La réception de Mallarmé en Espagne Une analyse de l’introduction et de la prés
La réception de Mallarmé en Espagne Une analyse de l’introduction et de la présence de Mallarmé en Espagne, configurant un siècle de réception en une quinzaine de pages, ne saurait être que schématique suivant un découpage sommaire qui, néanmoins, permet de parcourir une évolution réceptrice, sans doute applicable à la plupart des œuvres poétiques du Parnasse et du Symbolisme, et de poser les bases d’une éventuelle étude des différentes pratiques traduisantes face aux textes de Mallarmé. J’ordonnerai cette réception en quatre grandes étapes, chronologie qui prétend se situer au-delà d’une simple transmission de faits et de dates, et s’articuler autour des différents courants poétiques et des réflexions sur la pratique traduisante dans la société réceptrice. La première étape considérée se situe entre la fin du XIXe siècle et 1915, et s’inscrit dans le cadre d’une vie littéraire et culturelle espagnole fortement marquée par un réseau de relations avec la France et les pays hispano-américains. Certains écrivains espagnols et hispano- américains possédaient une bonne connaissance de la littérature française dans la mesure où ils s’exilaient à Paris ou bien y séjournaient pour des raisons diverses (ils y exerçaient leur métier de diplomates, journalistes, ou temporairement un travail de traducteur). D’autre part, la possession d’une langue commune a longtemps favorisé, non seulement les contacts des poètes hispano-américains avec l’Espagne, où ils transmettaient leur connaissance des auteurs français, mais leur a également permis de prendre part à la vie littéraire espagnole, et d’en être parfois les mentors, comme ce fut le cas pour le poète nicaraguayen Ruben Darío qui deviendra la figure de proue du modernisme. Ces brefs préliminaires pour signaler que la réception de Mallarmé en Espagne est indéniablement marquée par la réception hispano-américaine, et que les premières traductions en langue espagnole ont été publiées avant 1900 dans des revues littéraires d’Amérique Latine (cf. Reyes, 1932), alors qu’il faudra attendre 1903 pour l’Espagne. D’ailleurs, cette antériorité chronologique est également vraie pour d’autres poètes français, notamment pour Verlaine (Ferreres, 1975 : Chap. II). L’absence de traductions de textes de Mallarmé à la fin du siècle en Espagne est cependant quelque peu compensée par des références au poète sous la plume d’écrivains, références qui s’inscrivent pour la plupart dans un rapport avec Verlaine1 : Fernández Shaw2 établit un parallélisme entre les deux poètes et les présente comme précurseurs des décadents ; Emilia Pardo Bazán3 le juge inférieur à Verlaine ; E. Gómez-Carrillo, dans ses nombreuses chroniques espagnoles et hispano-américaines, incluait indirectement Mallarmé lorsqu’il plaidait en faveur 1 Verlaine, mentor du modernisme en Espagne a été, de tous les poètes de la confluence Parnasse-Décadence- Symbolisme, le poète français le plus traduit en Espagne et en Amérique Latine (Sáez Hermosilla, 1989 : 44). 2 C. Fernández Shaw dans l’introduction à la traduction espagnole de poèmes de François Coppée : « Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé, dos parnassiens de indudable mérito, seducidos por el ansia de la novedad, se inspiraron en las exageraciones que, al ser aplaudidas e imitadas, dieron orígen al grupo de los décadents ». Voir Poemas, 1886, cité par Ferreres (1975 : 45). 3 « El joven crítico [Pica] acierta cuando dice que Verlaine y Mallarmé han cometido el delito de ser innovadores en materia estética [...] Verlaine siente más que Mallarmé, y [...] cuando acierta a pulsar la cuerda de dolor sublime y poesía que resuena en los tremendos dogmas católicos, su fondo es incomparablemente superior al de Mallarmé ». Voir La España Moderna, febrero de 1890, (Ferreres, 1975 : 53-54). Revue d’Études Françaises ¾ No 5 (2000) de la réforme poétique de Verlaine : en 1897, il définit Mallarmé comme le plus difficile des auteurs et taxe certains de ses poèmes de hiéroglyphes, le situant à la hauteur de Góngora4. Dans l’ensemble, les commentaires semblent superficiellement admiratifs (on loue sa « nouveauté »), mais certains sont également quelque peu méprisants tels ceux d’un romancier comme Pío Baroja5 ou d’un poète et philosophe comme Unamuno6 qui lui reprochent son « exagération ». Cette première présence en filigrane de Mallarmé doit être recontextualisée sur deux axes : d’une part, une crise littéraire interne (amplement étudiée), une profonde insatisfaction envers les institutions culturelles et l’expression artistique héritées du XIXe siècle, doublées d’une crise sociale qui conduit à une polémique entre la transcendance de l’art et l’art pour l’art ; et d’autre part, un conflit portant sur la réception des textes étrangers, car, en effet, l’Espagne fin de siècle est indéniablement marquée par la traduction. C’est l’époque où tout le monde traduit et où l’on traduit « tout » : les littératures française, anglaise, américaine, russe, portugaise, scandinave, mais aussi, et principalement dans l’orbite culturelle française, les essais critiques, théoriques, les ouvrages scientifiques, juridiques, les ouvrages de pédagogie, etc. (Mainer, 1983 : 58-59). Ce cosmopolitisme fit l’objet d’un débat ardent qui marqua toute la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe jusqu’aux années 19307, et donna lieu à de nombreuses querelles esthétiques et idéologiques. D’aucuns y voient une possibilité de revitalisation littéraire thématique et formelle après une longue période de repliement sur la tradition (Pérez de Ayala, Díez-Canedo), alors que d’autres, au nom du patriotisme littéraire, se posent en détracteurs de ce qu’ils considèrent une colonisation culturelle et une imposition de moules et de modèles d’écriture, et réclament un retour aux sources nationales8. 4 « Algunos de sus poemas parecen jeroglíficos [...] Una claridad avara de sí misma, una rosa que trata de ser la evocación de todas las rosas, reliquia invisible, gota de sol en diamante negro, fuego móvil de faro brillando por instantes en el firmamento negro, tal es, realmente, el arte de Mallarmé – arte misterioso y sugestivo ; pero sin robustez, sin pasión, casi sin vida ; arte de artífice para algunos ; arte de relojero para los demás. [...] Mallarmé vivirá en la historia de las letras francesas como Góngora vive en la historia de nuestras letras. Ambos fueron al principio grandes poetas sencillos ; ambos complicaron conscientemente sus estilos ; ambos fueron ininteligibles y admirables », El cojo ilustrado (Venezuela) Julio de 1897 . Voir Gómez Carrillo, 1993 : 117-121. 5 Pío Baroja détestait Mallarmé et les décadents (J. Corrales Egea, Baroja y Francia, Madrid, Taurus, 1969, pp. 204 et 210-211). D’autre part, lors de la mort de Mallarmé un article – signé ‘Arlequín’– s’en prend aux décadents et présente Mallarmé comme simple successeur de Verlaine, Madrid cómico, 24 de setiembre de 1898 (Ferreres, 1975 : 56). 6 À propos de Verlaine et Mallarmé dans une lettre à Rubén Darío : « por más que me juren sus adeptos, siempre me parecerán poseurs o gentes que no acertaron a decir lo que pensaban, porque pensaban incompletamente y en pura niebla », cité par Díaz-Plaja (1951) Modernismo frente a noventa y ocho, Madrid, Espasa-Calpe, 1979 :181. 7 A. Machado : « liberarnos del aparato francés que, como último alimento, venimos chupando hace dos siglos »; Díez-Canedo : « no nos indignemos por los influjos recibidos de Francia, sobre todo porque apenas podemos recibir otros. La mayoría de nuestros escritores que admiran a Nietzsche, Carlyle, Ibsen, etc, los han leído en traducciones francesas. Huimos de Francia y con Francia nos encontramos en todas partes », cités par Blanch (1976 : 180-181). 8 Clarín raille les détracteurs : « la influencia de las letras francesas en las españolas es tan grande, que suele servir de tema a los académicos catecúmenos para probar su patriotismo literario protestando enérgicamente, y no sin algún galicismo, de este pernicioso influjo, que, según los seudoclásicos, nos trae, con la corrupción de las costumbres, la corrupción de las leyes, y otra porción de cosas podridas » (Beser, 1968 : 125) ; Clarín considérait d’ailleurs la traduction comme l’une des entreprises les plus risquées et jugeait de façon très sévère non seulement les traductions françaises des poètes espagnols (1892 : 212-213), mais aussi la précipitation avec laquelle on les érigeait en modèle à imiter : « Nuestras medianías no saben más que imitar [...] Todo se reduce a escribir como Campoamor, o como Bécquer, o como Nuñez de Arce, o como Quintana o como los traductores de los poetas clásicos o de los modernos extranjeros » (Revista Literaria, 1890, (1892 : 231). Point de vue repris en 1907 par Eduardo de Ory qui affirmait que Verlaine, Baudelaire et Mallarmé servaient de modèles à de 66 CLAUDINE LECRIVAIN : La réception de Mallarmé en Espagne Cependant, cet enthousiasme traductionnel ne saurait nous faire perdre de vue la réception de textes en langue originale puisque jusqu’à la première guerre mondiale il existait encore, essentiellement à Madrid et à Barcelone, quelques librairies françaises (Botrel, 1993 : 541-577), et que la langue française était pratiquement la seule langue étrangère enseignée, langue que connaissaient écrivains et critiques, qui avaient d’ailleurs eu, pour un grand nombre d’entre eux, l’occasion de séjourner en France et étaient des lecteurs assidus des auteurs français. La diffusion de l’œuvre de Mallarmé eut donc également lieu sans aucun doute par l’intermédiaire des textes originaux et des ouvrages critiques uploads/Litterature/ lecrivain-etudes-francaises-pdf.pdf
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- Publié le Jui 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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