Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité Le « Nombre géomé
Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité Le « Nombre géométrique » de Platon. Essai d'interprétation Georges J. Kayas Citer ce document / Cite this document : Kayas Georges J. Le « Nombre géométrique » de Platon. Essai d'interprétation. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°31, décembre 1972. pp. 431-468; doi : https://doi.org/10.3406/bude.1972.3491 https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1972_num_31_4_3491 Fichier pdf généré le 11/05/2018 Le « Nombre Géométrique » de Platon. Essai d'interprétation J'ai toujours reculé devant la difficulté excessive — l'immense travail de se refaire une conception si claire de la littérature qu'elle permît d'en raisonner. Paul Valéry. Introduction Après le grand nombre de travaux consacrés, depuis l'antiquité à nos jours, à l'interprétation du Nombre géométrique, dont Platon parle dans la République (546 B), ce problème épineux ne semble pas avoir reçu une réponse satisfaisante. Bien au contraire, il apparaît dans la littérature accumulée (du moins à partir de la Renaissance) que cette recherche s'est engagée (pour ne pas dire embourbée) dans une sorte d'impasse, plus irritante que satisfaisante pour tout esprit épris de clarté et préférant les explications rationnelles aux réalités métaphysiques. La tendance générale semble, en effet, s'orienter vers une mystique des nombres qui n'a rien à envier aux premiers pythagoriciens. On peut en voir la cause dans le fait que Platon lui-même pythagorise souvent, plus particulièrement dans ce passage où il utilise un langage laconique et à première vue ésotérique, voire surprenant dans son contexte. Il n'est donc pas étonnant que Cicéron1 trouvait déjà ce passage obscur, mais il serait probablement faux d'affirmer en bloc qu'il en était de même au temps de Platon ; car s'il en était effectivement ainsi pour tous ceux qui n'avaient pas une bonne connaissance des théories pythagoriciennes de la Musique, de la Géométrie, de l'Arithmétique et de la Théologie (théories ésotériques et au-delà de la portée du commun des mortels), Platon avait, dit-on, inscrit sur le portail de l'Académie (l'authenticité de cette inscription nous importe peu ici 2) l'épigraphe bien connue MyjSeiç àYeco^érprjToç elotra) ; ce qui laisse présumer que dans cet établissement les problèmes les plus actuels et les 1. Cicéron, Lettres à Atticus, VII, 13. 2. H. D. Saffrey, Rev. Et. grecques, 81.67 (1968). 432 LE « NOMBRE GEOMETRIQUE )) DE PLATON plus ardus étaient largement débattus et que l'enseignement dispensé ne visait point à les escamoter, comme Platon1, en passant, nous le laisse entendre. Victor Cousin2 était au fond de cet avis, quand il affirmait qu' « une phrase écrite par Platon et commentée par Aristote est fort intelligible par elle-même, alors même qu'elle ne le serait plus pour nous ». Rien d'étonnant donc à ce que ce curieux problème ait passionné les chercheurs de toutes les époques et ceux de la nôtre en particulier. Il serait fastidieux de retracer ici l'historique du sujet que A. DiÈS 3 a reconduit jusqu'à Platon lui-même à quelques détails près. La question à laquelle F. Hultsch, dans l'édition du commentaire de Proclos à la République par Kroll4, avait proposé une solution, a été relancée par le remarquable travail de James Adam 5 en Angleterre, suivi de celui de A. G. Laird 6 en Amérique et, un peu plus tard, de celui de A. Diès en France. J. Adam arrivait finalement à deux nombres : a) 63 = 216 pour la période de la génération divine, qu'il interprétait assez curieusement comme le temps de gestation humaine, ce qui est déjà contradictoire en soi. b) 604 = 12.960.000, nombre unique représentant les deux harmonies dont il est question dans le texte de Platon et qu'il identifie avec la Grande Année (= 36.000 ans, Méyaç 'Eviauroç), solution que Sir Thomas Little Heath7 n'admettait pas, tandis que G. Kafka8 l'acceptait dans l'abstrait. De ces deux nombres A. Diès, dans un désir d'unification (assez étrange par ailleurs), rejetait le premier pour ne garder que le second, qui lui semblait rendre parfaitement clair tout le passage en question. 1. Platon, Timée, p. 53 b et suiv. 'AXXà yàp hizzl [xs toxiSeuchv ôSwv Si' cï>v èvSetxvuaGat, rà Xsyopieva àvàyxT), 2. Victor Cousin, Platon, Œuvres : X, 325 (1834). 3. A. Diès, Le Nombre géométrique de Platon ; Essai d'exégèse et d'histoire. Paris, 1936. Ce travail contient une bibliographie quasi-complète du sujet. L'interprétation donnée a été aussi adoptée par E. Chambry dans son édition de la République. Paris, 1964 (éd. Les Belles Lettres), ainsi que par A.-J. Festugière dans sa traduction du Commentaire de Proclus à la République, Paris, 1970. 4. Proclus, Commentaire de la « République, » éd. G. Kroll. Vol. II, avec un excursus par F. Hultsch. 5. James Adam, Plato's Republic. Oxford (1902) ; and The Nuptial Number of Plato. London (1891). 6. A. G. Laird, Plato's Geometrical Number and the Commentary of Proclos. Madison, Wisconsin (1918). 7. Thomas Little Heath, History of Greek Mathematics, vol. I, 306. Oxford (1921). 8. G. Kafka, Philologus, 73.109 (1914). essai d'interprétation 433 A. Ahlvers1 adoptait une attitude analogue en postulant qu'un seul et même nombre était suffisant pour exprimer les deux harmonies. Il signalait d'autre part très justement : « Aber wir brauchen doch schwerlich zu fùrchten, dass wir wie so viele frùhere Erklârer, die von der Richtigkeit ihrer Lôsung ûberzeugt waren, in einem Irrtum befangen seien, wenn wir der vor uns prâzisierten Diès'schen Lôsung gegenûber allen frûheren den Vorzug einer bestechenden Folgerichtigkeit und Einheitlichkeit zubilligen. » En se demandant ensuite si les facteurs ne sont pas plus importants que le nombre lui-même et essayant de rapprocher notre passage de la page 460 E de la République, il arrive à la conclusion que la « Hochzeitszahl » n'a rien à faire avec l'âge du mariage. Il est alors fatalement conduit, pour la génération divine, au nombre de 12.960.000 jours de l'année babylonienne, qui serait en même temps le Nombre géométrique de la génération humaine par la manière suivant laquelle il se décompose en facteurs. Dans une attitude différente M. Dekinger2, en combinant de différentes manières les facteurs 3, 4 et 5, mais rejetant l'arrangement de Diès, comme étant de plus en plus difficile à défendre, écrit : « Nous avons abouti au même nombre 12.960.000 que nous sommes réduits à contempler et qui doit être le Nombre de Platon » et plus loin : « Nous pouvons nous écrier : notre hypothèse est probable puisqu'elle réussit. » Malheureusement on voit mal en quoi consiste cette réussite. Dernier en date vient le travail de Frida von Ehrenfels3, qui attribue au mot atfÇ-yjoxç une signification plus extensive : « jedes nach einem bestimtem ê7u^6piov-Verhâltnis vorgenom- mene Fortschreiten in einer Verhaltnisreihe ». Estimant ensuite que la proportion à construire doit se baser sur les nombres 3 et 4 sans aucune relation déterminée (bestimmte Relation) avec 5, elle établit la suite 27, 36, 58, 64 ; mais comme 64 n'est pas divisible par 3, elle rend la suite mymâ.81 ou^uyEtcav et suivant le procédé de Proclos4 arrive à la proportion 27 : 36 = 36 : 48 = 48 : 64. Ensuite, utilisant les additions 27 + 48 = 75 et 36 + 64 = 100 et la multiplication par 100, elle rétablit le rapport correct de la proportion 3:4. Malheureusement cette analyse n'est pas (à notre sens) poussée assez loin et la signification du nombre divin et du nombre humain reste ainsi dans l'ombre. ; 1. A. Ahlvers, Zahl und Klang bei Plato : Noctes Rotnanae 6.38 (1952). 2. M. Dekinger, Rev. Et. grecques 65.38 (1955). 3. Frida von Ehrenfels, Zur Deutung der platonischen « Hochzeitszahl » : Archiv Gesch. d. Philos. 44.240 (1962). 4. Voir la note 4 de la page 440. 434 LE « NOMBRE GÉOMÉTRIQUE » DE PLATON Dans un important travail, R. S. Brumbaugh1, « working rather informally, and using the notion « function of » as meaning an integer resulting from arithmetical opérations or summarising a geometiical construction with given éléments, we shall see that it is possible to set up the passage as a set of équations, and to examine the interprétations wich re- present solutions of them », semble convaincu que 24300 « this is « the number » summarising dimensions of the final géométrie figure, and this solution seems to follow quite strictly from the passage out of context... ». Suivant cet auteur, les deux harmonies seraient les deux faces d'un prisme carré droit, à savoir la face carrée 3 x 3 = 9 et l'une des quatre faces latérales de surface 3 X 9 X 100 = 2700. Ce faisant, l'auteur commet l'erreur grave d'identifier « le diamètre irrationnel de cinq » avec la racine carrée de ce même nombre et « le diamètre rationnel de cinq » avec le nombre 2. Prisonnier d'un structuralisme mathématique moderne (fonctionnels, calcul matriciel...) l'auteur rejette la leçon èxarov signalée dans les appareils critiques du texte, malgré l'autorité de Proclos qui, à notre sens, est préférable aux leçons de tous les manuscrits (ils sont tous bien postérieurs à Proclos) ; il est alors conduit à une solution fausse à priori. Le présent travail était terminé quand nous uploads/Litterature/ le-nombre-geometrique-de-platon.pdf
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- Publié le Apv 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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