RECH C ES AUGUST! IEN ES VOLUME XXIV ÉTUDES AUGUSTINIENNES 3, rue de l' Abbaye

RECH C ES AUGUST! IEN ES VOLUME XXIV ÉTUDES AUGUSTINIENNES 3, rue de l' Abbaye 75006 PARIS 1989 ISBN: 2-85121-098-X Le souffle et l'Esprit Exégèses patristiques de l'insufflation originelle de Gn 2, 7 en lien avec celle de Jn 20, 22 Le deuxième récit de la création de l'homme dans la Genèse décrit le façonne- ment d'Adam, non par la seule parole divine comme en Gn 1, 26, mais par des gestes corporels: Dieu pétrit la glaise de ses propres mains, puis souffle sur la face d'Adam une haleine de vie. « 1<ai Èvi::cpuOT]cre:v dç TÔ rrp6crwrrov <XÙToü 1TVof}v ~wt;ç, KQ'.l èytvi::TO ô av8pwrroç i::iç qiuxfiv ~wcrav )), ( Gn 2, 7). Le verbe grec « ȵcpucruw » employé dans la Septante a un sens très concret: «souffler dans», «gonfler »1• Il est utilisé onze fois par la Septante, mais n'apparaît qu'une seule fois dans le Nouveau Testament. Au chapitre 20 de l'évangile de Jean, verset 22, le Christ souffle sur ses apôtres en leur disant: «Recevez l'Esprit Saint». « Kai TofiTo i::irrwv èvi::cpuOTJcri::v Kai Myi::1 aùToîç, AuJ3i::Ti:: 1tVe:fiµa &y10v » (ln 20, 22). L'étude de la péricope de ln 20, 22 montre qu'elle contient des expressions uniques: « Èvi::cpuOT]cri::v » est un hapax dans le Nouveau Testament et l'Esprit Saint est appelé« 1tVëܵa &ytov »et non« TÔ 1TV€Üµa »,comme dans le reste de l'évangile johannique, ce qui prouverait qu'il s'agit d'un élément de la tradition primitive. Il est possible que ce geste de Jésus doive être compris en lien avec une tradition araméenne que reflètent les targums palestiniens de Gn 2, 7, et qui interprètent le souffle de Dieu comme le don de la parole2• Plus tard, la mention de ces deux insufflations divines, aux origines et. à : l'accomplissement des temps, et l'utilisation commune de ce verbe « ȵcpucruw » . devaient inciter les Pères de l'Église à rapprocher ces deux citations. Une telle comparaison correspond en effet à la règle exégétique la plus commune des Pères, qui consiste à expliquer l'Ancien Testament par le Nouveau, en voyant dans le premier une préfiguration du second. 1. M. ALEXANDRE, Le commencement du livre. Genèse l- V. La version grecque de la Septante et sa réception. Paris, 1988, p. 238. L'auteur cite, pour illustrer ce sens, le passage où Celse raille ce Dieu qui gonfle l'homme comme une outre. Cf. ORIGÈNE, Contre Celse IV, 37. 2. M. WOJCIECHOWSKI, « Le don de !'Esprit Saint dans ln 20, 22 selon TG. Gn 2, 7 », New Testament studies 33, 2, 1987, p. 289-292 cite le Targum du Pentateuquet. I La Genèse, R. LE DÉAUT, SC 245, p. 85 : « Alors Yahvé Eloïm créa Adam de la poussière du sol ; il souffla dans ses narines une haleine de vie et Adam devint un être vivant doué de parole». 4 MARIE-ODILE BOULNOIS C'est d'ailleurs la démarche qu'ont suivie certains exégètes modernes familiers de la patristique. Lorsque J. Lebreton analyse les citations les plus significatives de la doctrine trinitaire de l'évangile johannique, il commente ainsi le verset de Jn 20, 22: «En reprenant les mots mêmes de la Genèse, saint Jean a rappelé expressément la création du premier homme et le souffle de vie que Yahvé souffla sur lui » 3• De manière aussi nette, L. Bouyer compare ces deux passages bibliques, considérant qu'il s'agit là d'une correspondance riche de sens. « Le sceau final de 1' enseignement johaniiique sur ce point peut être considéré comme étant la description qu'il nous fait du Ressuscité insufflant à ses disciples l'Esprit divin, comme Dieu, au commencement, d'après le récit de Genèse 2, avait insufflé la vie par son Esprit dans le corps du premier homme » 4• Nous nous proposons dans cet article de mener une enquête chez quelques Pères pour réfléchir au sens et à l'enjeu d'un tel rapprochement. Deux questions guideront notre étude : 1. Les Pères ont-ils tous comparé ces deux insufflations, et sinon, quelle raison les en a empêchés? 2. Quel est le contenu de l'insufflation divine dans la Genèse? Est-il de même nature que ce qui est insufflé par le Christ sur les disciples après sa résurrection? Le texte biblique peut lui-même prêter à une double interprétation. De fait, si le même verbe « ȵcpucraw » est employé dans 1' Ancien et le Nouveau Testament, le complément de ce verbe est « rrvofiv ~wfjç »dans la Septante, et« rrvi::ûµa aytov »dans l'évangile johannique. On peut donc faire deux lectures différentes de ces textes. Ou bien on rapproche les deux citations, en s'appuyant sur la répétition du verbe et sur le rapport étymologique qui relie (( rrvon )) et (( rrvciiµa )) - rapport qui se justifie par les emplois parallèles que la Septante elle-même fait de ces deux termes5• Ou bien l'on met en avant la distinction des deux termes (( rrvon)) et (( rrvi::ûµa)) pour conclure à la différence des insufflations, voire à leur opposition, et l'on peut refuser de ce fait le parallélisme de Gn 2, 7 et Jn 20, 22. Nous nous bornerons, dans cette étude, à analyser l'interprétation que les Pères donnent du souffle de la Genèse et ne mentionnerons celle de Jn 20, 22 que dans la mesure où ce verset est sollicité par les mêmes textes patristiques. En effet, les diverses exégèses de l'insufflation du Christ sur les apôtres ont déjà été étudiées dans un article très précis de G. M. de Durand6• En revanche la question que nous soulevons ne nous semble pas avoir été encore traitée par une étude parcourant 3. J. LEBRETON, Histoire du dogme de la Trinité, t. I: Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 4• édition, 1919, p. 493. 4. L. BoUYER, Le Consolateur. Esprit et vie de grâce, Paris, 1980, p. 52. 5. M. ALEXANDRE, op. cit., p. 239 donne les exemples suivants: Job 27, 3; 32, 8; 33, 4; Is42, 5; 57, 16. 6. G.M. DE DURAND, «Pentecôte johannique et pentecôte lucanienne chez certains Pères», Bulletin de littérature ecclésiastique, 72, 1978, pp. 97-126. Les Pères ne sont pas unanimes pour voir dans ce passage johannique le don de !'Esprit Saint. Certains le réservent au moment de la pentecôte lucanienne (Ac 2, 3) et interprètent Jn 20, 22 ou comme la promesse d'un don à venir, ou comme un don inférieur en qualité, ou comme la grâce de remettre les péchés. LE SOUFFLE ET L'ESPRIT 5 les différentes œuvres patristiques. De manière générale, le verset de Gn. 2, 7 a peu attiré l'attention des patrologues, alors que l'interprétation de cette première insufflation est capitale pour l'élaboration d'une anthropologie, puisqu'elle met en cause l'identification du don reçu par l'homme à la création. L'analyse des textes montre que les auteurs sont loin d'être unanimes et que ce verset a suscité de réelles controverses au sein de l'Église. Pour faire apparaître ces oppositions, parfois très marquées entre les choix herméneutiques des Pères, nous avons réparti en deux groupes distincts les auteurs étudiés. Néanmoins, vue la subtilité des solutions apportées, cette distinction est parfois trop tranchée pour certains auteurs ; aussi notre classification n'a-t-elle qu'une valeur relative, car certains textes complexes ou ambigüs ne se laissent pas réduire à une simple opposition. Nous consacrerons la première partie de cette étude à l'exégèse la plus communément adoptée par les Pères: la « nvof) » que Dieu a insufflée dans l'homme est le don de l'âme. Dans une deuxième partie, nous verrons que certains Pères, s'appuyant en particulier sur le parallèle de Gn 2, 7 et Jn 20, 22, y voient le don de l'Esprit Saint. I - L'INSUFFLATION DMNE, DON DE L'ÂME La première interprétation, qui identifie la « nvof) » à l'âme, découle de la conception anthropologique que les Pères ont en partie héritée de la philosophie grecque : l'homme est constitué d'un corps et d'une âme. Si le premier élément est en effet créé par le modelage de la terre, il est naturel de voir dans l'insufflation qui le suit la création de l'âme humaine. Irénée Irénée est l'un des premiers Pères qui aient entrepris de donner une analyse détaillée du verset de Gn 2, 7. Or si ce texte est maintes fois sollicité dans l'Adversus Haereses, il n'est jamais rapproché du texte de Jn 20, 22 qu'Irénée ne cite pas une seule fois 7• Il est donc intéressant de constater que cette comparaison rencontrée chez certains exégètes modernes n'a pas paru s'imposer aux yeux d'Irénée8• Cette absence s'explique aisément par le choix herméneutique d'Irénée. 7. Si l'on excepte un fragment conservé en annénien (C.P.G. I, 1317, fr. 3), en syriaque (C.P.G. 1, 1316, fr. 29) et en grec (fr. 19), cité par Biblia Patristica, mais que B. REYNDERS considère comme étant d'authenticité douteuse. ( Vocabulaire de la «Démonstration » et des fragments de saint Irénée, Chevetogne, 1958, p. 66). En tout état de cause, la citation de Jn 20, 22 n'y est pas mise en relation avec Gn 2, 7, ce qui nous intéresse ici. Cf. H. JORDAN, Armenische Irenaeus Fragmente, Texte und Untersuchungen, 36, 3, 1913, uploads/Litterature/ recherches-augustiniennes-volume-xxiv-1989-pdf.pdf

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