Le renversement chez Pascal dans les chapitres des Pensées au programme, une fo

Le renversement chez Pascal dans les chapitres des Pensées au programme, une forme-sens Intervention de Romain Lancrey-Javal, dans le cadre d’un stage organisé par Marie Berthelier sur le programme de terminale L. La pagination se fonde sur l’édition du programme (par Michel Le Guern, Folio classique, 2004). J’ai choisi comme titre de cette communication « le renversement » chez Pascal dans les chapitres des Pensées au programme. Mais l’honnêteté, chère à Pascal, m’oblige à dire que cet auteur n’apparaît pas immédiatement comme un auteur « renversant ». Monument classique, monument de la pensée et des Pensées, c’est plutôt un auteur qui apparaît immédiatement comme intimidant, ou selon l’adjectif obligé, « difficile ». Vivent les auteurs difficiles sans doute, qui nous aident à lire les autres, dirait Valéry mais ce n’est pas immédiatement la réaction de nos élèves – ni peut-être la nôtre comme enseignants. Nous comprenons pourtant pourquoi il est nécessaire de mettre Pascal à un programme de lettres au bac : grandeur de cet auteur dans la misère parfois de la culture de nos classes au lycée ; art de l’alliance rêvée aussi de l’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse – comprenons peut-être ici de l’enseignement de la philosophie et de l’enseignement des lettres en terminale, moyen d’appréhender un auteur, grand penseur et grand écrivain. Il arrive que la littérature pense. Enfin Pascal vint… Mais les chapitres au programme s’ils sont renversants – ce sera l’objet majeur de mon intervention, où j’essaierai de vous proposer l’analyse du renversement comme « forme- sens » –, ces chapitres me paraissent d’abord déstabilisants. Donc je vais commencer par essayer de faire ce que nous faisons avec nos élèves : identifier les problèmes – c’est-à-dire ici, et c’est un geste pascalien, transformer une difficulté en difficulté consciente. Pascal ne disait pas encore « problématiser », mais le titre même des chapitres est une déclinaison de ce qu’on appellerait aujourd’hui moins élégamment un problème à la fois au sens de nos élèves qui ont « des problèmes » et au sens épistémologique, qui appelle une solution mais qui n’en a pas toujours immédiatement : « vanité », « misère », « ennui », « contrariétés », « raison des effets ». Pourquoi Pascal est-il ici difficile, ainsi présenté, en terminale L ? Je vois deux séries de raisons : la première série tient au statut même du texte, des chapitres au programme ; la seconde série tient à l’approche difficile de ce corpus par des lycéens d’aujourd’hui. 1. Première série de raisons de difficultés : difficultés internes, inhérentes au corpus 1.1. D’abord une difficulté conceptuelle : les chapitres au programme ne cessent d’énoncer des contradictions – qui ne sont pas encore ici résolues ou qui sont résolues dans d’autres fragments des Pensées. Exemplaire de ce point de vue le fragment célèbre, le dernier long fragment de notre corpus « Divertissement » (126, p. 118), où l’enquête commence pour trouver la cause des agitations des hommes, « ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », pour remonter ensuite à la raison : « le malheur naturel de notre condition faible et mortelle » - mais c’est loin d’être le dernier mot des Pensées. Les résolutions ici restent délibérément contradictoires, changeantes, provisoires. On peut en voir de nombreuses marques stylistiques : phrases nominales, tournures, elliptiques, anacoluthe, juxtaposition sèche par asyndète. Je pourrais prendre une marque formelle qu’on peut commenter avec les élèves : le fameux « etc. », indice de l’état inachevé du texte (Pascal comptait peut-être alors développer ce qu’il indique comme appelant une suite qui ne va pas toujours de soi – beaucoup de propos elliptiques ici mais aussi appel à la coopération du lecteur, chargé de remplir les blancs, les ellipses, les silences du texte). Texte contradictoire, dense, elliptique, marqué sans cesse par un appel « à suivre ». 1.2. Deuxième difficulté : une difficulté historique. Les prérequis, comme on dit en termes de pédagogie, sont nombreux. Pascal s’inscrit dans une histoire de la pensée, et en particulier une histoire de la pensée religieuse. On peut partir d’un contexte savant et d’une tradition, l’augustinisme (en se méfiant peut-être des réductions débats au « jansénisme » de Pascal – les questions du péché, de la grâce, de la prédestination sont l’héritage de tout un débat religieux depuis des siècles…). La petite présentation en folioplus classique a au moins le mérite de faire le point sur cette mise en perspective dans son dossier. On peut faire aussi un détour par l’éclairage d’une critique marxiste qui a fait autorité, qui est plus contestée aujourd’hui, celle de Goldmann dans Le Dieu caché - c’est l’absence de présence manifeste de Dieu qui rend compte de la complexité de la pensée pascalienne, de l’inscription aussi dans une époque, un milieu (rattachement par Goldmann à Port-Royal). Plus simplement peut-être, on peut faire remarquer aux élèves – et j’y reviendrai – le point de départ du raisonnement de Pascal dans les chapitres des Pensées au programme : ce n’est pas une réflexion sur Dieu, c’est une réflexion sur l’homme. C’est à partir d’une réflexion sur la misère humaine que s’esquisse progressivement la recherche d’une solution. On part de l’anthropologie et même de l’observation de moraliste, de l’expérience humaine, pour aller vers la théologie, l’explication par Dieu – et non l’inverse. Pascal est ici moraliste avant d’être théologien – même si, évidemment, le point de vue du théologien, le point de vue apologétique soutient le point de vue du moraliste, le point de vue de la simple observation d’expérience. 1.3. Troisième difficulté immédiate : l’aspect fragmentaire des Pensées en général, de ces liasses en particulier, à l’échelle des liasses entières. Reprises, redites, apparent désordre assumé par Pascal lui-même dans son écriture du chaos et du discontinu. On connaît la pensée 472 (p. 335): « J’écrirai ici mes pensées sans ordre » et la justification qui la suit, le caractère même désordonné de la pensée humaine (manière de faire pièce à Descartes et à sa confiance dans le pouvoir du langage de la raison, décomposé en unités claires et distinctes, mais s’enchaînant avec méthode selon le modèle géométrique) : « je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable ». C’est pour nous la « modernité » des Pensées – le refus d’une organisation trop visible, systématique, préétablie ; c’est un texte qui invente poétiquement et conceptuellement sa propre mesure, comme toute grande œuvre littéraire… Modernité au sens où le tragique chaotique de la condition humaine se traduit dans le tragique chaotique de son expression (ce qui rapprocherait de Pascal les écrivains d’un tragique moderne, de Sartre à Beckett, par opposition aux classiques – mettons comme Racine – qui donnent au chaos tragique de l’homme la forme harmonieuse et unifiée d’une structure versifiée en cinq actes…). Les Pensées nous paraîtraient-elles si modernes si elles avaient été terminées ? Question paradoxale qui mérite d’être reposée… Les liasses donnent l’impression chaotique de notes jetées, chaque note elle-même reste en chantier dans l’aspect inachevé et fragmentaire (avec toutes les ellipses, les ruptures de construction, les marques de reprise, le signe permanent du provisoire et de l’inachevé – à l’image de la condition des hommes…). Cela rencontre une habitude scolaire, celle des élèves eux-mêmes, qui préparent au brouillon leur travail, avec le plan, les notes, les références dont ils disposent et qu’ils manipulent (pour Montaigne, c’est Pascal) avant de passer à la rédaction au propre. On peut rappeler que dans ses liasses, Pascal finalement, mutatis mutandis, n’a pas eu le temps de passer à la rédaction au propre – et a dû se contenter de laisser ce brouillon, avec un plan indiqué (première liasse « ordre »), et une matière jetée sous formes de notes… Il se trouve que ce brouillon est génial – et ne doit pas encourager nos élèves à remettre des devoirs non rédigés en pensant qu’ils vont marcher sur les traces de Pascal… Ils ne rédigent pas une apologie de la religion chrétienne, destiné à l’incrédule, et, par-delà, à un vaste public contemporain et futur, mais des devoirs scolaires inscrits dans le temps de l’école. Si, par analogie, cela permet de retrouver une habitude scolaire, celle de l’organisation d’une écriture, cela déjoue aussi une habitude scolaire : celle de l’organisation de la lecture, du « plan » dans l’explication de texte. Peu de fragments susceptibles de faire l’objet d’une explication de texte, où l’on regarde la composition du fragment, à l’exception de quelques fragments célèbres justement (on retient souvent chez d’autres auteurs ce qu’ils ont écrit de plus bref, chez Pascal, dans les Pensées – paradoxe parmi d’autres – ce qu’il a écrit de plus long comme fragment – on pourrait citer ailleurs « Disproportion de l’homme » ou le célèbre argument du « pari »). Dans notre corpus, ce sont les fragments célèbres sur « l’imagination » ou le « divertissement » qui ont retenu l’attention – ils sont assez longs pour obéir à un mouvement, uploads/Litterature/ le-renversement-chez-pascal.pdf

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