Le théâtre de machines de Jacques Besson. Images des sciences et techniques à l

Le théâtre de machines de Jacques Besson. Images des sciences et techniques à la Renaissance. Benjamin Ravier Etudiant de master d’histoire moderne et contemporaine à l’ENS-LSH Vers la fin du Moyen-âge, les traités techniques se font de plus en plus nombreux et de plus en plus précis et compréhensibles, notamment grâce aux plumes d'Italiens polyvalents, à la fois artistes et ingénieurs. Hommes de cour, Leon Battista Alberti, Francesco di Giorgio Martini, Mariono di Jacopo dit le Taccola, ou encore le célèbre Léonardo da Vinci doivent le renom de leurs oeuvres techniques davantage à leurs nombreux croquis, témoins de leur inventivité, qu'à la réalisation effective de leurs inventions. En effet, on s'accorde désormais pour désigner le dessin comme principale source de créativité et surtout de transmission du savoir technique. Ce pouvoir de transmission fait du dessin un outil majeur pour ces ingénieurs qui ont su l'optimiser, en faisant passer des arts à la représentation des machines les règles de la perspective, des proportions ou encore de la coupe. De ce mariage de l'artiste et du technicien est née une profusion d'images qui envahit les carnets des inventeurs au détriment d'un texte souvent obscuri. Pourtant, justement parce qu'elles sont souvent précises, uniques, faites au crayon ou à la plume dans des carnets personnels, ces images sont très difficiles à reproduire et n'ont bénéficié que d'une étroite diffusion au XVIe siècle malgré l'invention de l'imprimerie. Tel n'est pas le cas des œuvres des humanistes, des scientifiques et surtout des ingénieurs qui apparaissent dans les générations suivantes. Tous ces hommes ont en commun de ne pas avoir les talents graphiques des artistes-ingénieurs de la première Renaissance. Ils doivent donc faire appel à des artistes extérieurs, graveurs de métier, formés aux nouvelles techniques de représentation. Les nombreuses illustrations qu'ils ont réalisées pour le compte des savants de tous domaines ont largement contribué au succès de leurs livres. Ainsi, les traités techniques foisonnent, et il nous faut en distinguer plusieurs types. Chronologiquement, on trouve d'abord les rééditions de textes antiques, souvent réillustrés, comme le De Re Militari de Végèce, dont plusieurs éditions paraissent dès 1520. Viennent ensuite les imposantes monographies consacrées à un domaine particulier de la technique : le De Re Metallica d'Agricola, paru en 1556, s'il est le plus connu, est un exemple particulier puisque Georg Bauerii n'est pas un ingénieur, mais un humaniste, philologue de formation; parmi les œuvres des ingénieurs, on peut citer Biringuccio et son livre, Pyrotechnia, paru en 1540. Entre la fin du XVIième et le début du XVIIième siècle apparaissent aussi les ouvrages dit de "réduction en art", qui visent à rationaliser un domaine de la technique, dont le savoir était jusqu'alors transmis d'artisan en artisan. Dans toute cette production technique, il est un dernier type d'ouvrages dont on a trop négligé l'importance : il s'agit des théâtres de machines, dont le premier paraît à Paris vers 1570. 1. Qu'est-ce qu'un théâtre de machine ? Le terme de "théâtre" est alors très usité et désigne des ouvrages variés. Il s'agit souvent de livres cherchant à donner un panorama des connaissances dans un domaine particulier. Mais l'appartenance à ce type d'ouvrages s'accompagne d'un certain nombre de caractéristiques qui différencient les théâtres de machines des autres types de traités techniques. Il faut d'abord noter l'extrême diversité de leurs centres d'intérêt, due au fait qu'ils traitent des machines comme d'un domaine à part. Or les machines sont précisément utilisées dans tous les domaines : transport, portage, construction, jeux d'eaux, artisanat, guerre etc, ce qui donne parfois l'impression d'ouvrages désordonnés. De plus, à l'inverse des autres ouvrages, l'image dans les théâtres de machines n'a pas le statut de simple illustration, ça serait plutôt l'inverse : les textes courts, parfois inexistants s'apparentent à des légendes, au mieux des descriptions, qui accompagnent l'image, imprimée sur une, et parfois deux, grandes pages. Ecléctiques, les auteurs de ces livres, en utilisant les gravures en abondance, ont contribué à former l'imaginaire technique de leurs contemporains. En effet, une autre caractéristique qui distingue les théâtres des autres types de traités techniques réside dans le fait qu'ils visent un plus large public que les initiés. Les livres ont d'ailleurs un but avoué de "divertissement mathématique", dont témoigne la permanente mise en scène des machines dans les images. En faisant passer la technique du secret de l'ingénieur au public, ces auteurs, aidés des graveurs, répandent dans les consciences les multiples possibilités qu'offrait alors la technique, bien qu'il soit remarquable qu'assez peu de théâtres ne mentionnent d'inventions vraiment révolutionnaires : porter, transporter, scier, tourner, pomper, tirer, fortifier intéressent bien plus ces ingénieurs que voler, ou se déplacer sous l'eau comme a pu tenter de le penser leur prédécesseur de Vinci. Cependant, tous ces caractères ne sont pas présents dès le premier théâtre de machine paru. En effet, si les historiens s'accordent pour faire du livre de Jacques Besson le premier des théâtres de machines, celui-ci n'en porte pas encore le nom en 1570. Retracer l'histoire de l'ingénieur, puis de la naissance de son ouvrage principal permettra de mieux saisir l'intérêt de ces ouvrages précieux pour l'étude des machines de la Renaissance et de l'imaginaire qu'elles ont pu véhiculer. 2. Jacques Besson, un ingénieur protestant au service du roi catholique Jacques Besson est né vers 1530 à Colombières, dans la vallée alpine de l'Oulxiii, qui, à l'époque se trouve dans le Dauphiné français. C'est donc dans une région montagneuse, soumise au prosélytisme de la Réforme Calviniste que grandit le futur ingénieur. On pense que le jeune Jacques quitte Colombières dès l'adolescence pour rejoindre les villes italiennes de la vallée du Po où il aurait appris à lire et à écrire, probablement en latin. Sans doute gêné par sa foi de réformé dans ce pays catholique, il rejoint la Suisse en 1557, où on retrouve sa trace de façon certaine. Il a alors une trentaine d'années, dont la moitié passée sur les routes. Pendant deux ans, de 1557 à 1559, Jacques Besson pérégrine entre Lausanne où il construit deux "machines d'eaux" pour la cité, Zurich où il publie un premier livre sur la thérapeutique et les distillations de plantes, et Genève, où il enseigne les mathématiques. C'est dans cette dernière ville qu'il se fixe en 1559 avec sa femme épousée l'année précédente devant Jean Calvin lui-même. Professeur de mathématiques, il décide d'entamer, sans qu'on sache dire pourquoi, des études ecclésiastiques en 1561. C'est ainsi que l'année suivante, à la demande d'Olivier de Serres, seigneur réformé du Pradel, député par le village de Villeneuve-de-Berg, Calvin envoie le pasteur Besson, à peine ordonné, dans ce village reculé du Vivarais. Suite à l'impossibilité de communiquer avec ses ouailles, il se réfugie chez Olivier de Serres qui devient son protecteur. Servant d'aumônier à la domesticité du Seigneur du Pradel, Jacques Besson rend d'autres services à son hôte qui a décidé de rationnaliser la production agricole de son domaine, notamment dans la maîtrise de l'eau, pour laquelle Besson s'avère être un homme ingénieux et donc précieux. Cependant, environ deux ans après et pour des raisons que l'on ignore, le futur auteur du Théâtre d'agricultureiv se sépare de son pasteur et refuse de le nourrir, lui et sa famille. Après 6 mois de famine et de vivotage, Besson parvient alors à Lyon en 1564, où, pour gagner sa vie, il travaille comme apothicaire et distille huiles et eaux pour soigner les malades. De Lyon, ville qui vient de repasser sous contrôle catholique, Besson écrit une lettre à Genève dans laquelle il explique qu'il ne reviendra pas dans la capitale de la Réforme, mais qu'il quitte Lyon, pour retrouver un ami à Orléans. Cet ami, c'est le parrain de sa fille Sarra, François Berauld, qui enseigne le grec dans la ville ligérienne. Besson le retrouve en effet en 1565. Il enseigne de nouveau les mathématiques, probablement sur la place publique. En 1566, survient un accident, qui le marque, et qui est sans doute l'une des raisons pour lesquelles il publiera son théâtre. Un de ses auditeurs publie un livre, dédié à la reine-mère, décrivant un instrument de mesure astronomique du nom de cosmolabe. Or il semble que cet instrument soit une invention de l'ingénieur dauphinois. Se sentant lésé, le mathématicien publie son propre Cosmolabe, lui aussi dédié à Catherine de Médicis, dans lequel il se plaint du plagiat. De plus, afin d'en éviter de nouveaux, Besson fait publier à la suite de son ouvrage un "Catalogue des meilleures, plus subtiles et plus nécessaires inventions", duquel il promet à ses lecteurs qu'il en fera un nouvel ouvrage. On voit déjà apparaître le projet de ce qui deviendra le Théâtre des instruments. Jacques Besson reste à Orléans jusqu’en 1569, date à laquelle il monte à Paris. Usant de ses talents de distillateur, il gagne sa vie en travaillant pour l’apothicaire Lo. Il semble qu’il partage alors son temps entre Paris, où il fait republier ses oeuvres et donne un nouvel ouvrage sur la géométrie euclidienne; et Montargis, où il fait la connaissance de Jacques Androuet du Cerceau, architecte et graveur au service de uploads/Litterature/ le-theatre-de-machines-de-jacques-besson.pdf

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