Austin Gill Le symbole du miroir dans l'œuvre de Mallarmé In: Cahiers de l'Asso
Austin Gill Le symbole du miroir dans l'œuvre de Mallarmé In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 159-181. Citer ce document / Cite this document : Gill Austin. Le symbole du miroir dans l'œuvre de Mallarmé. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 159-181. doi : 10.3406/caief.1959.2145 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1959_num_11_1_2145 LE SYMBOLE DU MIROIR DANS L'ŒUVRE DE MALLARMÉ Communication de M. Austin GILL (Magdalen College, Oxford) au Xe Congrès de l'Association, le 22 juillet 1958 Je voudrais proposer à votre attention une seule des fonctions du miroir dans le symbolisme de Mallarmé. On voit assez souvent paraître dans ses écrits, généra lement sans se montrer entièrement et en changeant progressivement de sens, une certaine image qu'on pourr ait appeler « Le poète et son miroir ». En examinant quelques-unes de ses apparitions, je tâcherai de mont rer que cette image nous permet, sinon de suivre les transformations successives de la poétique de Mallarmé (ce serait trop dire), tout au moins de reconnaître les phases les plus importantes de son ambition de poète. Je ne tenterai pas de faire un exposé systématique ; je n'oublierai pas la déclaration qu'on peut lire dans une lettre adressée par Mallarmé (le 17 août 1898) à un journal qui demandait au poète, pour ses abonnés, « une pensée » : Jamais pensée ne se présente à moi, détachée, je n'en ai pas de . cette sorte et reste ici dans l'embarras ; les miennes formant le trait, musicalement placées, d'un ensemble et, à s'isoler, je les sens perdre jusqu'à leur vérité et sonner faux. 160 AUSTIN GILL Nous voilà avertis. L'image que malgré cet avertissement je voudrais examiner avec vous représente la situation qui existe, selon Mallarmé, entre le poète, son poème, et le lecteur. Le poète apparaît comme celui qui montre, le lecteur regarde ce qui est montré, et ce qui est montré est une certaine image, que Ton voit bien entendu dans un cer tain miroir. Voilà le schéma de notre image. Nous la chercherons dans deux parties de l'œuvre du poète, très différentes, et assez éloignées dans le temps l'une de l'autre. D'abord nous essayerons de discerner le sens de cette image à trois moments successifs de ce qu'on peut appeler la belle époque ou (si l'on préfère) la période de formation : le moment des Fenêtres (1863), le moment de la Scène d'Hérodiade (1864-1869), le moment d'Igitur (disons 1870 environ). Ensuite, j'en signalerai quelques reflets, évanescents mais significatifs, dans les œuvres critiques de la maturité, à partir de 1885 environ. L'intérêt pour notre sujet du poème de 1863, Les Fenêtres, est évident : Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées D'où l'on tourne l'épaule à la vie, et, béni, Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées, Que dore le matin chaste de l'Infini Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j'aime — Que la vitre soit l'art, soit la mysticité — A renaître, portant mon rêve en diadème, Au ciel antérieur où fleurit la Beauté ! On a souvent commenté ces vers, et on n'a pas man qué d'observer que la croisée d'où je tourne l'épaule à la vie est aussi un miroir qui me renvoie une image idéale de moi, d'un moi non plus exilé dans une réalité écœurante, mais rapatrié au paradis, que ce paradis soit celui que promet la religion ou celui que révèle l'art. Nous laisserons de côté la religion ; la couronne mys tique n'intéresse pas notre sujet. Mais l'autre diadème, le rêve poétique, l'intéresse directement. Celui qui le porte est en effet un des personnages de notre image. C'est le lecteur. Le lecteur, remarquons-le bien, plutôt que le poète. Car si en un sens celui qui dans Les Fe- AUSTIN GILL 161 net res dit « je » est le poète, il joue dans les strophes qui retiennent notre attention un rôle tout passif. Le don de rêver lui ouvre ici les délices de la lecture. Il lit les vers d'un autre poète, et les lit poétiquement : il est le parfait lecteur. Cette expérience dans laquelle le lecteur trouve dans les vers qu'il lit une image de sa propre nature poétique, Mallarmé Га décrite dans le poème en prose La Symphonie littéraire, qui est de 1864. Là, les vers qu'il lit, qui sont des vers de Gautier, éveillent toutes les facultés poétiques de son âme, de sorte que l'on peut dire que c'est l'âme poétique du lecteur qui se mire dans les vers du poète : Tout mon être spirituel, — - le trésor profond des corres pondances, l'accord intime des couleurs, le souvenir du rythme antérieur, et la science mystérieuse du Verbe, — est requis, et tout entier s'émeut, sous l'action de la rare poésie que j'invoque. Tandis que la poésie de Baudelaire lui ouvre une vision de ciel chrétien lointain et inaccessible, celle de « l'impeccable artiste » Gautier le fait vivre (dit-il) dans la Beauté. Telle est la vertu de ce miroir que ce poète tend à son lecteur. Le miroir-fenêtre de l'art, dans Les Fenêtres et dans La Symphonie littéraire, nous met donc d'emblée au oœur de notre sujet. Les raisons pour lesquelles je tiens à rappeler maintenant le thème du sonnet Le Pitre châtié sont moins apparentes. Dans ce poème le héros ne se regarde pas dans le miroir de l'art ; au contraire, la fenêtre qu'il enjambe le fait passer de l'art à la réal ité. Néanmoins, le pitre nous intéresse, car c'est notre deuxième personnage, le poète, le poète en tant qu'art iste, montreur de phénomènes et surtout montreur de la Beauté, comme le héros du Phénomène futur et celui de La Déclaration foraine, et même un peu comme « l'opérateur » dans cette étrange mise en scène du « Livre » que nous a révélée le manuscrit étudié par M. Jacques Schérer. Le pitre de la Muse, ici infidèle, figure bien le poète artiste, le grimeur ou attifeur de sa propre âme, qui est aussi la Muse. C'est ce qui apparaît, plus nettement que dans la version finale pu bliée par Mallarmé, dans un état antérieur du poème : 11 162 AUSTIN GILL J'ai, Muse, — moi ton pitre — enjambé la fenêtre Et fui notre baraque où fument tes quinquets. Ne sachant pas, hélas ! quand s'en allait sur l'eau Le suif de mes cheveux et le fard de ma peau, Muse, que cette crasse était tout le génie ! Voilà donc, tels qu'on les discerne au début, pas encore tout à fait nets, mais facilement reconnaissables, les trois éléments de notre fiction : le lecteur, le poème- miroir, le poète. Ces deux poèmes écrits à l'âge de vingt et un et de vingt-deux ans ouvrent, nous le verrons plus tard, une perspective où viendront se placer non seul ement la Scène à'Hêrodiade mais aussi, au-delà d'elle, tous les moments de la pensée de Mallarmé que le sym bole du miroir désignera à notre attention. Cette affirmation peut sembler surprenante, mais il ne faut pas oublier que la pensée de Mallarmé évolue selon un approfondissement progressif, ou une prise de cons cience de plus en plus nette, d'intuitions qui sont déjà présentes dans les réflexions de cette première époque, l'époque de Londres et de Tournon. Cette particular ité de son esprit (signalée avec beaucoup de perspicac ité par Lefébure dans une lettre datée du 15 avril 1864), le poète lui-même Га commentée d'une façon fort instructive. Sur une de ces petites fiches sur le squelles ses amis le voyaient prendre des notes mystér ieuses, il a justifié par le raisonnement suivant son intention de reprendre, pour les compléter, des poèmes commencés bien des années auparavant... : dangereux de compléter un poème de jeunesse, mais il était suffisamment en avance sur moi quand je le fis pour qu'aujourd'hui je n'aie pas trop à revenir en arrière. C'est parce que le processus essentiel de l'évolution intellectuelle de Mallarmé est ce creusement obstiné de ses pensées, que la perspective ouverte par Les Fenêtres et Le Pitre châtié peut nous conduire si loin dans l'œuvre de la maturité. Retenons surtout, de ces pre mières expressions de la pensée qui nous intéresse, la séparation qui est faite déjà entre le rêveur qui regarde dans le miroir et l'artiste qui tend ce miroir, séparation AUSTIN GILL 163 que l'on retrouve d'ailleurs dans les conseils que Mal larmé donne à ses amis poètes vers la même époque : Ce que je te dis là (écrit-il à Cazalis le 25 avril 1864), s'applique à l'artiste et nullement au rêveur qui, chez toi, est tout à fait supérieur. et encore, au même, en avril 1865 : Quelle étude du son et de la couleur des mots, musique et peinture par lesquelles devra passer ta pensée, tant belle soit-elle, pour être poétique ! Or cette même distinction, devenue une opposition, est un des thèmes de la Scène d'Hérodiade. Je dis bien un des thèmes, parce que ce poème est le « point de uploads/Litterature/ le-miroir-chez-mallarme.pdf
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- Publié le Aoû 12, 2021
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