HAL Id: halshs-03224431 https://shs.hal.science/halshs-03224431 Submitted on 11

HAL Id: halshs-03224431 https://shs.hal.science/halshs-03224431 Submitted on 11 May 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le poète comme cortège de voix : écrire et réciter la poésie dans l’oeuvre de Jacques Roubaud Geoffrey Pauly To cite this version: Geoffrey Pauly. Le poète comme cortège de voix : écrire et réciter la poésie dans l’oeuvre de Jacques Roubaud. Plurivocalité et polyphonies : une voie vers la modernité ?, Jan 2021, Saint-Etienne, France. ￿halshs-03224431￿ Le poète comme cortège de voix : écrire et réciter la poésie dans l’œuvre de Jacques Roubaud Geoffrey Pauly Anthologiste, traducteur, revuiste, Jacques Roubaud compte parmi ces poètes contemporains qui n’ont cessé de donner à entendre d’autres voix que la leur. Son œuvre renoue avec la définition étymologique de la polyphonie comme pluralité de voix à cela près que le poète roubaldien se définit comme une mémoire de poésie qui cite et récite sans doute plus qu’elle ne chante. De la poésie médiévale japonaise aux chants indiens d’Amérique du Nord en passant par la poésie des troubadours, le sonnet de Marot à Malherbe et la poésie française de 1914 à 1932, Roubaud rejoue l’expérience enfantine de la récitation. Il fait ainsi de sa propre voix poétique un cortège voix familières ou étrangères qui réactualise les chants et les vers du passé. Il s’agit à la fois de re-cueillir des fleurs de cette poésie d’ailleurs ou d’autrefois pour les faire retentir à nouveau comme parole, et de se recueillir en se désignant moins comme créateur que comme être de poésie. Nous interrogerons donc la plurivocalité comme symptôme de la relecture et de la réécriture du passé ainsi que comme modalité de résurrection du lyrisme dans l’œuvre de Jacques Roubaud. Nous rappellerons tout d’abord que la pratique de l’anthologie détermine cette définition du poète comme cortège de voix et invite à considérer la parole poétique comme une récitation des vers du passé. Nous montrerons enfin qu’un fantasme de communauté poétique se cristallise dans l’œuvre de Roubaud à travers cette pratique de la récitation. 1. Collecter et garder en mémoire : la pratique de l’anthologie Les activités d’anthologiste et de traducteur de Jacques Roubaud invitent tout d’abord à appréhender le poète comme un lecteur, ou un collecteur, de ces fleurs qui donnent leur nom à l’anthologie et au florilège. L’œuvre de Roubaud se ponctue de publications d’anthologies dont les titres et les thèmes ne vont pas sans rappeler les productions personnelles du poète : Mono no aware1 qui rassemble des poèmes traditionnels japonais est publié en 1970, Partition rouge2, en collaboration avec Florence Delay, donne à lire une sélection de chants indiens d’Amérique du Nord en 1988, Soleil du soleil3, en 1990, rassemble 531 sonnets français écrits dans une période très courte, « de Marot à Malherbe », pour reprendre l’expression de Jacques Roubaud. 1 ROUBAUD, Jacques, Mono no aware, Paris, Gallimard, 1970. 2 DELAY, Florance et ROUBAUD, Jacques, Partition rouge, Paris, Seuil, 1988. 3 ROUBAUD, Jacques, Soleil du soleil, Paris, P.O.L., 1990. La pratique anthologique accompagne le parcours du poète. La publication de Mono no aware en 1970 succède immédiatement aux parutions de ϵ1 en 1967 et du Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du go2 en 1969 qui explorent le fonctionnement du jeu de go. Bien que le jeu soit d’origine chinoise, sa terminologie très spécifique mène Roubaud sur les traces du Japon médiéval. On voit ainsi se lier l’écriture et la pratique anthologique : le dispositif ludique et poétique engage le poète dans la découverte d’une culture et d’une littérature à travers l’anthologie. De la même manière, l’intérêt marqué de Jacques Roubaud pour la forme médiévale de la canso explorée dans La Fleur inverse : essai sur l’art formel des troubadours3 mène le poète sur les traces de la sextine qu’il s’approprie ensuite dans La belle Hortense4, L’Enlèvement d’Hortense5 et L’Exil d’Hortense6. Non seulement l’anthologie trouve une place privilégiée dans l’œuvre de Jacques Roubaud mais elle travaille de conserve avec l’écriture poétique. A l’entreprise inachevée de l’exploration pratique du sonnet dans ϵ répond la sélection anthologique des « 531 sonnets » de l’anthologie Soleil du soleil. C’est sur le constat d’une lacune que s’ouvrait ϵ dont le premier énoncé était symboliquement : « Je ne vois plus le soleil ». Dans le premier sonnet de ϵ, le soleil brille paradoxalement par son absence : Je ne vois plus le soleil ni l’eau ni l’herbe m’étant emprisonné où nul matin n’a de domaine si dans le cube pur de la nuit je distingue d’autres branchages que sur l’arche des pensées je les chasse je les cache […] car tous objets d’ici disparus j’ai suscité soleil pour soleil eau pour eau j’ai fait traverser des monceaux d’opaque à des soleillements d’ailleurs o soleils en qui j’ai confiance à quel point vous êtes moi je peux vous montrer à tous dire couleur des bois orange dire rouge et être cru soleils réveillés sur ma langue soleils alentour-averses7 (Roubaud, 2006, p. 15). Le soleil dont la répétition ne cesse de signifier l’absence et le manque, est partout célébré, sous la forme absolue de la tautologie (« j’ai suscité soleil pour soleil »), dans le néologisme abstrait par le pluriel (« des soleillements d’ailleurs »), dans l’emploi du « ô » lyrique (« ô soleils en qui j’ai confiance »). Dans le dialogue des œuvres, c’est l’anthologie du sonnet de Marot à Malherbe qui constitue ce soleil absolu, ce Soleil du soleil, dont l’assurance et la clarté compensent les doutes et les moments d’échecs du recueil personnel. Face aux balbutiements de l’écriture poétique comme recherche et comme tentative souvent avortée dans le paysage contemporain, l’anthologie célèbre 1 ROUBAUD, Jacques, ϵ, Paris, Gallimard, 1967. 2 ROUBAUD, Jacques, Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du go, Paris, Christian Bourgois, 1969. 3 ROUBAUD, Jacques, La fleur inverse, Paris, Les Belles Lettres, 1986. 4 ROUBAUD, Jacques, La belle Hortense, Paris, Ramsay, 1985. 5 ROUBAUD, Jacques, L’enlèvement d’Hortense, Paris, Ramsay, 1987. 6 ROUBAUD, Jacques, L’Exil d’Hortense, Paris, Seghers, 1990. 7 ROUBAUD, Jacques, ϵ, Paris, Gallimard, 2006 [1967], p. 15. une réussite sous la forme de textes achevés ayant fait l’épreuve du temps. Ce que Dominique Rabaté présente comme une « particularité poétique singulière, qui est que les vers se gravent d’une façon spécifique dans notre mémoire, qu’ils se citent, se "récitent" selon une modalité qui relève de ce qui constitue l’énonciation poétique1 » (Rabaté, 1996, p. 65) héritée de la fonction mnémotechnique du vers, dépend en réalité d’une pratique active de collection et de mémorisation dans l’œuvre de Jacques Roubaud. L’anthologie apporte le réconfort de la pérennité là où tout texte contemporain doute nécessairement de sa propre durée. La vérité du texte du passé, qu’il soit entré dans le canon ou redécouvert par l’anthologiste, tient en partie de sa capacité à exister encore dans le moment présent de l’anthologie. Elle s’inclut ainsi dans une volonté de réhabilitation de la mémoire comme lieu de conservation et d’existence de la poésie. Olivier Gallet insiste sur cette omniprésence de la mémorisation dans la poétique de Jacques Roubaud : « La mémoire, en tout cas, est la faculté maîtresse, le nouveau lieu d’articulation de la parole poétique, d’où l’importance de l’anthologie, genre mis au service de la tradition, et capable de l’actualiser2. » (Gallet, 2001, p. 281). La dynamique d’actualisation, qui consiste à rendre présent de façon presque matérielle un élément du passé devient l’essence même de la pratique anthologique. Les textes sélectionnés et rassemblés sont les textes à ne pas oublier, textes qu’il faut garder en mémoire, pour ensuite les réciter. 2. La parole poétique comme récitation des vers du passé La pratique anthologique comme modalité d’apprentissage et de réactualisation des textes fait de l’écriture de Jacques Roubaud une réécriture systématique. La parole poétique est moins créée ex nihilo que récitée. La méthode de composition d’Autobiographie, chapitre dix est particulièrement représentative de ce lien entre réécriture, récitation et écriture poétique. Roubaud rassemble des poèmes écrits pendant les dix-huit années qui précèdent la date de sa naissance et les donne à lire, sans mention de leur auteur ou de l’œuvre dont ils sont tirés, comme ses propres textes et comme un chapitre de son autobiographie. Le poète se définit donc comme une somme de textes créés par ses prédécesseurs. Au sein d’Autobiographie, chapitre dix, le poème ancien est déconstruit, morcelé, pour être réassemblé et constituer un poème nouveau. Sans que Paul Eluard soit expressément cité, on devine sa présence dans la reprise du titre L’Amour la poésie, recueil publié en 1929. Jacques Roubaud fait figurer une suite de poèmes numérotés et intitulés uploads/Litterature/ le-poete-comme-cortege-de-voix-geoffrey-pauly.pdf

  • 16
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager