1 Jennifer Tamas Explication de texte. La Fontaine Le Lion et le moucheron, fab
1 Jennifer Tamas Explication de texte. La Fontaine Le Lion et le moucheron, fable 8, livre II Le Lion et le Moucheron "Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre! " C'est en ces mots que le Lion Parlait un jour au Moucheron. L'autre lui déclara la guerre. "Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi Me fasse peur ni me soucie ? Un boeuf est plus puissant que toi : Je le mène à ma fantaisie. " A peine il achevait ces mots Que lui-même il sonna la charge, Fut le Trompette et le Héros. Dans l'abord il se met au large ; Puis prend son temps, fond sur le cou Du Lion, qu'il rend presque fou. Le quadrupède écume, et son oeil étincelle ; Il rugit ; on se cache, on tremble à l'environ ; Et cette alarme universelle Est l'ouvrage d'un Moucheron. Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle : Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau, Tantôt entre au fond du naseau. La rage alors se trouve à son faîte montée. L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir. Le malheureux Lion se déchire lui-même, Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs, Bat l'air, qui n'en peut mais ; et sa fureur extrême Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents. L'insecte du combat se retire avec gloire : Comme il sonna la charge, il sonne la victoire, Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin L'embuscade d'une araignée ; Il y rencontre aussi sa fin. Quelle chose par là nous peut être enseignée ? J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis Les plus à craindre sont souvent les plus petits ; L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire, Qui périt pour la moindre affaire. 2 La déclaration de guerre du moucheron, une parole de prise de pouvoir Dans la fable qui précède un escarbot, animal insignifiant s’il en est, nuit gravement à l’aigle. Ce qui pourrait paraître dérisoire est en réalité chargé d’une signification très forte: l’aigle est le symbole royal par excellence. L’escarbot massacre sa progéniture, ce qui pourrait alarmer les contemporains toujours inquiets de la succession royale et de la bonne santé de leur dauphin. Dans notre fable, on se trouve à nouveau devant un diptyque qui oppose un animal infiniment grand en posture et en stature, à un animal infiniment petit: le lion et le moucheron. Voilà donc deux petits insectes ridicules (L’escarbot puis le moucheron) capables de réduire à néant l’avenir d’un roi (L’aigle puis le lion). Ici, la symétrie du couple est accentuée par l’homéotéleute en [on]: lion / moucheron. Ce titre à valeur programmatique a en réalité une portée déceptive: ce n’est pas le roi des animaux qui sortira victorieux du combat. Si on transpose ce diptyque à un autre niveau de lecture, on peut supposer que le moucheron figurerait La Fontaine, tandis que le lion serait le symbole royal, c’est-à-dire le roi, ou plutôt le dauphin du roi à qui sont adressées les fables. Le poème pourrait être lu comme un message politique, ce qui est souvent le cas pour les Fables de La Fontaine. Notre fable en particulier poserait la question du pouvoir: comment gouverner, comment est-il bon de régner sur le royaume. Le petit serait alors La Fontaine, moucheron qui titillerait la doxa et les préjugés en agaçant et en secouant les idées reçues du roi. En réalité, la fable est problématique puisque le temps fort du poème repose sur une parole polémique: une déclaration de guerre. En effet, c’est bien la déclaration de guerre du moucheron qui a le pouvoir de renverser le royaume et de faire naître un nouvel ordre. Sa victoire sur le lion crée une nouvelle réalité. La fable de La Fontaine tend à montrer que celui qui adopte la bonne parole, c’est-à-dire la parole juste et argumentée, est celui qui détiendra le pouvoir. Ainsi, la parole prétentieuse, la parole vaine, la parole méprisante sont condamnées et destituent le locuteur de tout pouvoir. Gouverner est avant tout une manière de parler. De bien parler. La fable donne à entendre un feuilleté de voix: on y écoute véritablement les paroles s’articuler tantôt sur le mode épique, tantôt de façon comique. Le style héroï-comique est problématique car il désamorce la victoire du moucheron et préfigure sa fin. Toute victoire est fragile dès lors qu’elle se paie de mots. Or c’est bien des mots dont il s’agit et surtout du pouvoir de la parole. C’est donc pour illustrer cette prise de pouvoir du moucheron qui constitue avant tout une prise de parole, que nous étudierons cette fable selon le déroulement de la parole, marqué par quatre temps forts: 3 -des vers 1 à 3: La mise à mort langagière, ou la parole du lion -des vers 4 à 14: La déclaration de guerre du moucheron, ou la prise du pouvoir -des vers 15 à 34: La défaite du langage, ou l’anéantissement du lion -des vers 35 à 39: La morale ou la parole riche d’enseignements. Premier moment: vers 1 à 3: La mise à mort langagière, ou la parole du lion D’emblée la fable débute par une phrase au discours direct, ce qui est rare pour une fable. L’habitude veut que le conteur commence par “planter” le décor, c’est-à-dire par poser le récit cadre en multipliant les verbes au passé simple et à l’imparfait. Rien de tel ici puisque le discours direct donne à entendre la parole du lion qui est l’animal qui détient par essence la parole du pouvoir. C’est bien dans cet ordre d’idées que se situe le lion qui utilise l’impératif, mode de la parole factitive par essence. Le lion, par ce choix discursif, marque son pouvoir. L’importance de son statut est d’ailleurs soulignée par la diérèse li/on qui doit être faite chaque fois que ce substantif apparaît dans la fable. Le lion imagine qu’il détient une parole agissante. Son pouvoir de supériorité se lit à travers la parole de bannissement (Va-t’en), ainsi qu’à travers les insultes exprimées de manière graduelle: “chétif insecte”, 4 vers, puis “excrément de la terre”, 6 vers. En réalité cette parole est plus qu’une insulte. Elle est véritablement une mise à mort. Pour le lion, le moucheron n’est toléré dans le royaume que sous forme d’excrément, c’est-à-dire de fumier de la terre. Le lion s’adresse au moucheron comme à un membre du Tiers État dont la fonction serait de travailler la terre. Mais le lion confond le nom et la fonction. Il n’appelle pas le moucheron par son nom, mais il le désigne par sa fonction: le moucheron sert de fumier à la terre. Il ne peut être toléré dans le royaume que sous cette forme. Le lion se livre ainsi à une mise à mort langagière du moucheron, langage qui devrait normalement préluder aux actes, s’il l’on se fie à la toute puissance verbale du roi des animaux. Les vers 2 et 3 insistent d’ailleurs sur le pouvoir de cette parole par le conteur. Le décrochage énonciatif (on passe de la parole du lion à la parole du poète) est mis en valeur par le passage à l’octosyllabe. Le conteur plante enfin le décor: passé simple, indice temporel (“un jour”). Son intervention en réalité sert surtout à souligner la parole du lion, comme le montrent deux indices: d’une part le déictique “en CES mots”, et d’autre part le champ lexical de la parole (le substantif “mot” et le verbe “parler”). Ce dispositif renvoie à la parole articulée du lion 4 qui demande le bannissement voire la mort du moucheron. Que se passe-t-il en réalité? En dépit du dispositif discursif imparable du lion pour déployer une parole agissante (discours direct, impératif, insulte), aucune action ne suit son dire. Non seulement le moucheron ne s’en va pas, mais en plus il prend la parole. L’antagonisme qui oppose les deux protagonistes se lit à travers la rime moucheron et lion (vers 2 et 3). C’est au tour du moucheron de déployer sa parole. Deuxième moment: La déclaration de guerre ou la prise du pouvoir La déclaration de guerre n’est pas donnée à entendre directement mais cette mise à distance sert à souligner une parole qui s’exprime en bonne et due forme. Contrairement à l’insulte, qui représente une parole gratuite, le moucheron choisit une parole qui obéit à un code. La déclaration de guerre est précisément une parole ritualisée puisqu’un avertissement prélude à l’action. Les deux points en hauteur du vers 4 nous donnent à entendre la rhétorique du moucheron qui se distingue de celle du lion par la logique et l’argumentation mises en place. Première différence, le moucheron s’adresse au lion en le considérant comme un égal (cf. les marques de deuxième personne: tu, ton, toi), capable de réfléchir (cf. le verbe de pensée au vers 5). Deuxième différence, le moucheron s’adresse à une personne dont il ne confond pas l’être et le titre. uploads/Litterature/ le-lion-et-le-moucheron-explication 1 .pdf
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- Publié le Aoû 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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