© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2011 DOI: 10.1163/157005811X587903 Arabica 58 (
© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2011 DOI: 10.1163/157005811X587903 Arabica 58 (2011) 477-502 brill.nl/arab Le problème de la chronologie du Coran1 Gabriel Said Reynolds University of Notre Dame Abstract This study challenges the widespread scholarly assumption that the Qurʾān can only be properly understood when its suras are assigned to a chronological order based on the traditional biogra- phy of the Prophet. The first section of the study addresses the origins of this assumption, begin- ning with Islamic tradition and its reception in the XIXth century works of Gustav Weil and Theodor Nöldeke. The second section involves a critique of more recent defenses of the idea of a Quranic chronology. The third and final section of the article illustrates the problem of this idea by way of a comparison with scholarship on the Psalms. Keywords Qurʾān, Muḥammad, sūra, Sīra, Psalms, Nöldeke, Wansbrough, the origins of Islam Résumé Cet article remet en question l'idée répandue que le Coran n’est compréhensible que selon un reclassement des sourates dans un ordre chronologique basé sur la biographie traditionnelle du Prophète. La première partie aborde les origines de cette idée, en commençant avec la tradition musulmane et sa réception dans les études du xixe siècle de Gustav Weil et Theodor Nöldeke. La deuxième section est consacrée à une critique des apologies récentes de l’idée d’une chronologie coranique. La troisième et dernière section souligne la nature problématique de cette idée à tra- vers une comparaison avec les études psalmiques. Mots-clés Coran, Muḥammad, sourate, Sīra, Psaumes, Nöldeke, Wansbrough, les origines de l’islam Introduction L’idée que nous pouvons réorganiser le Coran, suivant l’ordre chronologique selon lequel le prophète Muḥammad l’aurait proclamé, est pratiquement un axiome des études coraniques. Cette idée repose sur les convictions que le Coran n’a qu’un seul auteur, qu’il n’a aucun rédacteur, et qu’il reflète l’expérience 1 Je tiens à remercier Mehdi Azaiez, Guillaume Dye, Alain George et Sébastien Garnier pour leurs commentaires pertinents et utiles sur ce texte. Je reste par ailleurs seul responsable du contenu et d'éventuelles erreurs. 478 G. S. Reynolds / Arabica 58 (2011) 477-502 d’une communauté ayant existé autour de Muḥammad, à la Mecque et à Médine, entre 610 et 632. Évidemment la chronologie du Coran détermine profondément notre compréhension du livre saint de l’islam. Dans cet article, j’essaie, premièrement, de retracer les origines et, par la suite, l’adoption quasi- totale de cette idée dans l’histoire de la recherche occidentale. Deuxièmement, je remets en cause la pertinence de cet état de fait pour l’avenir des études coraniques. L’histoire des études coraniques commence traditionnellement avec la Ge- schichte des Qorans de Theodor Nöldeke (m. 1930 ; vol. 1 : Über den Ursprung des Qorāns, 1860), Friedrich Schwally (m. 1919 ; vol. 2 : Die Sammlung des Qorāns, 1909), enfin Gotthelf Bergsträßer (m. 1933) et Otto Pretzl (m. 1941 ; vol. 3 : Die Geschichte des Koran-texts, 1938). L’histoire de ce livre est d’ailleurs un point de départ utile pour notre étude. La première version de la Geschichte des Qorans fut rédigée en latin et publiée à Göttingen en 1856 (lorsque Nöldeke avait vingt ans) : De origine et compositione Surarum Qoranicarum ipsiusque Qorani 2. Cette étude était entièrement dédiée à la chronologie du Coran, et fondée sur une division des sourates en quatre périodes déjà établie par Gustav Weil (m. 1889)3. En 1860, Nöldeke a soumis cette étude au concours de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres de Paris. Le sujet de ce concours était le suivant : Faire l’histoire critique du texte du Coran : rechercher la division primitive et le caractère des différents passages qui le composent ; déterminer, autant qu’il est possible, avec l’aide des historiens arabes et des commentateurs, et d’après l’exa- men des passages eux-mêmes, les moments de la vie de Muḥammad auxquels ils se rapportent ; exposer les vicissitudes que traversa le texte du Coran, depuis les récitations de Muḥammad jusqu’à la recension définitive qui lui donna la forme où nous le voyons ; déterminer, d’après l’examen des plus anciens manuscrits, la nature des variations qui ont survécu aux recensions4. La commission du concours, qui comptait dans ses rangs les grands orientalis- tes Armand-Pierre Caussin de Perceval (m. 1871) et Ernest Renan (m. 1892), décerna son prix au jeune Nöldeke en même temps qu’à deux orientalistes déjà bien connus : l’Italien Michele Amari (m. 1889) et l’Autrichien Aloys Sprenger (m. 1893)5. Encouragé par ce prix évidemment prestigieux, Nöldeke composa 2 Göttingen, Officina academica Dieterichiana, 1856. 3 G. Weil, Historisch-kritische Einleitung in den Koran, Bielefeld, Velhagen & Klasing, 1844, p. 55-81. 4 Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes-Rendus des séances de l’année 1858, Paris, Durand, 1862, p. xxvii. 5 On lit souvent dans les comptes rendus de sa carrière scientifique que le Prof. Nöldeke a gagné ce concours, mais ce n’est pas le cas. Le communiqué de l’Académie publié l’année G. S. Reynolds / Arabica 58 (2011) 477-502 479 une version allemande de son livre, publiée en 1860 sous le titre Die Geschichte des Qorans 6. L’importance de ce livre pour le développement ultérieur des études corani- ques est fondamentale, on y reviendra. Pour le moment, il convient de souli- gner comment l’Académie a présenté ce concours. Car elle n’a pas demandé si le texte du Coran pouvait bien être organisé selon la vie du Prophète ; elle l’a supposé d’emblée. La seule question envisagée était en l’occurrence la qualité de cette organisation. Évidemment, au milieu du xixe siècle, l’idée de la chro- nologie du Coran était déjà un principe sine qua non des études coraniques. Gustav Weil, comme on l’a déjà indiqué, a proposé une division des soura- tes en quatre périodes : trois à la Mecque et une quatrième à Médine7. Il consi- dérait sa chronologie comme un développement (et une amélioration) de celle proposée par la tradition musulmane : Wir haben uns in unserm ‘Leben Moha- meds’ damit begnügt, als allgemeine Leitung für den Koranleser, die Ordnung der Suren nach einem arabischen Autor anzugeben. In einer Einleitung zum Koran kann man aber mit Recht von uns fordern, dass wir auch unsere Ansicht darüber mittheilen und mehr ins Einzelne eingehen8. Pour les premiers orientalistes occidentaux comme Weil, le Coran était à lire en rapport avec la carrière du Prophète Muḥammad. Ce lien étroit est attesté dès les grandes traductions du Coran des xviie et xviiie siècles, qui com- mencent toutes avec une biographie du Prophète : la traduction (et réfutation) latine (1698) de Ludovico Marracci (m. 1700)9, la traduction anglaise (1734) de George Sale (m. 1736)10 et la traduction française (1783) de Claude- Étienne Savary (m. 1788)11. Il en sera de même pour les études de Weil (His- torische-kritische Einleitung in den Koran) et Nöldeke (Geschichte des Qorans) qui commencèrent leur ouvrage avec une biographie du Prophète. Cette lec- ture biographique du Coran est aussi partagée par Ernest Renan lui-même, suivante nous informe que « l’Académie a reçu trois mémoires et, dans l’impossibilité d’en cou- ronner un seul sans faire injustice aux deux autres, les a rangés tous trois sur la même ligne et leur décerne le prix ». Académie des inscriptions et belles-lettres, Comptes-Rendus des séances de l’année 1859, Paris, Durand, 1859, p. xv. 6 Göttingen, Verlag der Dieterichschen Buchhandlung, 1860. 7 Weil explique que la division en trois périodes mecquoises répond à la difficulté d’établir une chronologie plus précise pour le début de la carrière prophétique du Muḥammad. Par contre il propose un ordre exact pour les 23 sourates qui sont, selon lui, médinoises. Weil, p. 67. 8 Weil, p. 54. Weil fait allusion ici à son œuvre : Mohammed der Prophet, sein Leben und seine Lehre. Aus handschriftlichen Quellen und dem Koran geschöpft und dargestellet, Stuttgart, Metzler, 1843. 9 Padoue, ex typographia Seminarii, 1698 ; voir I, p. 10-32. 10 Londres Ackers, 1734 ; voir p. 33-56. 11 Paris, Knapen, 1783 ; voir I, p. 1-248. L’introduction de Savary est de loin la plus longue et la plus détaillée. 480 G. S. Reynolds / Arabica 58 (2011) 477-502 qui écrit : « Le véritable monument de l’histoire primitive de l’islamisme, le Coran, reste d’ailleurs absolument inattaquable, et suffirait à lui seul, indépen- damment des récits des historiens, pour nous révéler Muḥammad »12. Or la question posée par le concours de 1859 – comment suivre la vie du Prophète à travers le Coran – était une question qui se posait naturellement dans le cadre du contexte positiviste et scientifique de l’Europe de xixe siècle. Mais elle n’en était pas moins une interrogation profondément traditionnelle. La chronologie du Coran et la tradition musulmane La chronologie des révélations coraniques est centrale pour la tradition musul- mane. Dès l’introduction de chaque sourate, la plupart des éditions arabes du Coran présentent le titre suivi de l’adjective makkiyya (mecquoise) ou mada- niyya (médinoise). Il faut donc comprendre qu’une bonne lecture du Coran nécessite au moins une connaissance de la période à laquelle chaque sourate appartient. Mais l’identification de ces deux périodes se trouve uniquement dans l’introduction du texte, et jamais dans le texte lui-même. On se demande donc comment uploads/Litterature/ le-probleme-de-la-chronologie-du-coran-gabriel-said-reynolds.pdf
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- Publié le Oct 25, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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