Collection « Bibliothèque Albin Michel Histoire » dirigée par Hélène Monsacré T

Collection « Bibliothèque Albin Michel Histoire » dirigée par Hélène Monsacré Traduction française © Éditions Albin Michel S.A., 2014 Édition originale parue sous le titre : The Throne of Adulis. Red Sea Wars on the Eve of Islam © Oxford University Press, New York, 2013 ISBN : 978-2-226-33308-7 Préface L’idée d’un livre bref, centré sur le trône d’Adoulis et son inscription, m’est venue voici plus de trente ans, quand j’ai lu un article qu’A. F. L. Beeston publia dans le Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 43, 1980, p. 453-458. Le titre en était saisissant : « The Authorship of the Adulis Throne » (L’auteur du trône d’Adoulis). Ayant de longue date compris que tout ce qui sortait de la plume de Freddy Beeston méritait la plus grande attention, je lus avec un intérêt particulier son article, qui touchait à mon travail de l’époque sur l’Arabie romaine. Une dizaine d’années auparavant, Freddy avait assisté à une conférence que je donnai à Oxford sur la politique romaine au Proche-Orient. Sa conversation fut alors, comme toujours, conviviale, instructive et mémorable. Par la suite, nous nous sommes revus de temps en temps, mais son travail n’est jamais resté bien loin de mon bureau. Freddy l’avait bien vu : le problème de l’inscription du trône d’Adoulis demeurait sans solution. Même s’il ne s’était pas intéressé à l’autre inscription, bien antérieure, de la stèle qui se trouvait à côté, ses réflexions sur le trône témoignaient de sa légendaire maîtrise de la langue et de l’épigraphie sudarabiques. Comme la plupart des chercheurs, aujourd’hui je ne puis accepter l’hypothèse que Freddy avançait, du moins pas sans la prudence de rigueur, en guise d’interprétation de l’inscription du trône, et, le temps ayant passé, il ne rime à rien d’essayer d’en discuter ou de la réfuter. Son idée qu’un roi himyarite éleva le trône et son inscription ne résiste pas aux preuves solides de l’épigraphie éthiopique à Aksûm ou des nombreux autres trônes dont des traces survivent. En revanche, Freddy a bien perçu que le trône d’Adoulis, auquel on ne devait largement s’intéresser qu’après la publication par J. W. McCrindle de sa première traduction de Cosmas Indicopleustès en 1897, pouvait être un document fondamental pour comprendre les guerres complexes et les luttes religieuses qui se déroulèrent dans la région de la mer Rouge dans les trois ou quatre siècles précédant l’Islam. Freddy aura ouvert la voie par son article de 1980. En 1983, quand je publiai Roman Arabia, le royaume juif des Arabes convertis au Himyar m’était apparu comme la plus extraordinaire de toutes les nations de l’Antiquité tardive au Proche-Orient. Ce royaume sortant du territoire de l’Arabie romaine, j’avais envisagé un volume complémentaire sous le titre L’Arabie juive. À cette époque, cependant, il me sembla qu’un pareil titre pouvait produire plus de malentendus que de lumières. La documentation était bien plus restreinte qu’elle ne l’est de nos jours. Avec tout ce que nous avons appris ces dernières années, cependant, l’histoire des Juifs de Himyar, dans le cadre de leurs relations avec les chrétiens d’Éthiopie par-delà la mer Rouge, nous est devenue beaucoup plus accessible. C’est elle que je me suis proposé d’étudier en examinant les multiples implications du trône d’Adoulis, des Ptolémée à Muhammad. La chance m’a été donnée de travailler avec un ancien étudiant de Princeton, George Hatke, qui, suivant sa propre voie, avait pareillement découvert la fascinante confrontation Himyarites-Éthiopiens. J’ai été ravi qu’il m’invite à siéger à son jury de thèse, dirigée par mon collègue et ami Michael Cook. Hatke a défendu avec succès son travail en novembre 2010, et j’espère vivement voir sa thèse publiée dans un avenir proche. Actuellement intitulée Africans in Arabia Felix : Aksumite Relations with Himyar in the Sixth Century C.E. (« Les Africains dans l’Arabie heureuse : relations aksûmites avec Himyar au VIe siècle de notre ère »), elle sera une mine pour les spécialistes qui souhaitent poursuivre leurs recherches dans ce domaine. Enfin, quelques-uns des problèmes abordés dans les derniers chapitres en lien avec les conflits entre l’Éthiopie et l’Arabie du Sud recoupent la première des trois conférences que j’ai données à Jérusalem en avril 2011 à la mémoire de Menahem Stern. Ces conférences, Empires in Collision in Late Antiquity, suivent l’histoire du conflit entre Byzance et la Perse et l’essor de Muhammad au VIIe siècle. Elles traitent de la prise de Jérusalem par les Perses en 614 (deuxième conférence) et de la chute de l’Empire perse (troisième conférence). C’est la tête pleine de ce matériau que j’ai répondu avec enthousiasme à la riche idée de Stefan Vranka d’une série de volumes consacrés à des objets ou des événements emblématiques de l’histoire, en revivant l’excitation éprouvée longtemps auparavant à la lecture de Freddy Beeston démontrant que le trône d’Adoulis évoquait tout le monde complexe de l’impérialisme et de la religion autour de la mer Rouge. L’existence de ce livre doit donc autant à Stefan qu’à Freddy. Tout spécialiste du domaine saura naturellement ma dette envers les travaux pionniers de Christian Julien Robin et de ses collègues de Paris. L’essor récent de l’épigraphie sudarabique, dont Robin est un maître, a apporté une confirmation bien venue aux traditions et suppositions débattues depuis des siècles. Comme si souvent par le passé, je suis profondément redevable à Christopher Jones de Harvard, mon collègue et ami depuis plus de cinquante ans, pour la lecture critique de ces pages. Glen W. Bowersock Princeton, août 2012 Prologue Dans le sud-ouest de l’Arabie, région connue dans l’Antiquité sous le nom de Himyar et qui correspond à peu près au Yémen actuel, la population locale se convertit au judaïsme à la fin du IVe siècle de notre ère. Autour de 425, un royaume juif avait déjà pris forme. Dès lors, pendant un peu plus d’un siècle, avec une seule interruption significative, ses rois régnèrent sur un État explicitement voué à l’observance du judaïsme et à la persécution de sa population chrétienne. Les traces ont survécu au fil de longs siècles dans les écrits historiques arabes ainsi que dans les récits grecs et syriens des chrétiens martyrisés. Longtemps, les historiens incrédules ont été enclins à y voir à peine plus qu’un monothéisme local qui aurait emprunté sa langue et ses traits aux Juifs qui s’étaient fixés dans la région. C’est seulement à la fin du siècle dernier que surgirent assez de pierres gravées pour prouver définitivement la véracité de ces récits surprenants. Nous pouvons dire désormais que toute une nation d’Arabes de souche, dans le sud-ouest de l’Arabie, s’était convertie au judaïsme et en avait fait la religion officielle. Ce royaume bizarre, mais militant, de Himyar devait être finalement renversé par l’invasion des forces de l’Éthiopie chrétienne venues de l’autre rive de la mer Rouge. Elles firent voile depuis l’Afrique de l’Est, où les rejoignirent les renforts dépêchés par l’empereur chrétien de Constantinople. Sur le territoire de Himyar, elles affrontèrent et détruisirent les armées du roi juif et mirent fin à ce qui fut, sans doute, le bouleversement le plus improbable, si extraordinaire soit-il, de l’histoire de l’Arabie avant l’Islam. En dehors des spécialistes de l’Arabie du Sud antique ou de l’Éthiopie chrétienne ancienne, peu de chercheurs ont eu connaissance de ces événements, mais une équipe énergique et talentueuse conduite par Christian Julien Robin a poursuivi un travail de pionnier sur ce royaume juif yéménite. On ne saurait se pencher sur le royaume de l’Arabie juive sans se référer constamment à ses voisins : les Éthiopiens d’Aksûm en Afrique de l’Est, les Byzantins à Constantinople, les Juifs à Jérusalem, les Perses sassanides en Mésopotamie et les cheiks arabes à la tête des grandes tribus du désert. Peu après 523, ces intérêts puissants durent tous affronter le massacre sauvage que le roi juif des Arabes lança contre les chrétiens dans la ville de Najrān. Le roi lui-même entra dans des détails atroces dans le récit qu’il fit à ses alliés arabes et perses des massacres perpétrés contre tous les chrétiens qui refusaient de se convertir au judaïsme. La nouvelle de ses actions infâmes se répandit rapidement à travers le Moyen-Orient. Un chrétien présent lors de la réunion convoquée par un cheikh arabe où le roi juif fit état de la persécution en fut horrifié et expédia aussitôt des lettres pour en informer les communautés chrétiennes de toute la région. Quand le bruit du massacre parvint à Aksûm, en Éthiopie chrétienne, le roi qui y avait sa capitale saisit l’occasion pour rassembler ses troupes et traverser la mer Rouge afin de venir en aide aux chrétiens arabes. La religion fut sans conteste le dénominateur commun de ce qui devait être une vaste ingérence internationale dans les affaires arabes. Mais les Éthiopiens invoquèrent aussi leur foi chrétienne pour accomplir une mission qui favorisa également leurs propres desseins impérialistes et, dans le même temps, soutenir l’empereur byzantin, dont le désir de miner l’Empire perse avait renforcé son ardeur chrétienne à attaquer les Juifs arabes. Les convertis comme les colons juifs d’une époque antérieure qui vivaient à Yathrib (la future Médine) uploads/Litterature/ le-trone-d-adoulis-glen-w-bowersock.pdf

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