MATTEO LETA, « LE SUD DE L’ITALIE : LIEU DE TROMPERIE ET LIEU DE MAGIE A LA REN

MATTEO LETA, « LE SUD DE L’ITALIE : LIEU DE TROMPERIE ET LIEU DE MAGIE A LA RENAISSANCE », Le Verger – bouquet XVIII, avril 2020. 1 LE SUD DE L’ITALIE : LIEU DE TROMPERIE ET LIEU DE MAGIE A LA RENAISSANCE Matteo LETA (Sorbonne Université) Cette contribution a trait à la représentation de l’Italie du Sud dans les littératures italienne et française à la Renaissance. Plusieurs genres semblent lui accorder un statut tout particulier : elle est en effet souvent représentée comme un lieu dominé par les tromperies de sorciers diaboliques et de charlatans. Si la cosmographie perpétue les stéréotypes classiques, visant à en tracer une géographie marquée par une nature magique, les nouvelles et les comédies décrivent de nombreux personnages d’escrocs provenant d’Italie et, plus particulièrement du Sud de la péninsule. En outre, les textes religieux montrent ces endroits comme de nouvelles Indes, encore à christianiser. La propagande politique de l’époque semble elle aussi se référer à cette image ; on retrouve en effet souvent des Italiens soupçonnés de pratiquer la magie et d’être à l’origine de nombreuses tromperies. Le Sud de l’Italie, ainsi que d’autres lieux périphériques de l’Europe du temps, sont décrits comme des terres dominées par le diable afin de renforcer le pouvoir central, laïc ou religieux. LES CHARLATANS CALABRAIS Le 7 novembre 1598, l’ambassadeur espagnol à Venise écrit à son roi Philippe III pour le prévenir que, dans la ville, un homme tente de se faire passer pour Sébastien, le roi du Portugal, disparu après la bataille de Ksar El Kébir (1578). À partir de cette date et durant cinq années, l’imposteur Marco Tullio Catizone alimente les désirs indépendantistes des Portugais, bien qu’il ne ressemble pas au roi décédé et qu’il ne parle pas un seul mot de langue portugaise. Catizone devient donc « le charlatan calabrais » et il obtient ainsi une place, certes peu honorable, dans les livres d’histoire. Quoi qu’il en soit, son nom (« charlatan calabrais ») peut évoquer tout un imaginaire construit durant la Renaissance et dans lequel la Calabre, mais plus généralement le Sud de l’Italie, était décrite comme un lieu favorable à la création et au développement de ruses et de tromperies1. Ainsi, je voudrais essayer de montrer comment cette région était représentée et quelles raisons pourraient inspirer un tel imaginaire. Par exemple, dans Lo Spirito de Giovanni Maria Cecchi, le charlatan Aristone avoue que son maître est un calabrais, rencontré à Padoue lors de ses études universitaires : Aristone : Pendant mes études à Padoue, j’avais rencontré un Calabrais, l’esprit le plus intelligent du monde, et parmi ses qualités, il était botaniste, distillateur et alchimiste et extraordinaire ingénieur […]. Et parmi les grands et importants secrets qu’il m’avait révélés, il m’avait dit qu’il s’est rendu chez la savante Sybille, dans les montagnes au- dessus de Norcia,2 où naissent les truffes, et là il avait arraché d’elle le 1 Cf. Eric R. H. Olsen, The Calabrian Charlatan, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005. 2 Comme l’on sait, la Sybille était censée habiter dans les Monts Sibyllins, qui se trouvent dans la même région que Norcia. MATTEO LETA, « LE SUD DE L’ITALIE : LIEU DE TROMPERIE ET LIEU DE MAGIE A LA RENAISSANCE », Le Verger – bouquet XVIII, avril 2020. 2 vrai art de l’invocation des esprits, possédé déjà par Zoroastre et Maugis. Anselmo : Avait-il appris à bâtir châteaux et d’autres choses […], comme dans le Morgante on écrit à propos de Maugis ? Aristone : Il pouvait et savait le faire, mais il ne le faisait pas car il craignait d’être brûlé, parce que ces Messieurs ne veulent pas qu’il y ait quelqu’un mieux qu’eux. […] Il m’avait enseigné toutes choses : c’est pourquoi je sais faire amulettes, caractères, pentacles, fumigations, rituels de protection et la Clavicule.3 Anselmo : Noms dignes des démons. Aristone : Non, car ils servent pour les dominer, les pourchasser et les contrôler (malgré eux), comme les éperons et le mors pour un bon cheval4. Dans ce passage, de nombreux éléments nous sont fournis quant à la compréhension de la magie dans le théâtre du XVIe siècle. En effet, le dialogue entre le charlatan et Anselmo, le vieillard crédule, nous montre Aristone qui tente de parfaire sa réputation à travers la description de son maître et ami, rencontré au cours de ses années d’études. Souvent d’ailleurs les charlatans sont des étudiants universitaires qui ont raté leur carrière, comme dans le cas de Cintio dans le Maritaggio dell’Alchimista5 (Le mariage de l’alchimiste), ainsi que de l’alchimiste Denis Zécaire qui, dans son autobiographie, avoue lui aussi que sa passion pour cet art a commencé à l’université6. En outre, la référence au Morgante ne fait que dévoiler la naïveté et 3 Sur la Clavicule de Salomon et les autres textes de magie, nous signalons : Francesco Barbierato, Nella stanza dei circoli, Milan, Sylvestre Bonnard, 2002. 4 « Aristone : [….] Hora studiando in Padova, / vi capitò un Calavrese, il più / sottile ingegno del mondo ; e tra l’altre / virtù, egli era ottimo Semplicista, / E stillatore ; e alchimista, e poi / Ingegniero sopra mano ; Io presi seco / una amicizia tale, che divenimmo / frate’ giurati. […] E tra i molti segreti di importanza, / che e’ mi comunicò, fu che essend’egli / giovane, er’ito alla savia Sibilla / sopra a Norcia in que’ monti, dove nascano / li tartufi, havea da lei cavato / la vera arte, e scongiuro delli spiriti, /che hebbon già Zoroastro, e Malagigi. Anselmo : E imparò a fare castelli ? e tante cose ? Sì presto ? Come (nel Morgante) è scritto che faceva Malagigi ? Aristone : Harè saputo, e potuto, è ben vero, / che e’ non l’usava, per non esser arso, / perché questi Signori hoggi non vogliono, / che e’ ci sia chi possa più di loro. […] Egli m’insegnò ‘l tutto : onde io fare / filatere, caratteri, pentacoli, suffumigi, intercetti, e la Clavicola. Anselmo : Proprio nomi da diavoli. Aristone : Anzi pur da constrignerli, e cacciarli, / e frenargli (a dispetto loro) come / fanno gli sproni, e ‘l morso un caval bravo » : Giovanni Maria Cecchi, Lo Spirito, Venise, appresso Bernardo Giunti, 1585, f. 10 r-11 v (ma traduction). 5 « Cintio : […] Il padre mio […] mi mandò a Messina affineche nelle leggi addottorandomi potessi esser’il sostegno della sua grave età e della casa […], ma io ad ogni altra cosa, fuori che allo studio, attendendo, mi diedi alle compagne di giovani sviati, di buffoni e di ciurmatori da’ quali appresi pure qualche furberia che loro chiamano segreto ; feci amicitia d’Astrologhi e d’Alchimisti che col loro ostinato e stolto pensiero di far l’oro non havevano mai un quattrino ma dalle mani hor di questo hor di quell’altro s’ingegnavano di cavarne […]. E da questi ancora, imparai a gettar via quel poco denaro che mi mandava mio Padre co’l voler anch’io dal Mercurio cavare la quinta essenza e non bastandomi per il viver mio invitavo a giuocare qualche novello scolare il quale ingannato dalla sua semplicità e dall’arti mie abbarrato, conveniva lasciarmi, o per amor, o per forza, quei pochi denari ch’aveva […]. Perloche morto mio Padre di dolore, e con la vita finita anco la robba, son stato necessitato finhora con l’arte del Ciarlatano vagando per il mondo procacciarmi il vivere vendendo certe acque mie stillate e certi libretti di segreti, questi fallacissim » : Giulio Serafini, Il Maritaggio dell’alchimista, Rome, appresso Lodovico Grignani, 1624, p. 11-13. 6 « Car premierement pour compter le vray ordre du temps et la façon comment je y suis parvenu, estant agé de vingt ans ou environ, apres avoir esté instruict par la sollicitude et diligence de mes parens, aux principes de grammaire en nostre maison, je fus envoyé par iceulx à Bordeaux […]. En la quelle je profitay tellement, par la grâce de Dieu et sollicitude d’un mien maistre particulier que mes parens m’avoient baillé, […] que je fus envoyé à Thoulouse, soubz la charge de mon dict maistre, pour estudier aux loix. Mais je ne partis pas de MATTEO LETA, « LE SUD DE L’ITALIE : LIEU DE TROMPERIE ET LIEU DE MAGIE A LA RENAISSANCE », Le Verger – bouquet XVIII, avril 2020. 3 l’ignorance d’Anselmo. Son étonnement est exprimé grâce à la citation du poème de Luigi Pulci parodiant l’imaginaire chevaleresque et magique. Il convient tout de même de s’interroger sur la valeur en soi de l’origine d’Aristone qui contribue à l’admiration d’Anselmo et, en même temps, fait comprendre au public rusé de la comédie que le maître d’Aristone n’est qu’un charlatan. En effet, la Calabre ainsi que le Sud de l’Italie possédaient déjà une image consolidée de lieu de magie et de tromperie. Par exemple, dans la dix-huitième nouvelle de son recueil, Masuccio de Salerne se penchait sur la diffusion géographique et sur l’origine des charlatans. Dans les premières lignes du récit, l’écrivain italien du XVe siècle analyse ces personnages, en uploads/Litterature/ le-sud-de-l-italie-lieu-de-tromperie.pdf

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