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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2004 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 nov. 2022 04:17 Études françaises (Im)possible autobiographie Vers une lecture derridienne de L’ amour, la fantasia d’Assia Djebar Ching Selao Volume 40, numéro 3, 2004 Le corps des mots. Lectures de Jean Tortel URI : https://id.erudit.org/iderudit/009740ar DOI : https://doi.org/10.7202/009740ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Selao, C. (2004). (Im)possible autobiographie : vers une lecture derridienne de L’amour, la fantasia d’Assia Djebar. Études françaises, 40(3), 129–150. https://doi.org/10.7202/009740ar Résumé de l'article Assia Djebar, qui est l’une des écrivaines les plus connues de la littérature maghrébine actuelle, a exploré de façon exemplaire les difficultés pour une femme algérienne musulmane et, qui plus est, issue de la colonisation française de s’abandonner à l’écriture de soi. Bien que L’amour, la fantasia soit son premier livre dit autobiographique, la lecture ici proposée tente de montrer qu’à l’instar de l’essai autobiographique de Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre, ce « roman » expose davantage une réflexion sur l’impossible autobiographie qu’il n’expose la vie de son auteure. Cet article se penchera sur les différents procédés utilisés par Djebar dans ce récit au croisement de la « vérité » et de la fiction : l’inclusion du discours historique, l’intégration des récits oraux, la mise en scène d’un « Je » pluriel ; autant de procédés impersonnels qui transgressent l’autobiographie au sens restreint de sa définition. En outre, si écrire c’est déjà sortir de soi — « Je est un autre » selon la maxime rimbaldienne —, s’écrire en langue française, pour Djebar, c’est aussi prendre conscience que l’écriture autobiographique ne peut finalement qu’être une mise à nu voilée. (Im)possible autobiographie. Vers une lecture derridienne de L’amour, la fantasia d’Assia Djebar […] écrire pour moi se joue dans un rapport obscur entre le «devoir dire» et le « ne jamais pouvoir dire», ou disons, entre garder trace et affronter la loi de l’«impossibilité de dire», le «devoir taire », le «taire absolument1». Avant la publication de L’amour, la fantasia2, «roman» paru en qui fera d’Assia Djebar un « grand écrivain3 », l’auteure algérienne avait publiquement annoncé qu’elle travaillait sur un livre autobiographique. Sa venue à une écriture autobiographique en français — après quatre romans, deux films et un recueil de nouvelles4 — aura été des plus difficiles, comme elle s’en explique à Marguerite Le Clézio : […] je refusais à la langue française d’entrer dans ma vie, dans mon secret. Ce n’est pas tellement un rapport à l’écriture; c’est un rapport à la langue . Assia Djebar, Ces voix qui m’assiègent… En marge de ma francophonie, Paris/Montréal, Albin Michel/Les Presses de l’Université de Montréal, , p. . Dorénavant désigné à l’aide du sigle (V), suivi du numéro de la page. . Assia Djebar, L’amour, la fantasia, Paris, Albin Michel, []. Dorénavant dési- gné à l’aide du sigle (AF), suivi du numéro de la page. Ce livre constitue le premier volet de son quatuor algérien, suivi de Ombre sultane (Paris, J.-C. Lattès, ), Vaste est la prison (Paris, Albin Michel, ), et clos par Le blanc de l’Algérie (Paris, Albin Michel, ). . Marguerite Le Clézio, « Assia Djebar : Écrire dans la langue adverse », Contemporary French Civilization, vol. , no , (printemps/été), p. . . Les quatre romans, suivis du recueil de nouvelles, sont: La soif, Paris, Julliard, ; Les impatients, Paris, Julliard, ; Les enfants du nouveau monde, Paris, Julliard, , Les alouettes naïves, Paris, Julliard, ; Femmes d’Alger dans leur appartement, Paris, Des Femmes, []. Les deux films réalisés par Djebar s’intitulent La nouba des femmes du mont Chenoua () — produit lors de son silence romanesque et dont les témoignages de femmes des environs de sa ville natale (Cherchell) inspireront L’amour, la fantasia — et La zerda ou les chants de l’oubli (). • , française. J’ai senti celle-ci comme ennemie. Écrire dans cette langue, mais écrire très près de soi, pour ne pas dire de soi-même, avec un arrachement, cela devenait pour moi une entreprise dangereuse5. À cette « ennemie» que représente la langue française s’ajoute une con- trainte qui vient de sa culture maternelle : «J’essaie de comprendre pourquoi je résiste à cette poussée de l’autobiographie. Je résiste peut- être parce que mon éducation de femme arabe est de ne jamais parler de soi […]6». La résistance de Djebar face à l’écriture de soi lui donne un recul lui permettant d’entreprendre une pratique de l’autobiographie qui se situe en marge de sa définition classique. Ernstpeter Ruhe précise que «[l]’entreprise autobiographique — si c’en est une — s’entoure de protections7 ». De fait, Djebar a recours, dans L’amour, la fantasia, à la voix des Algériennes de sa région natale de Chenoua pour se protéger de la hochma — de la «honte» (V, ) — et pour insérer sa voix dans ce livre construit selon les procédés d’une fantasia, ce spectacle de guerre qui, au moment où les cavaliers tirent, entremêle les youyous de femmes, c’est-à-dire les cris de joie et de deuil. Ces youyous, ces instants où la voix de la narratrice s’élève en même temps que celle des autres femmes, se manifestent dans le «roman» par une écriture en italique, par une écri- ture «de l’intime8». Dans ce récit où plusieurs personnages historiques masculins occupent une place importante — puisque Djebar, à la lumière des écrits d’historiens, de soldats et d’artistes français, interprète deux passés (la conquête d’Alger en et la guerre de résistance de -) —, les passages en italique représentent des lieux féminins privilégiés. De l’autobiographie canonique à l’« autre-biographie » Les extraits en écriture italique de L’amour, la fantasia ne sont cependant pas les seuls moments où les voix ensevelies des femmes algériennes se font entendre, dans la mesure où l’expérience militante ou les histoires . Marguerite Le Clézio, loc. cit., p. . . Mildred Mortimer, «Entretien avec Assia Djebar, écrivain algérien», Research in African Literatures, vol. , no , été , p. . . Ernstpeter Ruhe, « Les mots, l’amour, la mort. Les mythomorphoses d’Assia Djebar», dans Alfred Hornung et Ernstpeter Ruhe (dir.), Postcolonialisme et Autobiographie: Albert Memmi, Assia Djebar, Daniel Maximim. Actes du colloque «Postcolonialisme et Autobio- graphie» tenu à Würzburg du au juin , Amsterdam/Atlanta, Rodopi, , p. . . Mildred Mortimer, loc. cit., p. . tragiques vécues par celles-ci sont également évoquées à plusieurs autres endroits, en caractère romain. L’insertion des voix féminines à l’intérieur de ces espaces de combat, de ces espaces dit masculins, suggère ainsi la participation des Algériennes dans la guerre de l’indépen- dance. Si la voix de ces femmes analphabètes facilite l’avancement de Djebar vers le projet autobiographique, son écriture permet, en revan- che, d’inscrire, d’immortaliser la vie de celles-ci. Cette relation entre l’auteure et ses conteuses met l’accent sur la pluralité de l’écriture auto- biographique chez Djebar, qui s’oppose à l’individualisme de l’autobio- graphie traditionnelle. Hédi Abdel-Jaouad a été l’un des premiers à qualifier L’amour, la fantasia d’«autobiographie au pluriel», à mettre en relief le caractère à la fois individuel et collectif de la mémoire convo- quée dans ce livre, ainsi que le lien étroit qui unit là le projet autobiogra- phique (reconstitution d’une vie) à un projet historique (reconstitution d’un passé)9. D’autres critiques, notamment Patricia Geesey, inscrivent leur analyse dans une même perspective. L’expression collective auto- biography qu’elle emploie pour définir ce « roman» emprunte entre autres aux textes féministes de Sidonie Smith, selon lesquels l’écriture autobiographique des femmes — et particulièrement des femmes provenant des pays du tiers-monde ou en voie de développement — repose sur une subjectivité plurielle, une conscience collective10. La parution de L’amour, la fantasia, en , coïncide avec l’intérêt porté à la pratique autobiographique au féminin. En effet, les années marquent un tournant majeur quant à la redéfinition de l’auto- biographie canonisée par Georges Gusdorf, pour qui ce «genre » est inconditionnellement réservé à l’homme blanc occidental11. Comme le souligne Susan Stanford Friedman12, si l’on doit à Gusdorf d’avoir affirmé, dès les années , que les «moi» autobiographiques se cons- truisent à travers le processus d’écriture et ne peuvent par conséquent . Hédi Abdel-Jaouad, « L’amour, la fantasia : Autobiography as Fiction », CELFAN Review, vol. , nos -, -, cité dans Anne Donadey, «“Elle a rallumé le vif du passé”. L’écriture-palimpseste d’Assia Djebar», dans Alfred Hornung et Ernstpeter Ruhe (dir.), Postcolonialisme et Autobiographie: Albert Memmi, Assia Djebar, Daniel Maximim, op. cit., p. . . uploads/Litterature/ le-dit-et-le-non-dit-assia-djebar.pdf
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- Publié le Oct 08, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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