel du langage qui doit être remise sur le métier : le cognitif ou la représentation comme double7 du monde réel (le dédoublement étant le pendant de la mise à distance du 4 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, ibid., p. 59 (souligné par l’auteur, C. K.-O.). 5 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, ibid., p. 58. 6 KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, id. 7 Il s’agit d’un double à deux titres : en tant que miroir et que substitut. tel-00009356, version 1 - 1 Jun 2005 INTRODUCTION 9 monde par l’individu — ou la séparation de ce dernier en tant qu’entité distincte du monde), et le fonctionnement représentationnel du langage en tant qu’instrument de cette mise à distance ou de ce dédoublement8. En effet, si je propose de nous pencher sur les discours de l’émotion, c’est d’abord parce que cette approche pose, de façon problématique peut-être plus aiguë que toute autre, la question du fonctionnement référentiel du langage et corollairement celle de l’agir (socio)linguistique. H. Parret a lui aussi insisté sur le lien existant entre les deux aspects du problème : « […] une certaine philosophie analytique, à partir du Cercle de Vienne, s’est posé la question de ce qu’il en est de la signification émotive en soi. La signification émotive, opposée à la signification effective (factual), est le type de signification qui échappe au critère de vérification à partir de n’importe quelle évidence empirique : c’est le groupe hétérogène des jugements éthiques, des requêtes, et des énoncés que l’on retrouve en littérature, surtout en poésie. Il est également dit que la fonction émotive est l’expression et l’évocation de sentiments et d’attitudes, opposée à la fonction symbolique ou référentielle qui aboutit à des assertions ayant une valeur de vérité. La fonction émotive n’exprime donc que les sentiments et les attitudes, et aucunement des croyances et des idées. L’opposition cognitif versus émotif joue un grand rôle. Le cognitif équivaut à l’intentionnel, le fait d’avoir un objet, une dénotation. L’émotif, dans cette dichotomie, comporte un élément de sensibilité directe et incarne, en plus, une tendance uploads/Litterature/ tel-00009356.pdf

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