LECTURE DE L’ETOURDIT: Lacan 1972 Christian Fierens Editorial L’Harmattan Paris

LECTURE DE L’ETOURDIT: Lacan 1972 Christian Fierens Editorial L’Harmattan Paris 2002 PREFACE INTRODUCTION PREMIER TOUR: LE SIGNIFIANT ET L’ABSENCE DE RAPPORT SEXUEL CHAPITRE 1: RAPPORT DE SIGNIFICATION ET SENS (PART 1‐5) 1.1 LE SIGNIFIANT ET LE DISCOURS 1.2 UN RAPPORT ENTRE SIGNIFICATIONS HETEROCLITES OU LE DELIRE DE INTERPRETATION 1.3 LE RAPPORT DE SIGNIFICATION DU SIGNIFIANT ET L’INTERPRETATION 1.4 L’UNIVERSELLE ET L’EXISTENCE DE UN DIRE LECTURE DE L’ETOURDIT: Lacan 1972 CHRISTIAN FIERENS (8) PREFACE Est‐il lisible ? Toute la vie de l'écrivain Lacan pourrait se résumer par le voeu d'être lu enfin convenablement » (Litturaterre, Autres Ecrits, p. 13). Loin d'être matière à simple lecture, les Ecrits de 1966 et a fortiori les Autres Écrits, publiés en 2001, devraient être déchiffrés comme des rébus. En cela, ils emboîteraient le pas réservé au rêve dans la Traumdeutung freudienne. Chaque morceau ‐ obscur ou non ‐ y serait soumis au travail de la parole, de l'association et du dire, dans la foi qu'apparaîtrait un sens. Mais en décryptant les Écrits, les lit‐on convenablement ? Au cours d'un séminaire de six ans qui visait l'interprétation des écrits de Lacan de A à Z, un texte m'apparut particulièrement obscur et énigmatique: L'Etourdit résistait au déchiffrage. Je m'étais promis de répertorier les obscurités du texte et de les travailler une à une. Au fur et à mesure de ce déploiement explicatif, le répertoire s'enflait de nouvelles obscurités inaperçues ou minimisées lors de la première lecture: l'obscur se glissait dans la texture de l'éclaircissement. Allais‐je m'enfoncer paradoxalement dans les ténèbres d'un texte se refermant sur un hermétisme terminal ? Si le nombre de mes questions augmentait, je constatais aussi que ce déploiement éclaircissait non seulement certains points obscurs, mais aussi la trame, l'étoffe du texte lui‐même. Cheminant entre chien et loup, l'accomplissement de mon désir ‐ interpréter L'Etourdit ‐ s'est fait attendre jusqu'à ce point du jour où les fils de l'explication se nouent et se dénouent suffisamment pour former une « interprétation ». Car l'interprétation n'est pas clarté absolue. Construite d'ombres et de lumières, l'interprétation trouve réponse à chaque question pour autant que chaque réponse relance le questionnement. (9) Pour qui donc ce point du jour interprétatif? Non pour le texte, étourdit, qui n'a point de regard et reste aveugle au commentaire. Peut‐être pour le regard bienveillant qui n'y retrouvera que ce qu'il voudra bien y mettre, soit la réponse de son travail. Peut‐être aussi pour le regard aveugle de celui qui, dans l'ombre, y décèlera l'énigme. Regard aveugle de Tirésias qui au‐delà de la monstration et de la démonstration élève la voix et fait deviner l'absence en jeu dans l'interprétation. (10) INTRODUCTION L'étourdit est la forme primaire qui nous distrait de notre sémantique consciente, il est apparition de l'inconscient dans sa dimension de non‐sens, il ouvre un au‐delà de la signification courante. A partir de cet étourdit où affleure l'inconscient, s'agirait‐il de rappeler l'implication du sujet dans son énonciation ? Ou encore l'interprétation est‐elle subjective, prédéterminée par le sujet ? Disons‐le d'emblée : l'interprétation ‐ au sens psychanalytique du terme ‐ n'est pas « modale », elle n'est tributaire ni de la subjectivité, ni de l'intersubjectivité des personnages en présence, même si le transfert et le contre‐transfert peuvent en louer avec perversité. Il ne s'agit pas non plus de passer de l'état subjectif d'étourdi à l'état subjectif d'éveillé. Si, en soi, l'interprétation psychanalytique n'est pas subjective, d'où tire‐t‐elle son objectivité ? Du texte sans doute, à condition de ne pas l'entendre à partir de la seule signification. L'interprétation ne se réduit nullement à expliquer la signification du texte ! L'analyste digne de ce nom le sait bien lorsqu'il fait porter tout le poids de l'interprétation sur la citation objective de l'analysant : tu l'as dit dans le plus léger trébuchement (linguae ou calami), les tours disent encore et encore ce que tu as déjà dit. Ouvrons donc la question de « L'Etourdit » à partir de la lettre objective du texte. L'auditeur entend d'abord « l'étourdi » ; mais la lettre terminale « t » de « l'étourdit » invalide directement cette compréhension ; l'auditeur du participe substantivé « l'étourdi » (10) se ravise donc et devient lecteur de la lettre. À vrai dire, la séquence littérale « l'étourdit » n'a aucun sens, à moins de faire du « l' » un pronom et de « étourdit » un verbe : « cela l'amuse et l'étourdit ». La lettre « t » pose la question : mais où est passé le sujet grammatical de cette séquence littérale «... l'étourdit » ? L'étourdit va au‐delà des significations de ses composantes, il nous apostrophe : où est le sujet grammatical disparu ? Qui le fera apparaître ? Par le développement de ses questions, L'Etourdit induira un effet de sujet (psycho‐) logique tant et si bien qu'après lui, le sujet auditeur sera transformé en sujet « lecteur » de la lettre, il sera Autre. Ce nouveau sujet, effet de l'écrit, vérifie précisément l'enjeu des Écrits de Lacan, comme nous l'annonce La lettre volée. C'est là « lire convenablement », c'est là interprétation en même temps que disparition ‐ apparition d'un sujet. L'étourdit phoniquement possible est graphiquement impossible. Le possible « étourdi » est contredit par la graphie d'un « étourdit » impossible. Possible et impossible, « étourdit » est une énigme d'autant plus ardue que ce signifiant ne viendra qu'une seule fois dans le texte. Que le titre condense le texte, qu'il en soit le pivot ou qu'il en donne la clef interprétative, il faut élucider l'énigme de l'étourdit à partir de son occurrence dans le texte. La reprise du nom « étourdit » dans le texte, qui peut être appelée reprise de S1 dans S2 ou reprise d'un signifiant dans un autre signifiant, s'inscrit dans un paragraphe occupant une place centrale bien délimitée par des guillemets. Ce paragraphe est aussi le seul paragraphe entre guillemets « Tu m'as satisfaite, petithomme. Tu as compris, c'est ce qu'il fallait. Vas, d'étourdit il n'y en a pas de trop, pour qu'il te revienne l'après midit. Grâce à la main qui te répondra à ce qu'Antigone tu l'appelles, la même qui peut te déchirer de ce que j'en sphynge mon pastoute, tu sauras (11) même vers le soir te faire l'égal de Tirésias et comme lui, d'avoir fait l'Autre, deviner ce que je t'ai dit. » (S 25a; AE 468, Parlêtre 20.5) 1 Que nous disent ces guillemets ? Le paragraphe met en scène une énonciation nécessairement différente de celle du reste du reste. Quels sont le (Je » et le « tu » de ce discours direct ? Qui parle dans ce paragraphe ? La réponse n'est pas explicitée s l'extérieur de la citation et apparaît énigmatique non seulement pour le « lecteur » pressé, mais plus encore pour le lecteur attentif. Le locuteur s'est pourtant désigné deux fois à l'intérieur du texte lui‐même : 1° « Tu m'as satisfaite » ; grammaticalement, ce serait donc un « être » du genre féminin qui parle, et 2° « j'en phynge mon pastoute » ; comme Sphynge, elle poserait ses énigmes. À qui ? Sans doute, la Sphynge adresse‐t‐elle son énigme à OEdipe et nous pourrions nous glisser dans sa peau pour poser la question de notre vérité énigmatique, comme Freud l'avait déjà fait pour démêler sa propre histoire familiale peu commune. Mais plus directement, le paragraphe entre guillemets suit le paragraphe précédent écrit par Lacan : il s'adresserait donc d'abord à Lacan lui‐même. De plus la grammaire de L'Etourdit indiquerait clairement que la Sphynge s'adresse à Lacan en tant qu'il a contribué à l'approche du «pastoute » (que nous laisserons provisoirement dans l'énigme de la Sphynge). L'apport de Lacan au « pastoute » se structure en trois moments qui se comptent : (12) d'abord quatre, puis deux, enfin trois (explicité comme quadripode des quatre places des quatre discours, bipode des sexes et trépied formé par les deux sexes plus le phallus ou par la triangulation phallique). Quatre, deux, trois, l'ordre est suffisamment ahurissant et énigmatique pour y entendre la citation de l'énigme de la Sphynge : quel est l'être qui marche successivement à quatre pattes (le matin), à deux pattes (à midi) et à trois pattes (le soir)? La question de la Sphynge s'adresserait donc à Lacan lui‐même, nouvel Oedipe face à l'antique question qu'est‐ce que l'homme. Les rôles seraient ainsi bien partagés : « je » serait la Sphynge, « tu » serait Lacan. Mais pourquoi n'avoir pas nommé clairement les interlocuteurs impliqués dans ce discours direct ? Revenons à notre citation ou à notre énigme. Formellement, le paragraphe énigmatique se compose de quatre phrases 1) « Tu m'as satisfaite, petithomme ». 2) « Tu as compris, c'est ce qu'il fallait ». 3) « Vas, d'étourdit il n'y en a pas de trop, pour qu'il te revienne l'après midit ». 4) « Grâce à la main qui te répondra à ce qu'Antigone tu l'appelles, la même qui peut te déchirer de ce que j'en sphynge mon pastoute, tu sauras uploads/Litterature/ lecture-de-l-x27-etourdit-fierens-preface-introduction-chapter-1.pdf

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