L’Émotion, puissance de la littérature ? Textes réunis et présentés par Emmanue
L’Émotion, puissance de la littérature ? Textes réunis et présentés par Emmanuel Bouju et Alexandre Gefen p r e s s e s u n i v e r s ita i r e s d e bo r d e au x Modernites34.indd 1 19/09/12 11:19 Modernités Comité international de lecture Jacques Dubois, professeur à l’université de Liège, Belgique Pierre Glaudes, professeur à l’université Paris-Sorbonne, France Laurent Jenny, professeur à l’université de Genève, Suisse Sandra Laugier, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, France Akira Mizubayashi, professeur à l’université de Sophia de Tokyo, Japon Jacques Neefs, professeur à la Johns Hopkins University, États-Unis Michael Sheringham, professeur à All Souls College, University of Oxford, Royaume-Uni Ce volume est publié avec le soutien de l’équipe d’accueil « Textes, littératures : écritures et modèles » EA 4195 (TELEM) de l’université Bordeaux 3 et du projet « Les Pouvoirs de l’art. Expérience esthétique, émotions, savoirs, comportements », soutenu par l’Agence nationale de la recherche. Nous tenons également à remercier Éric Thiébaud, qui s’est chargé de la préparation du texte. Modernites34.indd 2 19/09/12 11:19 SOMMAIRE Emmanuel Bouju et Alexandre Gefen, Introduction..........................................5 I – PERSPECTIVES DISCIPLINAIRES : SENSIBILITÉ, IMAGINATION, ÉTHIQUE Sandrine Darsel, Imagination narrative, émotions et éthique.......................13 Maria O’Sullivan, Barthes, art et émotion. ...............................................................35 Anne Vincent-Buffault, Sensibilité et insensibilité : des larmes à l’indifférence........................................51 Jean-Pierre Martin, Ces émotions à fleur de peau, sans nom pour les désigner.................................73 Martine Boyer-Weinmann, Thymotique d’une passion ordinaire : en quoi la colère est-elle littérairement féconde ?....................................................85 Frédérique Leichter-Flack, Une question de vie ou de mort ? Des usages éthiques de l’émotion dans la fiction. .............................................................................................. 101 II – PERSPECTIVES GÉNÉRIQUES : EMPATHIE, AFFECTIONS, DYNAMIQUE Jenefer Robinson, L’empathie, l’expression, et l’expressivité dans la poésie lyrique. ................ 119 Michel Collot, « Cette émotion appelée poésie » (Pierre Reverdy)............ 131 Élisabeth Rallo Ditche, Voix et émotions dans Daniel Deronda de George Eliot................................... 147 Maryline Heck, Les affects entre parenthèses : W ou le souvenir d’enfance, de Georges Perec. ................................................................................................................... 161 Élisabeth Cardonne-Arlyck, Entre humeur et émotion : la mélancolie mobile de Jacques Roubaud et W. G. Sebald. .............................173 Frédérique Toudoire-Surlapierre, La critique : ou Les stratégies de l’émotion.............................................................. 191 Les directeurs........................................................................................................................212 Modernites34.indd 3 19/09/12 11:19 Modernites34.indd 4 19/09/12 11:19 Introduction « Je ne crois pas aux fantômes, mais j’en ai peur », disait la marquise du Deffand. Comment se fait-il que nous puissions avoir peur ou nous enthousiasmer en compagnie d’un personnage de fiction dont nous savons pertinemment le caractère illusoire ? Pourquoi pleure-t-on au théâtre, et de quelle nature sont nos larmes ? Cette illusion affective n’a cessé de troubler la pensée du littéraire ; et qu’il s’agisse de s’en inquiéter (comme Platon) ou de s’y intéresser (comme Aristote), on ne saurait contester qu’en littérature particulièrement, « l’usage des émotions permet une sorte de contrôle temporaire de l’état mental d’autrui » – comme l’affirme ce grand historien des sentiments qu’est William M. Reddy. Cette question, un temps éclipsée par le dédain de la recherche littéraire pour des problématiques apparaissant comme insuffisamment formalistes et trop « psychologisantes », a retrouvé de la vigueur ces dernières années, en profitant de cadres descriptifs et de vocabulaires capables de rendre compte du travail des émotions – que ceux-ci soient issus de l’ancienne rhétorique des passions et de son analyse du movere, de la philosophie morale, de la phénoménologie, de l’anthropologie ou des sciences cognitives. Nombreuses sont, dans ce cadre, les interrogations difficiles auxquelles confronter l’analyse. Existe-t-il des émotions propres à l’expérience littéraire – qui pourraient justifier la formule de Jules Renard, évoquant un « homme sans cœur, qui n’a eu que des émotions littéraires » ? Comment penser l’émotion fictionnelle, ses limites et ses débordements ? Comment évaluer l’incidence sur nos comportements des savoirs produits ou des exemples instanciés par la littérature Modernites34.indd 5 19/09/12 11:19 6 Emmanuel Bouju et Alexandre Gefen sans prendre en compte leur puissance d’affection ? Il est désormais impossible de penser la réception, les genres, les valeurs et l’idée même de littérature sans s’intéresser à l’histoire des sensibilités et de leurs manifestations sociales ; tout comme il est inutile de décrire les formes de partage ou de discordance du goût sans penser les mécanismes subjectifs de transfert et de distanciation affectifs. Au contraire, la puissance affective semble être au centre du programme de la littérature moderne : faussement étouffée à l’âge de l’autonomie de la littérature, elle constitue (peut-être par défaut ?) une forme de réengagement subreptice de la littérature dans le monde, une modalité d’action dont les écrivains soulignent la paradoxale dimension éthique, voire politique ; à l’instar d’autres expériences artistiques, les esthétiques empathiques ne laissent pas de revenir sur les troubles de notre mémoire, sur les dysfonctionnements de nos communautés, sur la vulnérabilité psychique et sociale. Usant des armes de la compassion comme de l’ironie, elles réintroduisent de l’émotion dans les événements hors de portée ou, au contraire, mettent à distance l’immédiateté de l’histoire en en déplaçant le point de vue sensible. Ces interrogations ont présidé à l’organisation d’une journée d’étude à l’École normale supérieure – Paris, dans le cadre conjoint des activités du Groupe phi (CELLAM, Rennes 2) et de l’équipe TELEM (Bordeaux 3), puis ont guidé le séminaire qui a continué de se tenir au sein de cette dernière équipe. Ce sont certains des textes communiqués dans ce cadre qui forment le présent volume, organisé en deux parties. * La première série des articles réunis offre une gamme de perspectives disciplinaires sur les usages de la sensibilité, la puissance de l’imagination et la valeur éthique de l’émotion littéraire. Dans une perspective de philosophie morale, Sandrine Darsel examine tout d’abord les diverses théories qui s’affrontent concernant la question du rôle éthique ou de la valeur éthique des œuvres d’art narratif, et évalue la place que prennent les émotions dans ce débat ; elle plaide pour une thèse performative, dite « optimiste disjonctive » – laquelle « enchevêtre » conception théorique et conception émotiviste, au profit d’une mobilisation des tensions émotionnelles et cognitives dans l’expérience par cas. Il s’agit alors de retrouver dans l’expérience esthétique ce « moment d’aventure, de performance, d’engagement et d’improvisation morale » que sollicite la collaboration des sens, de l’imagination, des émotions et de la raison. Modernites34.indd 6 19/09/12 11:19 Introduction 7 Relevant d’une perspective d’esthétique générale, le second article s’attache quant à lui, à partir de Barthes, à l’émotion inscrite dans le cadre d’une opération de « découpage », dont Maria O’Sullivan identifie la nature au sein des « arts visuels » que sont le théâtre et le « tableau » : liée – comme dans le cas de la littérature en général ou de la photographie – au statut d’« opérateur de gestes1 » de ces arts, la force émotive (ou « non intellective ») de l’objet d’art ne découle pas tant du geste de délimitation et d’encadrement qui l’accompagne, que de ce que ce geste, inattendu et désiré, laisse à ses bords. Du point de vue cette fois de la sociologie et de l’histoire, il s’agit, pour Anne Vincent-Buffault (« Sensibilité et insensibilité : des larmes à l’indifférence »), de considérer l’émotion non comme un état psychique interne et individuel, mais comme une production sociale, à laquelle contribuent les régimes d’écriture littéraire et intime : non seulement en manifestant le caractère approprié ou inapproprié, à un moment et en un lieu donnés, des expressions de la sensibilité, mais aussi et surtout en en pratiquant la configuration expérimentale et en en instituant le sens. L’exemple est donné des formes subjectives de l’indifférence que la littérature (Balzac, Heine, Musil) et le journal (Amiel) ont le pouvoir de rendre sensibles en les accordant à certains moments de développement du régime démocratique. Quant aux deux articles suivants, ils relèvent résolument d’une perspective d’anthropologie littéraire et de poétique des affects. Dans « Ces émotions à fleur de peau, sans nom pour les désigner », Jean-Pierre Martin effectue, à la manière remarquable qui est la sienne, un plaidoyer en faveur d’un pouvoir singulier de la littérature de récuser les codes du pathétique, la grammaire de l’émotion ou l’algèbre des sentiments : dans l’« impouvoir » de la littérature de répertorier la violence des sentiments, dans sa résistance à l’« autorité du discours tenu », les écrivains comme Proust ou Sarraute trouvent le moyen de définir une anthropologie littéraire de l’émotion, fondée sur l’appréhension du « fugace » ou de l’« infinitésimal ». Martine Boyer-Weinmann, quant à elle, propose de façon non moins frappante la « thymotique d’une passion ordinaire » : en développant, à la suite de Sartre, Barthes et Sloterdijk, les lignes directrices d’une « pensée littéraire de la colère », elle examine l’« efficace pragmatique » d’une configuration textuelle des passions par laquelle 1 Roland Barthes, « Cy Twombly ou Non multa sed multum » [1979], in L’Obvie et l’Obtus [1982] et OC IV, p. 706. Modernites34.indd 7 19/09/12 11:19 8 Emmanuel Bouju et Alexandre Gefen l’« énergie thymotique » de la littérature (son thymos, son souffle) trouve à s’exercer pleinement. Enfin, dans son article sur uploads/Litterature/ lemotion-puissance-de-la-litterature.pdf
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- Publié le Mar 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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