LE MANTEAU DE GOGOL Conférence donnée par Nadine SORET en mars 2005 à St Quenti

LE MANTEAU DE GOGOL Conférence donnée par Nadine SORET en mars 2005 à St Quentin (Aisne) Introduction De nombreux spécialistes de la littérature russe, tels que D. S. Mirsky, dans son Histoire de la littérature russe parue aux éd. Fayard en 1969, considèrent que Gogol est l’écrivain qui a marqué le plus grand tournant dans la littérature de son pays. On peut même considérer qu’avec l’apparition de ce grand génie de la littérature, c’est la naissance même de l’écriture romanesque qui voit le jour en Russie : on n’écrira plus jamais après Gogol comme on écrivait avant lui. Vers 1830 en effet, Gogol, sur l’impulsion de son ami Pouchkine, se lance dans cette entreprise nouvelle (et complètement révolutionnaire pour son époque) qui consiste à écrire en prose, alors que la littérature classique vient de consacrer l’âge d’or de la poésie avec de grands auteurs tels que Lermontov, par exemple. Pouchkine lui-même, en rédigeant cette œuvre romanesque curieuse et originale qu’est Eugène Onéguine, avait cependant choisi la forme du vers. On peut ainsi considérer à juste titre que Gogol a été le précurseur de tout un courant de romanciers, naturalistes et réalistes : Dostoievsky, Tourgueniev, Tolstoï, pour ne citer que les plus célèbres. Avant d’entrer plus profondément dans le sujet qui nous préoccupe ce soir, à savoir la nouvelle intitulée Le Manteau, il convient me semble-t-il de vous donner au préalable quelques renseignements sur l’auteur, qui pourront s’avérer fort utiles pour apporter un éclairage instructif au texte que nous allons évoquer. La vie de Gogol Nicolas Vassiliévitch Gogol -Yanovski est né le 19 mars 1809 à Sorotchintsy, dans la province de Poltava, d’une famille issue de la noblesse cosaque ukrainienne. Son père, petit gentilhomme campagnard, compose en amateur des pièces de théâtre en ukrainien. En 1820, le jeune Gogol entre dans une école secondaire de province où il fera ses études jusqu’en 1828. C’est là qu’il se met à écrire. Le jeune homme n’est pas très apprécié par la majorité de ses camarades. Cependant, il conservera avec deux ou trois d’entre eux une amitié durable. De caractère sombre et secret, il possède en outre une timidité maladive ainsi qu’une ambition sans borne. Il a déjà, à cette époque, un étonnant talent de mime (qui fera de lui plus tard une lecteur incomparable de ses propres œuvres). En 1828, Gogol arrive à St Petersbourg rempli d’espoirs peu définis, mais ambitieux. Il rêve de gloire littéraire, et publie à ses frais un poème, qui est loin d’être sa plus grande œuvre, poème qu’il reconnaîtra plus tard comme étant « faible et puéril ».Ecrit sous un pseudonyme, le poème est tourné en dérision dans plusieurs revues littéraires. Gogol décide de racheter tous les exemplaires et les détruit. Déçu dans ses rêves de gloire, Gogol entre alors au gouvernement, employé successivement (ceci est important) au ministère de l’Intérieur, dans le département des Edifices Publics, puis au ministère de la Cour (département des Apanages). Le jeune fonctionnaire espère devenir grand administrateur. Dans le même temps, Gogol commence à composer : une revue publie sa première nouvelle ukrainienne (en prose) : La Nuit de la St Jean. Il tente également, mais sans succès, de se faire admettre comme acteur des Théâtres Impériaux, et établit des contacts avec « l’aristocratie littéraire pétersbourgeoise ». On le présente au grand écrivain Pouchkine, qui l’encourage à écrire. Gogol prend confiance en lui, et devient très sûr de lui-même. Ses nouvelles inspirées du folklore ukrainien sous le titre Veillées du hameau de Dikanka sont publiées en deux volumes successivement en 1831 et 1832, et connaissent un vrai succès. Il publie également, en 1835, deux autres volumes comprenant, entre autres, Tarass Boulba ainsi que plusieurs textes regroupés sous le titre Arabesques dont font partie La Perspective Nevski, Les Mémoires d’un fou, ainsi que la premières esquisse de la nouvelle intitulée Le Portrait. Après un échec cuisant à l’Université de Pétersbourg, où il a accepté une chaire de professeur d’histoire alors qu’il n’avait aucune compétence particulière pour cela, Gogol finit par démissionner, peu à peu abandonné et même tourné en dérision par les étudiants. Cependant l’écrivain est toujours encouragé par les lettrés de St Pétersbourg, et notamment par Pouchkine. Les quatre années qui s’écoulent entre 1832 et 1836 sont passées au contact étroit du célèbre écrivain. A Moscou, Gogol est désormais adulé et son talent reconnu spécialement par les slavophiles. Le 19 avril 1836 a lieu la première représentation de sa comédie Le Révizor, qui contient une satire violente de la bureaucratie provinciale russe (thème que l’on retrouvera dans Le Manteau ). Pour soustraire sa pièce à la censure, Gogol avait obtenu de ses amis qu’ils intercèdent directement auprès du tsar Nicolas 1er. Portrait du tsar Nicolas 1er Celui-ci s’était fait lire la pièce et avait donné l’ordre de la monter sans attendre le visa du censeur. Cette première représentation du Révizor, qui a lieu en présence du tsar, est saluée à la fois par des louanges enthousiastes et par des attaques virulentes : d’un côté, les journalistes de St Pétersbourg, porte-paroles des milieux officiels, soulèvent un tollé général contre l’auteur ; de l’autre, les aristocrates et les idéalistes soviétiques sont émerveillées devant la portée de la pièce, qu’ils considèrent non seulement comme une véritable œuvre d’art, mais également comme un grand événement d’ordre moral et social, apportant un message de régénérescence face aux forces ténébreuses de la société. Deux mois après la première représentation, Gogol quitte St Pétersbourg et part pour l’étranger, persuadé que sa vocation est de se rendre utile à son pays en mettant à profit la puissance de son génie créateur. De 1836 à 1842, soit pendant plus de douze ans, Gogol vit à l’étranger (à Rome en particulier) et ne se rend en Russie que pour de brefs séjours. Très affecté par la mort de Pouchkine, en 1837 : « Je n’entreprenais rien sans son conseil…Je n’ai pas écrit une ligne sans qu’il fût devant mes yeux… J’ai le devoir de mener à bien le grand ouvrage qu’il m’a fait jurer d’écrire, dont la pensée est son œuvre », écrira-t-il à des amis. Ce grand projet, c’est la rédaction des Ames mortes, projet qui va l’occuper jusqu’à sa mort, et dont une partie seulement sera publiée, puisque Gogol détruira lui-même la suite avant de disparaître. Parallèlement à ce « Grand Œuvre », Gogol reprend et réécrit à plusieurs reprises ses textes précédents et rédige, en 1840, la première version du Manteau. A partir de 1841, alors qu’il est à l’apogée du succès (une nouvelle édition de ses œuvres antérieures, publiée en 4 volumes – dont fait partie le texte inédit du Manteau -, est accueillie avec enthousiasme dans tous les milieux importants), commence, dans le même temps, un lent et silencieux martyre volontaire. Gogol connaît une exaltation créatrice qui lui donne foi en sa « mission », alternant périodes de découragement et périodes d’euphorie. Ainsi écrit-il, en 1841 : « Une création étonnante s’accomplit dans mon âme…Ici se manifeste à l’évidence la Sainte Volonté de Dieu : pareille inspiration ne vient pas de l’homme…» Gogol voyage à travers l’Europe (Italie, Autriche, Allemagne…), tentant de convaincre ceux qu’il rencontre ou auxquels il écrit du bien fondé de sa démarche spirituelle. Ceci lui vaut de nombreux critiques et sarcasmes. Ses prises de position réactionnaires et même obscurantistes contre les idées nouvelles ne tardent pas à faire scandale. En 1845, paraissent à Paris les Nouvelles russes par Nicolas Gogol , traduites par Louis Viardot et Tourgueniev. Sainte-Beuve en fait une élogieuse critique dans la Revue des Deux Mondes. Entre mars et juin de cette même année 1845, Gogol connaît une grave crise de dépression nerveuse, qui lui fait écrire, dans son Testament : « Qu’on ne m’élève pas de monument(…) Son vœu ne sera pas respecté : Buste de Gogol Ce monument érigé par Staline à Moscou pour le centenaire de la mort de l’écrivain le montre de haute taille, serein et souriant. « Le grand artiste russe du verbe » est debout, un livre à la main, comme s’il saluait l’aube resplendissante d’un avenir meilleur. A la fin du mois de janvier 1848, Gogol part en pèlerinage en Terre Sainte. A son retour, il continue à écrire (la suite des Ames mortes), est hébergé à plusieurs reprises chez des amis ( le comte Tolstoï, Mme Smirnov, les Aksakov…), puis choisit de renoncer à la vie dans des conditions drastiques : jeûnes, prières, offices religieux de jour et de nuit. Après avoir essuyé les critiques d’un prêtre sur la deuxième partie des Ames mortes qu’il avait réécrite, il jette son travail au feu. Il meurt en février 1852 ; une foule considérable accompagne sa dépouille. Sa mort prématurée, survenue à l’âge de 42 ans, peu après qu’il ait brûlé les manuscrits censés fournir, selon lui, la clé de l’énigme de son existence, peut être considérée comme une forme originale de suicide, étrange et symbolique. En 1852, les autorités impériales arrêtent la publication des Œuvres de Gogol et le nom même de Gogol uploads/Litterature/ le-manteau-de-gogol.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager