FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 1 - janvier-juin 2

FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 1 - janvier-juin 2001 Les Druides dans l'ancienne société celtique par Jean Loicq Professeur honoraire de l'Université de Liège Adresse : avenue Nandrin, 24 - 4130 Esneux (Belgique) <loicq-berger@skynet.be> Repris des Mélanges de science religieuse, t. 57-2, 2000, p. 31-45, avec l'aimable autorisation de l'éditeur de cette revue. Dans le prolongement de cet article de 2000, on verra aujourd'hui, du même auteur : J. Loicq, Le druide et la symbolique du chêne. Une réhabilitation d'une étymologie ancienne, étude parue dans Mélanges de science religieuse, t. 60-4, 2003, p. 5-19. Nous n'avons pas pu retranscrire avec exactitude tous les signes particuliers du sanscrit ou du celtique. Nous le regrettons et nous nous en excusons auprès de l'auteur de l'article. Note de l'éditeur Plan • Résumé • Summary • Introduction • I. Les origines • II. Organisation hiérarchique, enseignement, recrutement • III. Savoirs et pouvoirs • Conclusion • Suggestions bibliographiques Résumé Notre documentation, étrangère et tendancieuse pour l'Antiquité, christianisée et légendaire pour le Moyen Âge, ne nous permet d'atteindre que par l'extérieur la classe sacerdotale chez les Celtes, et donc de n'envisager le thème de l'engagement que sous son aspect sociétal. La présente synthèse passe en revue quelques traits par où s'affirme la prééminence des druides, garants des valeurs de la société celtique et de son unité : haute antiquité de l'institution, comparable à celle des brahmanes de l'Inde ou des flamines romains; subordination du pouvoir, fût-il royal, au savoir; préservation de l'oralité du savoir et de l'engagement contractuel; diversité hiérarchisée des fonctions (sacerdotales, diplomatiques, judiciaires, thérapeutiques, bardiques, etc.). Summary Our documentary sources from Antiquity are of foreign origin and tendentious in nature, whereas those from the Middle Ages are christianised and legendary. Therefore, we can only study the Celtic priesthood from the outside and examine the theme of membership from a sociological point of view. This overview examines several characteristics that confirm the pre-eminence of the Druids, the caretakers of the values and unity of Celtic society. They are : the antiquity of the institution, similar to that of the Brahmans of India and the Roman priests; the subordination of all power, even royal, to knowledge; the preservation of the oral transmission of knowledge and of the contractual nature of membership; the hierarchical diversity of functions (priestly, diplomatic, judicial, therapeutic, bardic, etc.). Introduction Envisagés au sens large, c'est-à-dire en tant qu'ils forment une classe sacerdotale, les druides offrent l'exemple accompli d'un groupe assumant au niveau le plus élevé les valeurs, non d'un État, mais d'un ensemble ethnique tout entier, dont il représente la foncière unité en même temps qu'il contribue puissamment à la maintenir, en dépit d'une grande dispersion dans l'espace - des rives de l'Atlantique à la Cappadoce. Leur présence, il est vrai, n'est pas formellement attestée partout dans le monde celtique; mais ceci tient, en partie au moins, à l'indigence de notre information. Celle-ci repose sur les notices occasionnelles livrées par la littérature grecque ou latine relayée, en Bretagne insulaire et surtout en Irlande, par une littérature médiévale hautement conservatrice, mais christianisée. Au demeurant, le nom même de « druides » n'est pas connu en dehors du celtique. Mais, de quelque manière que chaque nation celtique ait organisé ce corps complexe, l'essentiel est qu'il conserve un statut éminemment archaïque qui l'apparente, parfois jusqu'au détail, aux confréries homologues connues dans d'autres régions conservatrices du monde indo-européen : à Rome avec les flamines et les pontifes, dans l'Inde pré-bouddhique avec les brahmanes, ces derniers ayant même à l'époque historique cristallisé en une classe fermée - la première des trois castes fondamentales - la position éminente et les liens avec l'aristocratie dirigeante qu'ils détenaient aux temps védiques. Or, ce dernier trait est précisément l'une des spécificités de l'ordre druidique : s'il agit dans l'intérêt de la communauté, c'est de manière implicite; en fait, il apparaît étroitement lié à l'aristocratie, dans laquelle il se recrute, même si l'on ne peut affirmer que, dans l'ensemble, la fonction ait été rigoureusement héréditaire. En tout cas, il apparaît comme la face savante et sacralisante de la figure royale. Les activités exercées par les druides (au témoignage de César comme des vieux textes de l'Irlande) pourraient même servir à définir de manière exemplaire cette fonction sociale primordiale que G. Dumézil a mise au jour chez les anciens peuples indo-européens et qu'il a appelée, après l'indianiste A. Bergaigne, du nom heureux de « souveraineté ». Souveraineté, c'est-à-dire tout ce qui, activités ou modes de penser, régit les formes supérieures d'administration du sacré et, sous la garantie des dieux, de la société des hommes, avec leurs prolongements théologiques, juridiques et, plus largement, la piété, l'intelligence, la divination ou le savoir. La royauté proprement dite occupe dans ce schéma une position à part, transcendant les deux autres fonctions (guerre et force physique d'une part, fécondité et productivité de l'autre) tout en exerçant le pouvoir au nom de la première; et l'on voit dans l'Inde le roi provenir dans la pratique de la caste guerrière. On ne saurait par ailleurs oublier que les conditions documentaires dans lesquelles nous atteignons le paganisme celtique nous interdisent toute investigation en profondeur sur les motivations proprement religieuses du prêtre, sur ce qu'on serait tenté d'appeler une vocation. En effet, l'historiographie gréco-romaine ne s'y intéresse pour ainsi dire que de l'extérieur. César nous a laissé, on vient de le rappeler, une description infiniment précieuse de l'institution druidique (De bello Gallico, VI, 13-14); mais c'est une description d'ethnologue, vraisemblablement tirée du voyageur-philosophe Posidonios, et d'ailleurs sommaire, du druide éduen Diviciacus. César ne pouvait retenir, eu égard à son objectif, que l'action politique : il n'a pas cherché en quoi le prêtre et le politique ont pu interférer. Quant aux littératures insulaires médiévales, elles foisonnent en épisodes qui mettent en scène des personnages issus de la tradition druidique : magiciens, conteurs, voire un ancien dieu-druide comme Dagdé. Mais les clercs à qui l'on doit la recension définitive des récits irlandais ou gallois les ont expurgés en ôtant à la fonction druidique une partie de son aspect religieux, du moins au niveau élevé où il pouvait offusquer une conscience chrétienne : c'est-à-dire précisément ce qui intéresse l'engagement du prêtre celtique à l'égard de la divinité. Faut-il le dire ? Les littératures celtiques anciennes n'ont livré l'équivalent ni d'un Lamennais ni même d'un Bernanos. En revanche, la place du druide dans la société donne matière à un riche dossier, dont on ne peut présenter ici que quelques pièces maîtresses. C'est donc dans un cadre éminemment social que la question de l'engagement peut être envisagée, même si - et ceci n'est nullement contradictoire - les compétences multiples de la classe druidique mêlent de manière indissociable, comme en toute société archaïque, sacré et profane. [Retour au plan] I - Les origines Elles ont donné lieu, dans un passé encore récent, à mainte controverse. J. Pokorny voyait dans l'institution druidique l'un des vestiges pré-indo-européens qu'il croyait reconnaître dans les langues et les civilisations celtiques. Plus récemment, l'historien de l'Antiquité J. Harmand y a vu une institution peu ancienne. En vérité, comme on l'a brièvement indiqué plus haut, il y a lieu de distinguer l'institution et la terminologie qui s'y rapporte. Cette dernière peut être moins archaïque, en ce sens que les mots clefs qui désignent le prêtre-savant ou le devin (druid-, bardo, weled-) se retrouvent à la fois en Gaule, en Irlande et, pour les deux derniers, en Galles, sans remonter pour autant comme tels à la préhistoire indo-européenne. Du moins ces trois termes sont-ils antérieurs à la séparation, plus récente il est vrai qu'on ne le pensait naguère, entre les Gaëls d'Irlande et le complexe gallo-brittonique (comprenant la majorité des Celtes continentaux et de Grande-Bretagne). Rappelons d'ailleurs en passant qu'il y a lieu de renoncer définitivement à l'analyse traditionnelle de druid- (ainsi chez César, plur. druides, etc., et en proto- gaélique : cf. v. irl. druí, plur. druidi) par le nom du « chêne », analyse inspirée entre autres par le rite de la cueillette du gui. Le vieux breton dorguid « devin » qui lui est visiblement apparenté de près, invite en effet à y reconnaître un composé de la racine *weid- qui, dès l'indo- européen, se référait à la vision physique, mais aussi à la voyance, et de là au savoir et à la sapience. Cette valeur religieuse subsiste, dégradée, dans les mots russe véd'ma « sorcière » et arménien get « sorcier, devin ». Laïcisée, elle a fourni les verbes « savoir » au germanique (néerl. weten, etc.; mais cf. encore angl. wise « sage, avisé »). Restreinte à son emploi physique, elle nous a donné notre verbe « voir » (lit. uidere; cf. angl. wit-ness « témoin »). Le sens de druid- est donc « très savant (ou très voyant) ». L'irlandais a, en outre, formé sur le même modèle suí (*su-wid-) « très sage », qui désigne parfois le druide dans les textes médiévaux. Mais ce modèle même est indo-européen : dans l'Inde, les composés nominaux en -víd- sont uploads/Litterature/ les-druides.pdf

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